« En 1992, ce qui s’était surtout dégagé du forum, c’est à quel point la pauvreté avait un sexe. Ce constat-là a beaucoup orienté l’organisation du mouvement féministe ; il nous a menées à travailler sur toutes sortes de problématiques socio-économiques. On peut penser à l’augmentation du salaire minimum, par exemple, ou encore à l’adoption d’une loi sur l’équité salariale et d’une politique de conciliation travail-famille. Après presque 20 ans de travail mené en ce sens, nous nous sommes dit qu’il était temps de prendre un peu de recul, de déterminer où nous en étions, pour mieux organiser nos actions futures », explique Mme Alexa Conradi, présidente de la Fédération des femmes du Québec et représentante jeunesse.
Processus
Lancés officiellement en mai 2011 avec la tenue d’un colloque de deux jours intitulé « Regards sur 20 ans d’actions et d’analyses féministes », les états généraux de l’action et de l’analyse féministes n’en sont qu’à leurs balbutiements. Ponctués de plusieurs rendez-vous et consultations, ils culmineront à l’automne 2013 par la tenue d’un grand forum.
« Au printemps 2011, on a lancé la réflexion ; cette année, on dresse le bilan des 20 dernières années, précise Mme Conradi. Pour ce faire, partout au Québec, on organise des cafés-rencontres et des ateliers sur différents thèmes. On utilise toutes sortes d’outils pour rejoindre les femmes, que ce soit par Internet, à l’écrit ou en personne lors d’événements. On leur demande de nous aider à poser un regard critique sur les 20 dernières années, de contribuer à notre analyse. »
L’un des plus grands défis de cette démarche reste sans doute de rejoindre les femmes qui ne se considèrent pas comme féministes, puis de les convaincre de l’importance de participer à cette réflexion collective.
« Dans les prochains mois, nous allons essayer par tous les moyens de communiquer avec ces femmes, que ce soit par le biais de capsules vidéo, des médias sociaux ou d’autres moyens. Ce qu’on voudrait, c’est que, même si elles ne s’affichent pas comme féministes, ces femmes-là s’expriment », souligne Mme Conradi.
Pour faire suite à cette grande enquête provinciale, les 25 et 26 mai, la FFQ tiendra à Québec le second colloque des États généraux. On y transmettra notamment les résultats des consultations tenues au cours des mois précédents. De plus, cet exercice permettra de cerner quelques grands enjeux sur lesquels la Fédération se penchera au cours des mois à venir.
« Après le colloque, on va bâtir quelques tables de travail qui nous permettront de nous pencher sur cinq ou six grands défis du mouvement et de réfléchir aux perspectives qui s’offrent à nous. Après cela, lors du grand forum de 2013, nous déciderons des orientations à adopter pour orienter l’avenir de l’action et de l’analyse féministes. Nous espérons réussir à formuler des propositions qui nous porteront sur un horizon de 20 ans », affirme la présidente de la FFQ.
Enjeux émergents
Bien que les consultations menées à l’échelle de la province, dans le cadre des États généraux, ne soient pas encore terminées, déjà de grandes tendances semblent se dessiner. D’après Mme Conradi, les politiques et la vision mises de l’avant par les conservateurs se hissent au premier rang des préoccupations actuelles des Québécoises.
« Le gouvernement de Stephen Harper a, depuis son arrivée au pouvoir, instauré plusieurs changements qui risquent de faire reculer le Canada sur divers plans, souligne Mme Conradi. On n’a qu’à penser à l’abolition du registre des armes à feu, au fait qu’il a réduit le financement de Condition féminine Canada ou qu’il a décidé de ne plus rendre obligatoire le long formulaire du recensement. Mais il n’y a pas que ça. Plusieurs idées véhiculées sont très inquiétantes et beaucoup de conservateurs se montrent en faveur de politiques relativement hostiles à l’égalité. Que deux députés disent vouloir revenir sur la question de l’avortement, par exemple, c’est très préoccupant, d’autant plus que les conservateurs n’en sont qu’au début de leur mandat. Si ça, ce n’est que le début, qu’est-ce qui va se passer par la suite ? »
Outre les politiques des conservateurs, les questions liées à l’accessibilité à l’emploi et à l’équité en milieu de travail figurent parmi les principales préoccupations des Québécoises. Le nombre de femmes occupant un poste de haute direction dans les entreprises canadiennes étant à peine plus élevé aujourd’hui qu’il y a 20 ans, nombreuses sont celles à signaler qu’il reste encore beaucoup à faire de ce côté.
« Il est vrai que, en entreprise, les hommes sont encore beaucoup plus nombreux que les femmes à occuper des postes d’importance, souligne Mme Conradi. On constate encore plusieurs inégalités sur le marché du travail. De plus, depuis une quinzaine d’années, on assiste à une succession de politiques néolibérales. Ç’a donné lieu à une déréglementation du marché du travail et ç’a eu un impact assez important au niveau de la précarité des emplois. Les femmes sont beaucoup préoccupées par cela. »
Personnellement, Mme Conradi se dit également préoccupée par le fait que, depuis quelques années, l’idée que l’égalité entre les sexes soit atteinte est de plus en plus répandue. « J’aimerais que, au terme de ce processus, davantage de femmes se sentent concernées par la lutte vers l’égalité et qu’elles poursuivent le travail qui a été entamé, confie-t-elle. Le défi de la mobilisation est important ! »