Les chiffres pour le mois de septembre 2011 ne sont pas encore disponibles. Toutefois, les observateurs notent une reprise significative du mouvement de protestation, après un calme relatif en août. L’association des Enfants de la terre pour les droits de l’homme a recensé 65 actes de protestations ouvrières en août 2011, contre 75 en juillet et 97 en juin. « Il existe beaucoup de revendications économiques et sociales qui n’ont pas été prises en considération depuis des années. Les révolutions entraînent souvent une multiplication des revendications politiques, économiques et sociales. L’explosion de ces mouvements est normale », juge Mohamad Mohieddine, consultant social au Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD).
Il ajoute qu’il n’est pas acceptable que le salaire d’un jeune médecin soit de 150 L.E. [soit 23 CHF] ou qu’un professeur d’université à la retraite touche une pension de 800 L.E. alors que le salaire minimum proposé par le gouvernement est de 700 L.E. [soit quelque 106 CHF]. Un minimum à peine plus élevé que le seuil de pauvreté pour une famille de 4 personnes.
Après la révolution, le mouvement ouvrier s’est organisé et considérablement développé. L’ampleur de certains mouvements est cependant inattendue. Les ouvriers du secteur public du textile (sous l’égide de la plus grande société du secteur à Mahalla Al-Kobra) sont désormais rassemblés dans une seule entité qui leur permet de faire entendre leurs revendications d’une seule voix. Un pas considérable face à l’avancée de ces dernières années [depuis 2006].
Multiplication des protestations
Cette nouvelle coordination ouvrière ou salariale n’est pas un fait isolé. Dans différents gouvernorats, des mouvements comme ceux des professeurs, des employés de la poste, des médecins ou des ouvriers des sociétés publiques du sucre voient le jour.
Ils rassemblent ces différents secteurs sous une même bannière. « Les syndicats indépendants ont joué dans certains cas un rôle d’unificateur. L’Union des syndicats indépendants (créée après la révolution) a une certaine influence, mais elle est encore récente. Elle n’est pas encore présente sur tous les lieux de travail », estime Hicham Fouad, de l’association des Enfants de la terre.
Après la révolution du 25 janvier, plus de 140 syndicats indépendants ont été fondés, contre 3 seulement pendant les mois qui ont précédé la révolution. « La création de ces syndicats va donner un nouvel élan au mouvement ouvrier après 60 ans d’un syndicalisme placé sous l’égide de l’Union des ouvriers d’Egypte [lié au gouvernement]. Les syndicalistes vont dorénavant prendre en considération les intérêts des ouvriers et pas seulement ceux de l’Etat, comme c’était l’habitude », espère Mohieddine.
Le mois dernier, le conseil d’administration de l’Union des ouvriers d’Egypte a été dissous par une décision ministérielle renforçant un ancien verdict juridique. Les syndicats indépendants ne possèdent pas encore de reconnaissance légale, mais le ministre du Travail a promis, à plusieurs reprises, qu’une loi garantissant l’indépendance syndicale allait se substituer à la loi actuelle. Sans Parlement, la loi est toujours au stade de projet …
La nature des demandes qu’affichent les différents mouvements est pour beaucoup un signe de maturité. « Beaucoup de ces mouvements réclament une amélioration des conditions sur le lieu de travail. Ce sont des demandes générales que réclament d’autres membres de la société. C’est une évolution importante du mouvement », estime Khaled Ali, directeur exécutif du Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux et défenseur de l’instauration d’un salaire minimum que beaucoup espèrent.
L’ampleur du mouvement de protestation est particulièrement significative au sein du corps professoral. En tête des revendications des enseignants figure le renouvellement des cadres du ministère de l’Education. Les professeurs estiment en effet qu’un certain nombre de membres de ce ministère sont largement corrompus. Une accusation qui n’étonne d’ailleurs que les accusés…
Réclamations légitimes
Les ouvriers de la société Misr pour le textile à Mahalla demandent une rénovation des équipements et davantage d’investissements. Les chauffeurs du secteur des transports publics demandent le renouvellement de la flotte des autobus. Un renouvellement du parc des autobus serait d’ailleurs autant dans l’intérêt des chauffeurs que dans celui des usagers. Le spectacle d’un autobus en panne au milieu de la rue – que personne n’arrive à bouger – n’est pas rare au Caire.
Ce qui rend le service moins fiable pour les citoyens tout en réduisant les primes des employés qui sont calculées en fonction du nombre des billets. « Un chauffeur peut perdre les primes de toute une journée à cause d’une panne d’un vieil autobus sans que cela ne soit de sa faute » se plaint Ali Fattouh, président du syndicat indépendant des Ouvriers du transport public. Mais face au contexte économique actuel, il est certain que les chauffeurs devront patienter encore un peu.
Beaucoup d’observateurs estiment que le mouvement ouvrier continuera son essor. Certains n’écartent pas la possibilité d’une grève générale à moyen terme. Mais ces réclamations n’ont rien à voir avec les appels à la grève qu’ont lancés des mouvements de jeunes non liés aux milieux des salarié·e·s. « La grève générale doit venir des lieux de travail et des syndicats.
Le degré d’organisation que commencent à acquérir les différents mouvements laisse croire qu’une telle action coordonnée n’est pas impossible », estime Hicham Fouad. L’ampleur que le mouvement des enseignants prend chaque jour ou les nouveaux regroupements entre les ouvriers des sociétés publiques du sucre dans différents gouvernorats ne sont qu’un signe parmi d’autres.