Si les « experts » de l’opinion s’empressent de répondre qu’ils n’ont été d’aucune utilité en pointant au fait que le gouvernement a réalisé les réformes annoncées, il n’en demeure pas moins que de nouvelles tendances se sont confirmées depuis janvier : le débat politique s’est tourné vers la question du pouvoir d’achat et N. Sarkozy est en baisse dans les sondages.
La machine sarkozyste [enrayée]
Un premier succès enregistré par les mouvements sociaux a été de mettre un terme à l’« état de grâce » du nouveau président. Lorsque N. Sarkozy est élu en mai 2007 à 53%, la majorité de la gauche est paralysée dans la démoralisation. Rien ne semble alors pouvoir s’opposer au nouveau pouvoir liant l’Elysée et le Medef et à la vague de réformes réactionnaires qu’il entend réaliser. De plus, les milieux dirigeants entendent engager très rapidement un bras de fer symbolique avec les bastions de résistance sociale, notamment les cheminots, pour entériner dans les faits la « rupture » néolibérale comme Margaret Thatcher l’avait fait avec les mineurs en Grande-Bretagne au début des années 1980.
Qu’en est-il huit mois et quelques grèves plus tard ? Les réformes néolibérales sont passées : franchises médicales, « autonomie » des universités, suppression des régimes spéciaux de retraite, négociations en cours pour un contrat de travail « plus flexible », etc. Cependant, l’instauration d’un nouvel ordre néolibéral par le choc de la « rupture », réclamée et annoncée par la bourgeoisie et allant de soi au lendemain des élections de mai 2007 – cette question demeure irrésolue et ne pourra être tranchée que dans l’avenir. En somme, les mouvements sociaux ont établi dans les faits que le retour en arrière prôné par la classe dirigeante ne pourra se faire sans résistance sociale.
De nouvelles luttes, de nouveaux enjeux
D’autre part, les mouvements sociaux de la fin 2007 ont réussi à imposer certaines des priorités des classes populaires dans le débat politique national qui se trouvaient jusque-là exclues. En témoignent non seulement la question du pouvoir d’achat, mais aussi celles du logement, de la misère des quartiers défavorisés et des acquis sociaux. Bien que ces questions figuraient dans le discours électoral de la droite, le ton de la politique française en septembre 2007 était celui d’un président triomphant, prétendant représenter la « France qui se lève tôt », faisant des clins d’œil à l’extrême droite avec l’ « identité nationale » et la chasse aux sans-papiers, et promettant la fin des difficultés grâce à la croissance supposément à venir par un « travailler plus pour gagner plus ». Les grèves ont levé le voile sur ces mensonges et mascarades. La majorité de la population partage aujourd’hui un même consensus : l’amélioration de ses conditions de vie et de travail ne passe pas par l’allongement du temps travaillé.
Par conséquent, si l’augmentation du pouvoir d’achat ne passe pas par cette voie, plusieurs sections de salariés témoignent d’une volonté de l’obtenir par la lutte syndicale. Les grèves d’octobre-novembre semblent donc faire tache d’huile dans d’autres secteurs. Les salariés d’Air France ont engagé des grèves pour des augmentations de salaire en décembre puis en fin janvier aux aéroports de Paris. De même, une journée de grève a réuni récemment les caissières de la grande distribution (Carrefour, Auchan, Leclerc, Ed) afin d’exiger des horaires de travail décents et une augmentation salariale collective. Les enseignants se sont également mobilisés pour une revalorisation de leurs salaires le 24 janvier dernier. Au total, malgré le silence de la gauche institutionnelle sur ces questions, les grèves semblent avoir suscité les débuts d’une riposte sociale portant sur les questions prioritaires des classes populaires.
Prendre conscience de soi-même
Les mouvements sociaux de la fin 2007 ont enfin constitué un autre épisode d’apprentissage politique d’une minorité militante au sein des mouvements sociaux. Confrontés au matraquage idéologique des médias, au manque de soutien des parlementaires socialistes, aux provocations répétées des forces de l’ordre, à l’hostilité de la plupart des intellectuels, puis à l’hésitation des bureaucraties syndicales, les militants des mouvements sociaux, du simple manifestant aux organisateurs de la base, ont pu entrevoir la nécessité d’une plus grande organisation des exploités et des opprimés. Cette perspective les rapprochent par ailleurs de ce que deux communistes écrivaient à la veille de la révolution de 1848 : « De temps en temps, les ouvriers triomphent, mais leur victoire n’est que passagère. Le résultat véritable de leurs luttes n’est pas le succès immédiat, mais l’extension toujours plus large de l’union des ouvriers » (Manifeste du parti communiste, 1848). L’opinion dominante ne partage certainement pas une telle vision. Mais il n’en demeure pas moins que cette perspective sur le long terme est la plus importante pour apprécier le rôle des mouvements sociaux récents et à venir.
Pour autant, rien ne permet aujourd’hui d’accréditer l’idée d’un avenir rose : des réformes importantes ont été passées par le gouvernement Sarkozy-Fillon et d’autres sont à venir. Néanmoins, l’équilibre politique issu des élections présidentielles de mai 2007 semble s’être dégradé en défaveur de N. Sarkozy et la crise financière mondiale participe à réduire la marge de manœuvre des milieux dirigeants. En définitive, les grèves de la fin 2007 apparaissent comme la principale force d’opposition dans un contexte d’absence d’opposition par la gauche politique. L’avenir décidera du reste.
Source de l’image : AG des cheminots de Chambéry, 14 novembre 2007. Bernard73, www.phototheque.org .