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Etats-Unis : républicains au bord de la crise de nerf

Quatre jours après la fermeture partielle du gouvernement, les négociations n’avancent pas. Les démocrates perdent patience, mais c’est aussi le cas d’élus républicains, ahuris par le comportement de la faction Tea Party de leur parti.

04 octobre 2013 | tiré de mediapart.fr

Cela fait désormais quatre jours que le gouvernement américain est partiellement « fermé » du fait du désaccord persistant entre élus républicains et démocrates sur le budget 2014 (lire ici l’enchaînement des événements). Les discussions se sont poursuivies sans grand succès jeudi. Barack Obama s’est dit « exaspéré » par les blocages politiques en cours, tandis que le camp démocrate continuait de dénoncer l’acharnement du groupe d’élus républicains de la mouvance Tea Party refusant de voter le budget tant que celui-ci ne s’accompagnerait pas de mesures pour défaire la réforme de la santé initiée par le président depuis 2010.

Mais ce sont aussi des élus républicains plus modérés qui commencent à perdre patience et se désolidarisent des jusqu’au-boutistes menant la danse au sein de leur propre parti. Au point que le Grand Old Party offre désormais le spectacle d’une formation divisée, à la stratégie politique floue... Il ne tire en effet aucun profit de la situation actuelle puisqu’elle suscite le mécontentement d’une majorité d’Américains : 72 % d’entre eux désapprouvent le « shutdown » et 44 % estiment que les républicains sont en faute (contre 35 % accusant les démocrates).

Quant à la réforme de la santé de Barack Obama, malgré la paralysie actuelle, elle est bel et bien en train d’entrer en vigueur : les marchés d’assurances privées – des sites internet sur lesquels les Américains sont censés trouver une couverture santé adaptée et accessible – ont été lancés mardi dernier.

Pour comprendre comment le GOP en est arrivé là, il faut revenir un peu en arrière. Le « shutdown » est le point culminant de trente-trois mois d’affrontement autour des questions budgétaires entre les républicains et les démocrates. Tout commence avec les élections législatives de novembre 2010 (celles-ci ont lieu tous les deux ans aux États-Unis). Les républicains obtiennent la majorité des sièges à la Chambre des représentants, et entrent en scène en janvier 2011. Ils mettent alors le président démocrate dans la situation de cohabitation qui définit encore Washington aujourd’hui : l’exécutif est démocrate, le Sénat est à majorité démocrate mais la Chambre est à majorité républicaine.

Cette élection marque en outre l’arrivée au Congrès d’élus républicains d’un nouveau genre, associés à un mouvement citoyen né quelques mois auparavant, le Tea Party (nous avions réalisé un reportage à leurs côtés peu avant ces élections de 2010 : à lire ici). Il s’agit d’un mouvement réactionnaire fourre-tout, où l’on trouve des traces du courant libertarien, des relents de populisme, de racisme, et une aversion pour Barack Obama, considéré comme l’incarnation d’un interventionnisme d’État dangereux. S’il y a une chose qui met tous les membres du Tea Party d’accord, c’est l’opposition au gouvernement fédéral. La réforme de l’assurance maladie entreprise par la Maison Blanche (votée par le Congrès et signée par le président dès 2010) est donc par définition mauvaise et doit être stoppée par tous les moyens.

Trois ans plus tard, nous en sommes toujours là. On compte désormais à la Chambre des représentants quelque 80 élus incarnant cette aile droite du parti républicain, sur un groupe parlementaire de 232 élus (contre 200 démocrates). « Il faut bien comprendre que tous les républicains sont opposés à la réforme de la santé d’Obama, mais ce qui distingue les conservateurs ordinaires de ces réactionnaires radicaux, c’est la tactique », explique le politologue spécialiste du Congrès Gary Jacobson.

La tactique des élus Tea Party, c’est de dire « non » à tout bout de champ, et ainsi de bloquer toute loi et politique favorisant les démocrates (et par extension de bloquer Washington puisque dans le système bipartisan américain, il faut bien que les deux camps arrivent à une forme de compromis pour avancer). S’ils se permettent cette élégante posture, c’est que localement, dans les circonscriptions qui les ont élus, ils n’ont rien à perdre, en tout cas à court terme.
« Laissez le Texas diriger le Texas »

Comme le montre cette carte des circonscriptions 3 ayant élu le groupe de la discorde, ces 80 républicains viennent pour moitié du sud des États-Unis, un quart vient du Midwest, et le reste de l’Ouest rural du pays. Une trentaine sont des circonscriptions nées lors du redécoupage électoral qui a suivi le grand recensement de la population de 2010 ; des opérations de redécoupage supervisées par les gouvernements des États fédérés, fortement soupçonnés d’en avoir profité pour se créer des bassins d’électeurs de leur bord politique.

Dans tous ces districts, la victoire de Barack Obama, en 2008 puis en 2012, est vue comme une anomalie, le candidat républicain Mitt Romney y remportait la dernière présidentielle avec en moyenne 23 points d’avance sur le président. Ce sont des régions à majorité de population blanche et vieillissante où les élus à l’étiquette Tea Party jouissent d’une assise confortable, avec en moyenne 70 % des suffrages aux deux dernières législatives.

« Ils se voient donc comme le dernier bastion de résistance d’une Amérique traditionnelle qui perd du terrain démographiquement. À ce titre, ils ne veulent rien lâcher. Accepter de perdre sur la réforme de la santé, ce serait comme accepter de perdre la bataille », analyse le politologue Gary Jacobson.

