De toute évidence, la direction du Hamas avait planifié son opération depuis longtemps. Elle ne pouvait pas ne pas prévoir la férocité de la contre-attaque de son ennemi. Les responsables du Hamas ont donc pris un risque calculé à leur endroit et à celui de leur propre population. Ils savaient qu’ils s’exposaient eux-mêmes à la mort, vu la politique adoptée de longue date par les autorités israéliennes d’éliminer ceux qu’ils regardent comme "les cadres dirigeants du terrorisme". Pourtant, ils sont allés de l’avant et lancé leur opération.
Pourquoi à ce moment précis ?
Le contexte actuel a pesé lourd dans leur décision. Plusieurs pays arabes avaient normalisé leurs relations avec l’État hébreu : Les Émirats arabes unis, l’Égypte, Bahreïn, la Jordanie et la Turquie. Certains d’entre eux constituent des poids lourds du monde musulman, comme l’Égypte et les Émirats arabes Unis, même s’ils soutiennent en principe la cause palestinienne. L’Arabie saoudite, un un autre joueur majeur dans le monde arabo-musulman, s’apprêtait à le faire. Son gouvernement se révélait perméable aux pressions de l’administration Biden pour un rapprochement accentué avec Tel-Aviv. D’autres pays refusaient toujours de reconnaître l’État hébreu, comme l’Algérie, la Tunisie, la Libye, le Qatar, l’Iran et l’Irak. Mais la plupart d’entre eux sont loins de la Palestine et possèdent peu d’influence dans la région (sauf l’Iran) comparés à l’Égypte, la Turquie et surtout l’Arabie saoudite.
La politique américaine consistait officiellement à parvenir à établir une paix durable entre les pays arabo-musulmans et Israël ; en réalité, il il s’agissait surtout pour le gouvernement des États-Unis d’isoler les Palestiniens qui perdraient ainsi, en pratique l’appui arabe ou le verraient diminuer considérablement, ce qui les contraindrait à négocier en bout de ligne une paix à rabais au profit de leur vieil ennemi israélien. Pour conclure un traité de paix juste et équitable avec Tel-Aviv, ils ne peuvent compter sur l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas basée en Cisjordanie, car elle est discréditée par sa corruption, son incompétence et surtout sa relative passivité à l’endroit de la colonisation israélienne. D’ailleurs, la dite Autorité palestinienne ne dispose que de pouvoirs très limités et ne contrôle qu’une partie de la Cisjordanie ; elle n’a jamais pu empêcher la poursuite le la colonisation israélienne de la "zone C" sur laquelle elle n’exerce aucun pouvoir et encore moins sur Jérusalem-Est.
On connaît les conditions de vie à Gaza, imposées par le blocus israélien. On a qualifié la petite enclave de "prison à ciel ouvert" et non sans raison. La situation y devenait intenable.
De plus, jusqu’en octobre, presque toute l’attention occidentale était concentrée sur le conflit russo-ukrainien où les alliés occidentaux de Kiev déployaient de grands efforts militaires et économiques en faveur de l’Ukraine. Toute une propagande pro-ukrainienne s’étalait dans les médias occidentaux. Le conflit israélo-palestinien non seulement glissait au second plan, mais paraissait même gommé pour longtemps.
Bref, la colonisation israélienne en Cisjordanie et à Jérusalem-Est passait sous le radar de l’attention publique occidentale.
Pourtant, depuis le début de 2023, les tensions entre colons et armée israélienne d’une part, et les résistants palestiniens de l’autre s’intensifiaient. De janvier à septembre, plus de 200 Palestiniens ont été tués, contre environ une trentaine d’Israéliens, des colons pour la plupart. Inutile d’ajouter que les affrontements s’y sont multipliés depuis le 7 octobre, produisant encore plus de décès chez les protestataires palestiniens.
Pour résumer, les Palestiniens perdaient sans cesse du terrain. L’attention du public international se portait avant tout sur l’Ukraine.
On peut donc croire que le but principal des responsables du Hamas était d’ébranler le gouvernement raciste et réactionnaire de Benyamin Netanyahou pour ramener la question palestinienne sur le devant de la scène internationale. À la surdité volontaire des gouvernements occidentaux à l’égard de ce conflit et à la pression israélienne croissante sur la Cisjordanie et Jérusalem-Est, le Hamas a répondu par l’offensive du 7 octobre. Elle ralentirait au moins le processus de "normalisation" entre l’Arabie saoudite et Israël et peut-être même la compromettrait.
En dépit de la férocité de la riposte israélienne (et peut-être même grâce à celle-ci), le Hamas a marqué des points : tout d’abord, le conflit israélo-palestinien a retrouvé sa centralité sur le plan international, des négociations indirectes ont eu lieu entre le gouvernement gazaoui et celui de Tel-Aviv, aboutissant à une trêve de quatre jours et à la libération de prisonniers palestiniens détenus dans les geôles israéliennes ; de plus, le gouvernement saoudien a suspendu ses négociations pour une normalisation avec l’État hébreu, un acquis non négligeable pour les Palestiniens et Palestiniennes. Les pourparlers reprendront peut-être entre ces deux pays, mais ils se trouvent retardés. Ryad se montrera peut-être alors plus ferme sur la question palestinienne. On verra.
Au surplus, il est possible que certains dirigeants israéliens fassent l’objet de poursuites devant la Cour pénale internationale pour crimes de guerre, comme c’est déjà le cas pour Vladimir Poutine, tout président de la Fédération de Russie qu’il soit.
Le prix humain a été très lourd des deux côtés de la barrière : 1,200 Israéliens et israéliennes ont été tués le 7 octobre dernier (et environ 250 enlevés) et plus de 10,000 Gazaouis et Gazaouies l’ont été par Tsahal.
C’est triste à dire, mais il fallait sans doute passer par là pour débloquer la situation et faire avancer la cause palestinienne. Les principaux responsables : la colonisation israélienne en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ainsi que l’appui américain sans failles à son protégé hébreu.
On doit ici rappeler que le nombre de victimes palestiniennes de toutes les guerres entre la Palestine et Israël a toujours été beaucoup plus élevé que celui des Israéliens et Israéliennes.
La seule façon de sortir de cette sanglante impasse réside dans des négociations honnêtes entre les deux camps, sous supervision internationale ; il faut enlever la responsabilité exclusive de ce dossier des mains des États-Unis (à la fois juges et partie) et d’Israël.
Pour y arriver, il faut reconnaître sans ambiguïté le droit à l’autodétermination des Palestiniens et Palestiniennes ; une composante majeure de ce droit est celui de choisir librement ses représentants lors des futures négociations de paix, sans essayer d’imposer aux Palestiniens une délégation de complaisance qui signerait un traité à rabais.
C’est une question fondamentale de démocratie.
Jean-François Delisle
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