Édition du 5 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Face à la volonté populaire d'une enquête publique, Charest manoeuvre encore

La déposition de Jacques Duchesneau devant la commission parlementaire a déstabilisé le gouvernement Charest. En démontrant l’existence d’un système de collusion et de corruption dans l’industrie de la construction, ce dernier a déconstruit le discours simpliste du gouvernement libéral selon lequel la lutte à la corruption pouvait se limiter à identifier les pommes pourries dans le milieu et s’en débarrasser. On se rappellera la phrase démagogique cent fois répétée par les divers ministres pour rejeter l’exigence populaire d’une enquête publique : "nous on ne veut pas envoyer les criminels à la télévision, mais en prison."

Le gouvernement de Jean Charest ne voulait surtout pas que la lumière soit faite sur la collusion dans l’attribution des contrats, sur le détournement des règles qui permettait, tout en respectant formellement la loi, de la bafouer par diverses astuces. Le gouvernement voulait surtout masquer le fait que la privatisation des travaux publics avait permis la généralisation de ses pratiques de collusion et de corruption.

Le rapport Duchesneau a complètement discrédité la conception étroitement individualiste de la corruption. Ce rapport a démontré que des entreprises avaient été capables de développer des stratagèmes pour détourner divers règlements pour s’approprier des contrats, pour faciliter le paiement de dépassements de coût.... Il a expliqué que la perte d’expertise du ministère des Transports suite à la privatisation des travaux d’infrastructure et à la migration des ingénieurs et autres experts vers le privé rendait le ministère incapable d’évaluer et de suivre la réalisation des contrats attribués à des firmes privées. L’évaluation des dépassements de coûts devait être assumé sous les conseils de firmes qui étaient à la fois juge et partie.

Une obstination à la hauteur des enjeux

Accepter la mise en place d’une commission d’enquête publique, c’est ouvrir un débat sur l’ensemble des règles de fonctionnement dans l’attribution des contrats. C’est ouvrir, devant le public, la possibilité de décrire un système de corruption et mobiliser les forces capables de le démonter. C’est poser la question du contrôle démocratique des investissements publics. C’est remettre en question les modes de financement des partis politiques.

Les grandes manoeuvres

Le gouvernement Charest a finalement compris que son approche d’enquête policière secrète à l’abri des regards n’avait aucune crédibilité auprès de la population. Il avait beau répéter qu’il avait renforcé la réglementation, que d’importantes équipes de policiers avaient été constituées, les scandales n’en finissaient plus d’éclater démontrant que les problème restaient entiers.

Mais pour le premier ministre et son parti, il ne s’agit pas de céder réellement à la volonté populaire. Il s’agit de donner le change. Obligé de reculer et de composer avec les pressions populaires, le gouvernement n’a Charest cherche essentiellement à rester dans le cadre qu’il a lui-même défini : la lutte à la corruption se limite essentiellement à la seule poursuite d’éléments criminels.

C’est pourquoi la commission d’enquête envisagée par les libéraux devra se contenter, pour l’essentiel, à chercher et à poursuivre des criminels. L’enquête sera essentiellement une enquête à huis clos. Dans un deuxième temps, une partie de l’enquête pourrait être publique... Mais le gouvernement veut baliser étroitement le mandat d’une éventuelle commission d’enquête. Et cette partie publique de l’enquête sera reportée le plus tard possible, éventuellement après les prochaines élections provinciales.

De plus, le gouvernement libéral cherche à associer les partis de l’opposition à l’Assemblée nationale à sa manoeuvre au nom du réalisme et de la collaboration. Il cherche à utiliser la déclaration du chef de l’Unité permanente anticorruption selon laquelle toute enquête publique nuirait au travail policier, pour limiter le mandat d’une telle enquête. Le PLQ planifie même d’utiliser une partie de son prochain congrès pour convaincre et former sa base à ses orientations.

Le gouvernement Charest n’a pas la légitimité de déterminer les fins et les moyens d’une commission d’enquête sur la corruption

Le premier ministre voudrait bien nous refaire le coup de la Commission Bastarache. Il voudrait bien pouvoir déterminer étroitement tant l’objet de l’enquête que des moyens qu’elle pourra utiliser. Il voudrait bien pouvoir la limiter à l’industrie de la construction et décider de l’importance du huis clos qu’elle devra s’imposer. Il cherchera même à imposer que la publication de son rapport soit faite après les prochaines élections.

Tout cela est inadmissible. Comme l’a déclaré Amir Khadir, député de Mercier, "M. Charest n’a pas à dicter à la commission sa conduite. La commission d’enquête doit disposer de toute la liberté de déterminer ce qui doit être à huis clos et ce qui doit être en public." La commission d’enquête doit avoir assez d’autonomie pour pouvoir se pencher sur les"irrégularités dans le financement politique provincial et municipal".

Pourquoi la lutte à la corruption a-t-elle besoin de l’appui de toute la population ?

La corruption et la collusion sont l’expression de l’absence de contrôle citoyen sur la vie de leur collectivité. Plus ce contrôle citoyen diminue, plus les entreprises privées parviennent à imposer leurs intérêts au mépris de la collectivité.

C’est pourquoi une enquête publique sur la corruption ne se résume pas à une enquête policière. Elle doit démonter les modalités de fonctionnement du système qui permet que la collusion se généralise et doit proposer une réforme radicale de son fonctionnement. Lorsque des firmes d’ingénieurs sont à même de proposer à des municipalités de travaux coûteux à effectuer et qu’elles ont leur entrée au ministère pour en obtenir le financement, les citoyen-ne-s sont complètement dépossédés de tout contrôle sur les investissements qu’ils devront payer et sur les services qu’ils veulent bien se donner.

C’est pourquoi cette volonté populaire d’une enquête publique n’était pas d’abord l’expression de la volonté de traquer des coupables, mais de rétablir des règles du jeu transparentes qui sont des gages de la démocratie véritable.

Et l’intransigeance dont à fait preuve jusqu’ici le gouvernement Charest au mépris des aspirations populaires, dans le rejet d’une enquête est la manifestation évidente, que cette oligarchie qu’il représente et qui a accès à l’assiette au beurre veut continuer d’en profiter et ne veut surtout pas que la population puisse participer à jeter une lumière crue sur son jeu.

Elle ne veut surtout pas que soit tiré au clair le fait que cette oligarchie maintient les gouvernements sous leur coupe en étant leur principal bailleur de fonds des partis qui sont à son service. Et ces partis comptent sur ces fonds dans la course qu’ils se livrent pour rester au pouvoir et continuer à protéger les intérêts de leurs amis affairistes.

La mobilisation pour une enquête publique est une lutte démocratique car elle pose l’exigence de la transparence et du contrôle citoyen sur les décisions publiques. Toute l’effervescence citoyenne dans divers dossiers sociaux montre que cette exigence démocratique est aujourd’hui au coeur de mobilisations porteuses d’un véritable espoir de changement.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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