Puis le 31 octobre, lors du discours d’ouverture de la session de la nouvelle législature, la première ministre Pauline Marois a confirmé cet appui de façon non-équivoque. Elle a précisé que -comme sous le gouvernement Charest- le Québec participera en concertation avec Ottawa au déroulement des négociations de l’entente canado-européenne. Voilà des prises de position qui ont tout au moins le mérite de la clarté contrairement à bien d’autres dans les domaines social, environnemental aussi bien que national. En affichant d’entrée de jeu ses couleurs, le nouveau gouvernement indique donc qu’il va poursuivre la liaison que le PQ entretient avec le néolibéralisme depuis un quart de siècle. Il démontre aussi que la pseudo gouvernance souverainiste n’est qu’un hochet destiné à calmer les militants.
Un changement d’orientation majeur dès 1987
On se rappellera que c’est le Parti québécois qui, en compagnie du gouvernement conservateur de Brian Mulroney, a agi comme fer de lance pour plonger le Canada dans l’aventure du libre-échange nord-américain vers la fin des années 1980. En s’en faisant les champions, les dirigeants du PQ ont alors opté alors pour les consignes néolibérales inscrites au cœur des accords négociés par les administrations Reagan et Mulroney.
Devenu subitement la coqueluche du Conseil du patronat, des grandes entreprises et des chambres de commerce, le futur premier ministre Bernard Landry a effectué pendant deux ans une tournée bien rémunérée où, côtoyant à l’occasion Paul Desmarais, Laurent Beaudoin et tutti quanti, il a prononcé plus de 150 conférences. Désormais porte-étendard de la mouvance néolibérale, il publié, en 1987, un livre où il a défendu le projet Reagan-Mulroney avec la fougue d’un croisé ou au contraire, comme le prétendent certains, d’un mercenaire à la solde de l’establishment financier. De plus, c’est grâce à la formation souverainiste que Mulroney a été réélu en 1988 aux dépens du Parti libéral qui s’opposait alors au libre-échange. Mais pas pour longtemps comme on devait le constater par la suite sous Jean Chrétien. De plus, ce virage à 180 degrés s’est effectué sans débat public.
Malheureusement, il ne s’est pas agi d’un dérapage sans lendemain mais d’un changement idéologique maintenant inscrit dans l’ADN du PQ. Plusieurs analystes ont d’ailleurs documenté abondamment cette funeste entreprise où Lucien Bouchard et Bernard Landry ont joué un rôle capital dans l’assujettissement de l’État québécois aux diktats des grandes entreprises. C’est avec l’arrivée au pouvoir de Lucien Bouchard en 1996 que le Québec s’est engagé résolument sur la voie du néolibéralisme. L’opération malheureusement peu publicisée de la déréglementation à grande échelle menée dans les coulisses à compter de 1996, sous la gouverne des hommes d’affaires Bernard Lemaire et Raymond Dutil, est révélatrice. Pendant ce temps, l’opération déficit zéro, de même mouture, était menée tambour battant sous les feux de la rampe. Le Québec est alors devenu en quelque sorte un des principaux champs d’expérimentation du néolibéralisme.
Landry et Marois maintiennent le cap fixé par Bouchard
L’accession de Bernard Landry au poste de premier ministre, en 2001, a été marquée par la tenue du Sommet des Amériques à Québec. Ce dernier a appuyé fortement la mise sur pied d’une zone de libre échange sur les continents sud et nord américains (ZLÉA) qui ne s’est finalement pas matérialisée. Le seul regret exprimé par le nouveau premier ministre était que le Québec n’ait pu participer à l’évènement en tant que pays souverain.
Comme prévu le gouvernement Landry n’a pas modifié l’orientation néo-libérale du gouvernement péquiste mettant ainsi la table pour le gouvernement Charest qui allait lui succéder en 2003. En état de contradiction flagrante, le premier ministre n’a toutefois pas cessé de se proclamer social-démocrate. En vérité, durant les sept années du régime Bouchard-Landry on a assisté à la mise en œuvre d’un néolibéralisme de facto pratiqué par plusieurs ministres péquistes, notamment Joseph Facal -signataire en 2005 du manifeste des « lucides » en compagnie de son ancien chef- qui n’a cessé de louanger les vertus du néolibéralisme et a réclamé une réduction du rôle de l’État.
