Édition du 17 décembre 2024

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La révolution arabe

Egypte : « Le gouvernement est le secrétariat du Conseil militaire »

Le 10 septembre 2011, le Conseil suprême des forces armées (CSFA) réaffirmait la nécessité de prolonger l’application des lois d’urgence. Il le fit après une « attaque » contre l’ambassade d’Israël et une manifestation devant le ministère de l’Intérieur, en date du 9 septembre.

Le 12 septembre, le conseiller en matière de droit du CSFA, le major-général Mahmoud Shahin, déclarait : « Les violations répétées de la sécurité publique ont contraint le CSFA de faire appel, à nouveau, aux mesures prévues par l’état d’urgence. Ces événements incluent des actes de gangstérisme, de terrorisme, de trafic de drogue, de sabotage, d’interruption de la circulation et de blocage de routes ainsi que la diffusion de fausses rumeurs et fausse informations. » Donc des cours martiales doivent intervenir pour « lutter contre la vague de crimes menaçant la sécurité nationale et le déferlement du chaos ». La reprise en main par le pouvoir militaire est clairement proclamée.

Le ministre de l’Intérieur, Mansour Eissawi, avait d’ailleurs déclaré – suite à la manifestation du 9 septembre sur la place Tahrir, manifestation placée sous le slogan : « remise sur la bonne voie » de la révolution – que les forces de sécurité étaient restées sur la réserve pour éviter une campagne de dénigrement. Mais, ajoutait-il : « Le ministère de l’Intérieur ne va plus tolérer les attaques contre des bâtiments et les tentatives de stimuler l’instabilité politique. » Pour justifier ce nouveau renforcement d’une politique autoritaire, Eissawi invoqua les tentatives de quelques « riches Etats du Golfe » de « miner la Révolution du 25 janvier ». Ce faisant, il s’en prenait à la chaîne télévisée d’informations Al-Jazeera.

Diverses organisations de défense des droits humains ou actives dans le champ syndical et politique dénoncent cette rhétorique, qui s’appuie aussi sur la mythologie d’un prétendu complot extérieur, pour mettre un frein à ladite transition démocratique. Elles rappellent que ces pratiques sont fort similaires aux opérations sécuritaires propres à l’ère Moubarak.

Le 16 septembre 2011, après la prière, la place Tahrir a connu une nouvelle mobilisation. Elle a été placée sous le mot d’ordre : « Non à la loi d’urgence » et la revendication d’une accélération de la transition du pouvoir militaire vers un pouvoir civil. Des manifestations identiques ont eu lieu dans divers quartiers du Caire et dans diverses villes.

Le lundi 19 septembre, plus de quinze partis ont organisé une manifestation face au cabinet du premier ministre pour demander le retrait des lois d’urgence.

Au plan social, une part significative des instituteurs – sous la houlette du Syndicat indépendant des enseignants (ITS) – boycottent la rentrée scolaire. L’action a commencé le 17 septembre. Ils revendiquent : de meilleurs salaires (un salaire minimum d’au moins 3000 livres) ; un accroissement des fonds consacrés à l’éducation (en passant de 8% à 20% du budget national) ; un plan pour améliorer les infrastructures scolaires (en finir avec des classes de 60 ou 100 écoliers) ; l’élimination des dirigeants du secteur dont la corruption est connue de tous et y compris reconnue dans une de ses déclarations par le ministre de l’Education, Ahmed Gamal al-Din Moussa. Dans le même mouvement, l’ITS dénonce les menaces que font peser sur les grévistes des employés du ministère envoyés en inspection disciplinaire dans les écoles.

Cette grève n’est qu’une parmi d’autres : elles se développent chez les ouvriers des raffineries de sucre, dans le textile, etc. Le mouvement revendicatif des paysans pauvres a aussi pris de l’ampleur. Il était fortement représenté sur la place Tahrir, le 16 septembre 2011. Une manifestation qui a étonné beaucoup d’observateurs par son ampleur. Se pose donc le problème d’une certaine coordination des mouvements revendicatifs « dispersés » et de la riposte face aux attaques légales et policières contre les grévistes.

La conjoncture présente indique bien la volonté des autorités militaires et des secteurs décisifs du capitalisme égyptien de mettre fin à la combinaison qui tend à s’établir entre revendications sociales et démocratiques. Une situation qui rend plus difficile la politique d’alliance, de fait, des Frères musulmans avec le CSFA : la loi d’urgence ne peut être soutenue par la Confrérie !

Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec un militant de la Coalition des jeunes pour la révolution, Amr Salah, suite à la manifestation du 9 septembre sur la place Tahrir. Il traduit l’approche d’une jeune génération entrée dans l’action politique à l’occasion de la révolution du 25 janvier. (Rédaction)

Comment percevez-vous la journée de mobilisation du vendredi 9 septembre ?

Amr Salah :{{}} La manifestation de vendredi dernier a été une réussite jusqu’aux événements du soir [affrontement devant l’ambassade d’Israël et du ministère de l’Intérieur]. Des centaines de milliers d’Egyptiens se sont rassemblés sur la place Tahrir pour réclamer un calendrier précis en vue d’instaurer une réelle démocratie et de mettre fin aux procès militaires intentés contre des civils. Les organisateurs – la Coalition des jeunes de la révolution, ainsi que quelques mouvements et partis politiques – ont réussi, avec les milliers de manifestants, à faire passer clairement le message d’accélérer le rythme des mesures afin de réaliser les objectifs du soulèvement du 25 janvier.