L’interview de John Culberson 3, représentant à la Chambre d’une circonscription du Texas, par le site Salon, illustre cet état d’esprit. En voici un extrait : « Le gouvernement fédéral doit rester en dehors de la santé. Hormis lorsqu’il s’agit de la force militaire des États-Unis (…), le gouvernement fédéral foire tout ce qu’il touche. Je ne veux pas que le gouvernement vienne se mêler des soins de santé des Américains moyens. Ma circonscription non plus. Ils sont furieux après l’Obamacare, et la description de mon poste dit "représentant". » Plus loin : « Laissez-nous tranquilles. Ce n’est pas compliqué. Les Texans veulent qu’on les laisse tranquilles. Laissez le Texas diriger le Texas. »

On peut tout de même se demander comment cette minorité – 80 élus sur 232 –, même confortablement élue, se retrouve avec un tel pouvoir de blocage. C’est que ce groupe « Tea Party » a le soutien d’un personnage décisif : le porte-parole des républicains et leader de la Chambre des représentants, John Boehner. Si cet élu de l’Ohio, au Congrès depuis vingt-deux ans, n’a pas grand-chose en commun avec le Tea Party, il a fait le choix se plier à leurs exigences. En l’occurrence, en refusant de soumettre au vote un texte de loi budgétaire qui ne satisferait pas cette minorité…

Pourquoi ? « Parce qu’il pense qu’ils sont en mesure de lui faire perdre son poste », explique le politologue Gary Jacobson. « La seule raison pour laquelle le gouvernement est fermé est que Boehner veut garder son emploi », tranche encore l’éditorialiste du Washington Post, Eugene J. Dionne. Aussi incroyable que cela puisse paraître, cette faction se retrouve donc à dominer la politique républicaine. Avec les effets que l’on sait : en l’occurrence, un shutdown, c’est-à-dire un blocage politique, sans aucun plan de sortie.

« Ils pensent que nous sommes devenus fous ! »

La situation est tellement absurde qu’elle commence à effrayer et réveiller les éléments plus modérés du parti. Depuis mardi et le début du shutdown, des voix s’élèvent notamment à l’encontre de Ted Cruz, sénateur républicain du Texas à l’étiquette Tea Party, considéré comme l’initiateur de cette stratégie consistant à refuser de voter le budget si celui-ci ne contient pas des mesures de suppression de la réforme de la santé de Barack Obama.

Jeudi, le site Politico 3 relayait ainsi les témoignages anonymes de sénateurs républicains consternés, à l’issue d’une réunion avec Ted Cruz. « Il est apparu clairement qu’il n’avait aucune stratégie, il était incapable de répondre à nos questions sur là où ce jeu devait nous mener, comment on en sortait », lâchait l’un d’eux. « Il vient de causer un tort majeur au parti républicain », estimait un autre.

Peter King, représentant à la Chambre de l’État de New York, fait partie des rares à critiquer ouvertement son parti dans de grands médias. Hier, il déclarait sur la chaîne ABC « ne pas comprendre ce que le parti cherche à accomplir avec le shutdown ». Il qualifiait encore la frange Tea Party d’« irresponsable » et relayait la frustration des républicains de sa circonscription, « ils pensent que nous sommes devenus fous ! ».

D’autres, comme Rand Paul, sénateur du Kentucky, appellent à l’unité des troupes et estiment qu’il est temps de passer à autre chose : la réforme de la santé est une réalité, le parti a en revanche des propositions à faire sur des sujets aussi divers que la réduction du déficit public et la politique d’immigration.

Enfin, certains commencent à faire des propositions concrètes afin de reprendre le dialogue avec les démocrates, et tenter de s’extirper de cette crise. Le représentant de Pennsylvanie Charlie Dent est ainsi à l’origine d’un texte de compromis visant à rouvrir le gouvernement en s’engageant à l’approvisionner pendant six mois. Il était signé par vingt élus républicains et démocrates jeudi soir.

Mais ces initiatives sont encore timides… « Les conservateurs "classiques" n’ont pas de bon meneur en ce moment, ça ne les aide pas à être visibles », analyse le politologue de l’université du Massachusetts Peter Ubertaccio, précisant que cet establishment républicain est en perte de vitesse depuis plusieurs années déjà, laissant ainsi un vide idéologique que comblent les éléments les plus radicaux.

Quelle issue envisageable à cette crise ? « Que les élus Tea Party acceptent la réalité : ils ont perdu, la réforme de la santé est bel et bien là, et il faut avancer », propose le politologue Gary Jacobson, même s’il n’est pas très optimiste, car « ils n’en font qu’à leur tête ». D’autres imaginent un scénario où la communauté de businessmen qui financent et soutiennent le parti républicain exercerait une pression suffisamment efficace sur les républicains pour qu’ils concluent un accord à la fois sur le budget et le relèvement du plafond de la dette, débat sur lequel le Congrès doit trancher d’ici deux semaines.

À plus long terme, « il se peut que les élus Tea Party s’entêtent au point de perdre aux prochaines élections, en novembre 2014, même si pour l’instant, ce n’est pas le scénario qui s’annonce, les républicains garderaient le contrôle de la Chambre », explique Peter Ubertaccio. Le chercheur, comme beaucoup d’autres, a du mal à voir un dénouement rapide et positif à cette crise politique, il évoque même, à plus long terme, l’option d’une réforme constitutionnelle permettant à l’exécutif de prendre plus facilement des décisions sans attendre le feu vert d’un Congrès devenu « dysfonctionnel ».

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