Dans son livre intitulé Le virage à droite des élites québécoises, le sociologue et essayiste Jacques B. Gélinas écrit qu’à la veille du scrutin de 2003, où les libéraux allaient prendre le pouvoir, plusieurs se posaient la question suivante : Pourquoi le parti porteur de l’idéal souverainiste ne peut-il formuler même l’ébauche d’un projet de société articulé comme le souhaite la population depuis la Commission Bélanger-Campeau tenue au début des années 1990 ? Comment voir clair dans une situation où un PQ, prétendument de centre-gauche, avait gouverné à droite depuis 1994 ?
Il est éclairant de constater qu’il y a continuité de pensée dans ce domaine entre Pauline Marois et ses deux prédécesseurs. Vice-première ministre, elle a, en 2002, proposé de « recentrer l’État, de confier plus de responsabilités aux décideurs du privé et de faire davantage confiance aux individus ». Elle n’a pas osé proposer de diminuer le rôle de l’État, mais elle voulait qu’on lui confère « un rôle différent, un rôle d‘allié ». Elle voit émerger « l’État stratège », en expliquant que « pour parler comme les hommes d’affaires, on pourrait appeler cela un positionnement stratégique ».
De plus, lors d’un colloque, tenu en mars 2010, la chef du PQ a proposé que l’enrichissement individuel supplante l’enrichissement collectif dans le domaine du développement économique. Puis, la nouvelle première ministre proclame l’appui de son gouvernement au projet d’entente canado-européen dans le discours inaugural du 31 octobre dernier. Sa position est pour le moins surprenante lorsqu’on constate que plusieurs observateurs formulent de nombreuses critiques à l’égard de ce projet d’accord qui doit être finalisé prochainement sans qu’on ne sache trop ce qu’il contient ; sinon qu’il peut porter atteinte directement à l’autonomie du Québec. Serait-ce que le néolibéralisme s’est incrusté dans le substrat idéologique de du PQ ?
Néolibéralisme à la sauce québécoise ou social-libéralisme à la sauce « troisième voie » ?
Par ailleurs, certains appliquent le terme social-libéralisme à la politique péquiste qui s’inspirerait non pas de la social-démocratie, comme le prétendent les ténors péquistes, mais de la « troisième voie » préconisée par les Tony Blair et Gerhard Schröder de ce monde. On sait que cette dernière veut adapter le discours socialiste à l’économie de marché en favorisant le développement économique tout en mettant en place des mécanismes de redistribution qui perturbent le moins possible cette dernière. De la realpolitik quoi…
Mais cette thèse comporte un hic. La conception de la mouture québécoise a précédé de quelques années l’émergence contemporaine de la « troisième voie ». Les dirigeants du PQ n’auraient-il pas plutôt concocté un modèle sui generis de néolibéralisme qui, lorsque que ce dernier est revenu au pouvoir en 1994, a opéré un hiatus majeur avec le modèle social-démocrate issu de la Révolution tranquille ? Seul un aveuglement volontaire, causé par des préjugés a priori favorables, peut expliquer pourquoi cette coupure, pourtant bien réelle, a été occultée jusqu’ici et l’est encore par la plupart des analystes de la scène politique québécoise. Deux exemples en réaction au récent discours inaugural illustrent ce genre de désinformation :
– C’est ça du vrai progressisme, commente Pierre Paquette, ex-député bloquiste et ex-secrétaire général de la CSN, en paraphrasant un héraut du néolibéralisme, la revue The Economist.
– « Le nouveau gouvernement se lance dans une nouvelle restructuration de l’État qui a pour but de restaurer le modèle québécois en le rafraîchissant », ajoute Rudy Le Cours, analyste à la Presse Affaires.