[Ces affrontements s’inscrivent dans la foulée du massacre de 74 supporters suite au match de football entre Al-Masry (Port-Saïd) et Al-Ahly (Caire) du mercredi 1er février 2012 ; et du verdict du procès qui s’en est suivi. Les condamnations à mort de 21 personnes « pour assassinats prémédités » prononcées par la Cour d’assises de Port-Saïd ont suscité un soulèvement le samedi 26 et le dimanche 27 janvier 2013, faisant de nombreux morts. Ces condamnations suscitent un mouvement de colère contre le pouvoir du président Mohamad Morsi et de son parti : les Frères musulmans. La mobilisation n’a cessé depuis lors.
Le jeudi 21 février 2013, pour la cinquième journée consécutive, les activités sont interrompues dans la zone industrielle de Port-Saïd. Le terminal de conteneurs a été paralysé par une grève des dockers. Les écoliers et les employés de la ville sont descendus dans la rue. Des Comités de citoyens contrôlent les entrées et sorties de la ville. Le couvre-feu et l’état d’urgence décrétés par Morsi n’ont jamais été respectés, malgré un déploiement de l’armée. Le statut de Port-Saïd et sa place de relief dans la révolution est un des enjeux de ces affrontements. - Réd.]
Selon des témoins, les manifestants ont aussi forcé des écoles, des banques et des usines à fermer et ont brièvement bloqué une ligne de chemin de fer dans cette ville qui longe le Canal Suez. « Soulève-toi Port-Saïd », « Que justice leur soit rendue, sinon, nous mourrons comme eux », scandaient les manifestants, dont faisaient partie de nombreux « Ultras », supporters de football fervents et organisés.
Les manifestants réclamaient justice pour la mort de quelque 50 personnes, tuées dans des affrontements avec la police après la condamnation à mort fin janvier de 21 supporters de football locaux, accusés d’être impliqués dans des violences ayant fait 74 morts l’année dernière après un match de foot.
Le président Mohamad Morsi avait réagi aux violences à Port-Saïd et dans deux autres villes longeant le canal de Suez en faisant appel à l’armée pour assurer la sécurité et en imposant l’état d’urgence ainsi qu’un couvre-feu. Le couvre-feu a systématiquement été bafoué à Port-Saïd, Suez et Ismaïliya. Au total, plus de 50 personnes ont été tuées et des centaines blessées, notamment à Port-Saïd, au cours des violences ayant suivi l’annonce du verdict, qui a coïncidé avec le deuxième anniversaire du début de la révolution contre Hosni Moubarak.
Les manifestants menacent de procéder à une escalade si leurs revendications ne sont pas satisfaites dans un délai de trois jours, à compter de dimanche. Celles-ci incluent le limogeage du ministre de l’Intérieur, Mohamad Ibrahim, la désignation d’un juge d’instruction pour enquêter sur le drame du stade de 2012 et la traduction devant la justice des responsables impliqués dans les meurtres du mois dernier.
Malgré les risques de dérapage qu’elle implique, beaucoup d’opposants considèrent la désobéissance civile comme l’arme ultime dans leur lutte contre un régime qu’ils considèrent comme « sourd » face à leurs demandes. D’autres estiment que cette démarche suppose une coordination et un leadership politique qui, pour le moment, font défaut aux opposants. « Je suis favorable à l’idée d’une mobilisation populaire et contre l’idée de négocier avec le gouvernement des Frères musulmans. Cela dit, pour passer du local au national, une mobilisation populaire a besoin d’organisation, celle-ci ne saurait être assurée par une poignée de militants à Port-Saïd », estime l’activiste Khaled Abdel-Hamid, du parti de l’Alliance populaire socialiste.
Amr Ezzat, du Courant populaire, est d’accord. « Nous allons nous réunir pour étudier comment faire afin de transformer cette désobéissance civile en un travail plus organisé. Ce qui se passe à Port-Saïd est le résultat naturel des morts et des blessés qui sont tombés dans cette ville. Le régime ne reconnaît pas le dialogue et ne se soucie pas des droits des citoyens, bien au contraire, le ministère de l’Intérieur est plus prompt à violer la loi, à user de la violence et à procéder à des arrestations arbitraires. La désobéissance civile peut s’avérer une solution », dit-il.
Originaire de Port-Saïd, l’opposant Georges Ishaq [après une longue trajectoire politique, il a rejoint le mouvement Kefaya, « Assez », puis s’est présenté sur les listes du parti Masr al-Hurriyya : « Egypte Liberté », sans être élu] qualifie de « noble » l’attitude des habitants de sa ville natale. « Les habitants de Port-Saïd sont capables de s’organiser d’eux-mêmes, les élites politiques, elles, n’ont ni le courage, ni la volonté nécessaire pour entamer une telle campagne de désobéissance civile. A Port-Saïd, tout le monde est convaincu que le régime ne s’intéressera ni à punir les criminels, ni à rétablir les droits des martyrs », matraque Ishaq.
Même euphorie chez le militant de gauche Kamal Khalil, pour qui la désobéissance civile annonce la « victoire de la révolution ». « C’est de vous, habitants de Port-Saïd, qu’on apprend, vous qui joignez l’acte à la parole. Votre désobéissance sera une étape cruciale pour la révolution. Elle fera renaître l’espoir de vaincre les oppresseurs et les criminels. Il est certain que d’autres gouvernorats vous emboîteront le pas », écrit Khaled Abdel-Hamid sur sa page Facebook. Et de conclure : « La victoire est proche, le sang des martyrs n’aura pas coulé en vain, le guide des Frères n’a qu’à commencer à faire sa valise. » (Publié dans Al Ahram, en date du 20 février 2013)