Tiré de À l’encontre.
Les manifestations massives, les réactions spontanées, mais rapidement coordonnées, face à quelques-uns des exemples les plus flagrants, et rapportés par les médias, de violences machistes (comme l’ont été ici les cas de Juana Rivas, à qui la justice italienne enlève ses enfants pour les confier à son ex-mari qui la maltraitait ; et le viol collectif lors de la fête de Saint Firmin à Pampelune en juillet 2016) ainsi que la multiplication sur les réseaux sociaux d’alliances et solidarités féministes sont un bon échantillon de ce phénomène.
Ce qui est certain, au-delà de l’interprétation de cette « troisième vague » [1] comme une lutte sectorielle de plus (nécessairement secondaire et partielle) ou comme un combat simplement pour redéfinir les identités (comme le prétendent certaines lectures discursives et strictement culturalistes), il est possible d’affirmer que dans une grande partie du monde nous assistons à un processus de féminisation des avant-gardes. Ce sont trois éléments qui pointent dans ce sens.
• La consolidation du mouvement féministe comme un vecteur mobilisateur fondamental dans de nombreux pays, un vecteur capable de faire irruption dans des moments de reflux accentué, et de dissolution des liens sociaux, en apportant des intuitions profondément anticapitalistes. La dynamique de mobilisation permanente et de travail en réseau a converti le mouvement féministe en une école de formation militante pour de nombreuses jeunes femmes. Celles-ci se politisent rapidement et elles peuvent faire le pas d’intervenir dans d’autres domaines, en créant des références féministes et en faisant apparaître des femmes fortes qui jouent un rôle de direction, selon divers modèles. Un exemple paradigmatique de cela est la réactivation du conflit dans les universités, précisément au travers de la création de collectifs et d’assemblées étudiantes féministes.
• L’articulation, de la part du mouvement des femmes, de revendications et de luttes concrètes qui ne sont pas strictement féministes mais bien plus globales : contre les frontières comme espaces de massacres humanitaires systématiques ; contre la destruction de la terre par les multinationales minières, extractivistes, et de l’élevage ; en défense des libertés civiles face à des gouvernements d’extrême droite ou autoritaires, etc. Le programme de la grève internationale des femmes en donne une bonne idée.
• La contradiction entre le capital et la vie, accentuée ces dernières années avec le recours renouvelé à l’accumulation par dépossession, après la grande crise de 2007/2008, place les femmes dans une situation particulièrement compliquée. La privatisation du travail reproductif et le recours à l’intervention publique sur le corps des femmes sont deux bons exemples de la façon dont les dynamiques d’accumulation capitaliste nous traversent d’une manière spécifique. Dans ce contexte, les résistances féminines (sans être nécessairement consciemment articulées comme féministes) se révèlent être de forts leviers de transition : en tant que responsables de tous les soins aux personnes et du maintien de la vie, de larges couches de femmes se voient irrémédiablement acculées à une lutte directe contre l’ensemble du système capitaliste [2].
Le mouvement international des femmes s’est gagné durant les derniers mois le mérite de ne plus être un cumul de revendications sectorielles. Il s’est doté d’une dimension stratégique et d’un certain horizon de rupture. Il y a bien sûr encore beaucoup d’autres choses. Les luttes pour la redéfinition des identités et pour l’accès aux espaces symboliques du pouvoir sont importantes en garantissant la visibilité et en favorisant de manière accrue un traitement juste. Mais réduire le mouvement féministe à cela serait nier son potentiel transformateur.
Voilà la potentialité que renferme actuellement le mouvement féministe : la potentialité de s’affronter à tout. Que ces potentialités réussissent ou non à se développer, pour se constituer en éléments de rupture du fonctionnement normal des choses dépendra entre autres facteurs de notre capacité à pousser dans ce sens. (Article publié dans Viento Sur, le 6 mars 2018 ; traduction A l’Encontre)
Julia Cámara est historienne, militante féministe et militante de Anticapitalistas (Espagne).
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