Édition du 12 novembre 2024

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Afrique

En finir avec l’impunité pour éviter un nouveau nettoyage ethnique en Centrafrique

En choisissant d’imposer des sanctions ciblées à l’encontre de deux commandants de milices armées, Abdoulaye Hissène et Maxime Mokom, les Etats Unis redonnent une lueur d’espoir dans la lutte contre l’impunité en République Centrafricaine.

Tiré du blogue de l’auteur.

Les deux hommes sont accusés de faire partie d’une alliance concertée entre deux factions armées (l’une issue de la coalition Séléka et l’autre du mouvement Anti-balaka), et sont soupçonnés de coordonner des actes de violence, de déstabilisation et de tentatives de coups d’état. Alors que le conflit s’étend, s’intensifie et « s’enferme dans une spirale de violence jamais vue depuis le point culminant du conflit en 2014 » selon l’ONG Médecin Sans Frontières, ces sanctions arrivent à un moment opportun. Néanmoins, leur caractère unilatéral révèle des dissensions au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Pour contribuer à mettre fin aux vagues de violences meurtrières, le Conseil de Sécurité, la France et l’Union Européenne devraient renforcer leurs efforts de lutte contre l’impunité et adopter des sanctions similaires.

Plus de quatre années ont passé depuis le déclenchement des hostilités et la Centrafrique sombre inexorablement dans un état de guerre permanent. Le séquençage de départ souhaité par la communauté internationale ‘accord de paix – désarmement – élection’ a non seulement déraillé mais n’a certainement pas permis une sortie de crise durable. La situation sécuritaire est aujourd’hui au bord de l’implosion et l’impunité est toujours aussi endémique. En 2016, la Centrafrique est classée à la 188ème et dernière position de l’Indice de Développement Humain. Et alors que la misère humaine est à son paroxysme et que les violences à caractère ethnique atteignent des proportions alarmantes, le business des chefs militaro-politiques est quant à lui florissant et hypothèque l’idée qu’un avenir meilleur est encore possible.

Cette volonté perpétuelle des chefs des groupes armés d’accéder au pouvoir s’est transformée en une menace structurelle de coup d’état. Dans ce climat de survie politique, courtermisme, tribalisme et prédation économique cohabitent ensemble et permettent de perpétuer l’instabilité. Ce système, Abdoulaye Hissène le connaît bien. Ancien collecteur de diamant, il a rejoint la lutte armée à partir de 2007, ce qui lui avait permis de prendre le contrôle des sites miniers à l’est du pays. Dans la crise actuelle, la prédation économique demeure toujours un élément central de la stratégie des factions armées, comme l’illustre les violents affrontements pour le contrôle des sites d’or et de diamant dans la région au centre du pays. En 2014, Abdoulaye Hissène a même conclu un contrat de livraison de 300 kilogrammes d’or avec un investisseur indien d’une valeur de 9.9 millions de dollars, sans qu’il n’ait aucune autorisation. Dans un pays où une grenade coûte entre 0.50-1.00 dollar américain, ces montants exorbitants alimentent les flux d’armes et de munitions, que les milices retournent ensuite contre la population civile.

Comme d’autres chefs de groupes armés, Abdoulaye Hissène n’hésite pas à manipuler les civiles, et plus particulièrement la jeunesse musulmane, pour servir ses intérêts politiques et financiers. Celui-ci justifie pourtant son action armée par une lutte contre les inégalités socio-économiques et contre la marginalisation des musulmans. En 2016, des sources crédibles, proches de Abdoulaye Hissène, ont affirmé sous réserve d’anonymat, que celui-ci avait déclaré être ‘un défenseur de l’intérêt supérieur des musulmans’ et que le contexte actuel justifie ‘d’être armé et de garder les armes’. Hissène faisait référence à la menace que représentent les anti-balaka sur la communauté musulmane.

Pourtant, à la fin de l’année 2015, les factions armées des deux hommes - le FPRC d’Abdoulaye Hissène et l’aile Anti-balaka de Maxime Mokom, soutenue par l’ancien chef d’Etat, François Bozizé - étaient au centre d’un complot sordide, dont le but était de créer de l’instabilité et renverser le pouvoir en place. Selon des sources bien informées, les clans des deux hommes avaient planifié l’assassinat d’un jeune peuhl musulman âgé de 17 ans, pour alimenter la haine inter-religieuse. La gorge tranchée, son corps avait été déplacé dans un quartier chrétien pour faire croire à un meurtre orchestré par les milices anti-balaka. Rapidement, des armes, des munitions, de l’essence et des tenues militaires avaient été distribuées par le groupe d’Hissène, lequel avait prononcé des discours d’appel à la haine contre les chrétiens pour encourager les jeunes musulmans à aller dans les quartiers voisins. Ce jour-là, au moins 31 civils innocents ont été tués, soit par balles tirées à bout portant, soit à coups de couteau, soit égorgés. Des centaines de personnes ont été blessées et des maisons habitées ont été brulées. Human Rights Watch avait indiqué que ‘dans leur grande majorité, ces meurtres ont été commis par des membres de groupes armés d’auto-défense musulmans’ et ajoutait que ‘des membres de groupes armés du groupe anti-balaka composés majoritairement de chrétiens et d’animistes ont également incité aux violences et y ont participé, combattant parfois contre les groupes musulmans’.

Malgré l’émission d’un mandat d’arrêt à l’encontre d’Abdoulaye Hissène en juin 2016, celui-ci avait réussi à s’échapper de la capitale, Bangui, à la suite d’un violent exode en août dernier. Confirmé par un rapport confidentiel de l’ONU, Abdoulaye Hissène coordonne désormais les luttes armées au centre du pays contre l’Union pour la Paix en Centrafrique (UPC), un groupe armé majoritairement composé de peuhls fulani dirigé par Ali Darassa. Ce dernier avait établi son quartier général à Bambari à partir de 2013 et contrôlait l’essentiel des sites miniers de Nzako, Ndassima et Bakouma. Depuis novembre 2016, le FPRC s’est lancé dans une chasse à l’UPC pour récupérer le contrôle de la ville de Bambari, en collaboration étroite avec les anti-balaka dirigés par Maxime Mokom, et dans une course pour le contrôle des sites de diamant et d’or.

Dans ces violents affrontements, la population civile paie un lourd tribut. Des dizaines de civils sont tuées et blessées quotidiennement et des milliers de personnes sont contraintes de fuir les violences. L’instrumentalisation des divisions ethniques et religieuses se poursuit également. Elle prend notamment la forme d’une traque humaine contre les populations peuhl fulani considérées comme des partisans de l’UPC. Si ces violences ethniques se poursuivent, la menace d’un nouveau nettoyage ethnique en Centrafrique est bien réelle.

Chaque jour, en Centrafrique, la guerre fait de nouvelles victimes. Les années passent, mais des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des crimes économiques sont perpétrées inlassablement, et ce malgré la présence d’une force de stabilisation onusienne composée de 12.870 personnels, inclus 10.750 militaires. Les responsables de ce désastre continuent pourtant de jouir d’une impunité et d’une liberté de mouvement quasi totale. Pour en finir avec ce désarroi, il est urgent que les membres du Conseil de Sécurité, dont la France fait partie, et l’Union Européenne, prennent la mesure de la gravité de la situation en adoptant des mesures fortes, qui doivent inclure des condamnations et des sanctions effectives contre les responsables d’atrocités.

Nathalia Dukhan

Blogueuse sur le site de Mediapart.

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