Mais comment expliquez-vous le désordre et les incidents qui ont eu lieu par la suite ?

A 18h, les manifestants ont évacué la place Tahrir comme promis. Quelques-uns se sont ensuite rendus devant l’ambassade d’Israël, à Guiza. L’absence de policiers gardant le périmètre m’a choqué. C’est ce qui a permis à certains de pénétrer dans le bâtiment de l’ambassade. Aucun policier n’était visible. Ils ne sont intervenus qu’une demi-heure après que les manifestants eurent commencé à jeter par les fenêtres des documents trouvés dans les bureaux de l’ambassade israélienne. Cette inaction des forces de l’ordre soulève de nombreuses interrogations.

Êtes-vous pour la thèse d’un complot de la part des policiers ?

Il y a certainement des questions à se poser concernant cette absence sécuritaire. Même si la sécurité centrale suscite la colère des gens, la police militaire aurait dû se trouver autour de l’immeuble de l’ambassade. Une vidéo s’est répandue sur Facebook, montrant la facilité avec laquelle certains ont réussi à investir l’ambassade : je ne comprends pas pourquoi, c’est comme si ces personnes connaissaient le chemin et les accès.

Je me demande comment et pourquoi aucun policier de la sécurité, ni des forces armées, n’a pu les arrêter avant de monter aux étages supérieurs. Selon moi, c’est vraiment bizarre. Les premières bombes lacrymogènes pour disperser les manifestants n’ont été jetées que 30 minutes après le lancement des documents par la fenêtre.

Qui seraient les bénéficiaires d’une telle situation ?

À mon avis, il y a beaucoup de partis et de personnes qui voudraient saborder la révolution. Cela a été clair dès la prise du pouvoir par les militaires. Certains suivent, en effet, le principe « d’une réforme de la révolution », notamment en tardant à répondre aux revendications des manifestants. Je pense que ces derniers n’ont pas retenu la leçon de l’ancien régime de Moubarak, qui ne répondait pas non plus aux attentes de la population.

Les militaires commettent les mêmes fautes. Les caciques de l’ancien régime sont également impliqués dans la répression du soulèvement, soupçonnés de corruption. Ils vont essayer de gagner des sièges dans le prochain Parlement, à travers plusieurs nouveaux partis qu’ils sont en train de former actuellement. Il me semble que la manifestation de vendredi dernier est une sonnette d’alarme. Pour contrer ce mouvement, il se peut que le Conseil militaire veuille imposer des lois martiales et oppressives. Si c’est le cas, il s’agira d’un vrai problème et d’un tournant dangereux pour la révolution.

Cela pourrait-il avoir des conséquences sur les révolutionnaires ?

Depuis quelques mois, la révolution recule, parce que le Conseil militaire ne veut pas répondre aux revendications des manifestants. Pourquoi ce retard à réaliser la justice sociale, la démocratie et la liberté ? Les élections législatives auront lieu prochainement [novembre] et c’est affreux d’imaginer que le prochain Parlement puisse être formé à moitié d’islamistes et à moitié des résidus de l’ancien régime. Cela pourrait avoir comme conséquence une nouvelle vague de grandes manifestations et pourrait mener à une explosion de violence.

Comment évaluez-vous la position de la police, des militaires et du gouvernement ?

Concernant la police, il y a toujours un manque de sécurité 9 mois après la révolution. Il n’y a aucune raison pour justifier cette situation. Les policiers doivent reprendre leur place pour faire leur devoir, sans humiliation ni mépris des gens. Le ministre de l’Intérieur a complètement échoué dans sa mission. A propos des militaires, je suis pour la séparation du rôle du Conseil militaire de celui de l’armée égyptienne. Je pense que le CSFA ne croit malheureusement pas à la révolution et ne la reconnaît pas. C’est ce qui pousse le pays à la violence.

Le Conseil prend des décisions unilatérales, sans égard pour les autres acteurs de la vie politique. Cela pousse à se poser la question de savoir si le Conseil militaire est toujours engagé à réaliser les réclamations de la révolution. Et pour ce qui est du gouvernement, il est certain qu’il a échoué et est incapable de diriger même un seul quartier. J’attends la démission de Charaf après les incidents de vendredi, car le gouvernement actuel n’est, en réalité, qu’un secrétariat pour le Conseil militaire.

Quelles sont vos propositions pour sortir de cette impasse ?

Tout simplement, de répondre rapidement aux revendications des manifestants, sans prendre de décisions unilatérales. Je tiens à préciser qu’il faut continuer à lutter pour réaliser les aspirations du peuple égyptien. Feu les grands révolutionnaires Abdel-Wahab Al-Messiry et Mohamad Al-Sayed Saïd nous ont appris à toujours garder l’espoir, sans jamais céder les réclamations légitimes. Nous allons continuer jusqu’au bout.

Ces propos ont été recueillis par ?Rasha Hanafy pour l’hebdomadaire Al-Ahram.

Amr Salah

Égypte

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