Édition du 17 décembre 2024

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Politique québécoise

Développement minier : un nouveau modèle pour le Québec

Notes pour une intervention de Renaud Lapierre ing. LL.L, ex-sous-ministre adjoint au ministère des Ressources naturelles, Président de Viridis environnement inc.

Colloque organisé par l’Institut de recherche en économie contemporaine et la direction du développement durable — HEC Montréal, 22 novembre 2011

Mon intervention sera forcément de nature politique. Comment peut-il en être autrement lorsqu’il s’agit de ressources qui de droit appartiennent à la collectivité ? C’est pourquoi, d’entrée de jeu, je réclame l’élaboration d’une véritable politique d’ensemble d’exploitation des ressources naturelles du Québec ; politique qui se sera penchée, dans un premier temps, sur l’expertise de l’État et, dans un second temps, sur ses stratégies de délivrance des permis, d’industrialisation et de développement des régions, dans lesquelles se trouve enchâssée sa relation avec les autochtones.

Il n’y a pas de solution à la discussion ici engagée sans une volonté politique ferme, laquelle doit être claire, nette et précise. Il s’agit, en ce qui me concerne, de la base même de toute notre réflexion. Regardons ce que proposent Jean Charest et Raymond Bachand.

Fondamentalement, comme on l’a vu ce matin, ils favorisent la tactique du néolibéralisme à son meilleur : le modèle construit sur la compétitivité aveugle (il faut rester compétitif en tout, même à nos dépens) ; l’illusion du nombre d’emplois (il faut vraiment aller chercher des emplois) ; et, enfin, l’illusion des volumes d’investissement. Tout cela, curieusement, pour une ressource non renouvelable.

Or, si l’on avait adopté la même ligne de conduite pour l’électricité puisque, à ce moment-là, il n’y avait pas particulièrement de pays qui nationalisaient leur électricité et, par conséquent, osaient un autre modèle d’exploitation que celui fourni par l’entreprise privée, on serait dans une situation que tout le monde, aujourd’hui, déplorerait. Aussi ne faut-il pas craindre d’inventer des modèles. Et moi, je ne tremble pas de proposer d’autres modèles que ceux utilisés dans d’autres pays.

État des lieux

Quelle est la réalité ? La réalité, que l’on ne dit pas assez, est la suivante : nous avons du temps devant nous. Oui, nous avons du temps pour nous construire une véritable stratégie parce que le prix de la ressource, que nous avons dans notre sous-sol, ne va pas fléchir. Oui, ce prix connaîtra des cycles. Et le prix ne peut qu’augmenter, à l’instar du pétrole que plus personne ne croit qu’il diminuera. Pourquoi ? Sa rareté ! C’est une donnée sur laquelle nous n’avons pas assez tablé parce que, lorsque nous avons du temps, nous devons en user pour nous construire notre propre stratégie.

Pour mener à bien l’exploitation de nos ressources, j’affirme, à l’inverse de Bachand, qui dit que son 16 % de redevances est formidable parce qu’il faut que nous demeurions dans une situation de compétitivité, que l’État doit se fixer comme objectif — on verra les meilleurs chemins pour y arriver —, 50 à 70 % des profits générés par lesdites ressources parce que ceux-ci doivent profiter aux Québécois. Pourquoi la Norvège le ferait-elle avec les ressources qui sont dans son sous-sol et pas le Québec ? Il va de soi que pour atteindre un objectif aussi ambitieux, nous n’avons guère le choix d’avoir une véritable politique d’ensemble d’exploitation de nos ressources. Pour l’heure, ce qui est dans le Plan Nord n’est même pas le début d’une politique.

Politique d’ensemble d’exploitation des ressources naturelles du Québec

Si je reprends les différents éléments que devrait contenir une politique d’ensemble d’exploitation des ressources naturelles du Québec, ma première constatation, dans ce que présente le gouvernement Charest, c’est qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. Alors, que devrait-elle contenir ?

Tout d’abord, l’État doit recouvrer son expertise dans le domaine. C’est incontournable. On l’a vu, notamment, avec le gaz de schiste. L’État était, en effet, si démuni sur le plan de son expertise qu’il a pris au gré des vents n’importe quelle direction. Il n’y a pas à tergiverser, il faut reconstruire cette expertise gouvernementale en regard des ressources en général et des mines en particulier. Il faudrait même mettre sur pied une société nationale des ressources qui inclurait les activités non seulement minières, mais également énergétiques, terres agricoles et forêt. Voilà le premier élément d’une politique.

Quant au deuxième élément, il faut revoir la stratégie de délivrance des permis. Comme c’est la partie sur laquelle j’ai le plus réfléchi, je m’y attacherai plus loin un peu plus longuement. Pour l’heure, je me contenterai de préciser que la stratégie de délivrance des permis est, de mon point de vue, la clé de voûte de l’intégration d’une véritable politique globale.

Autre élément, le troisième, qu’il faudrait ajouter dans cette politique d’ensemble : le financement. Comment va-t-on financer l’ensemble de l’opération pour concrétiser cette politique ? Monsieur Parizeau, aujourd’hui, nous a heureusement donné un bon coup de main. Il a fait une suggestion des plus intéressantes — elle ne m’a jamais effleuré — quant à la façon dont l’État pourrait prendre des participations dans les entreprises, à savoir que le gouvernement monnaierait tout simplement ses investissements autour des projets miniers : route, port, électricité, etc.

J’ajoute, pour réflexion, ces données relatives à la place des Québécois dans l’investissement minier, données, on ne peut plus parlantes, tirées de la revue Les Affaires dans un numéro spécial sur les mines :
3 % est la part des minières québécoises à la Bourse de Toronto ;
30 %, celle des minières de la Colombie-Britannique à la Bourse de Toronto ;
0,75 %, celle des titres miniers dans le portefeuille de la Caisse de dépôt et de développement ;
23 %, enfin, est la partie occupée par les titres miniers dans l’indice TSX de Toronto1.

Ainsi, nous sommes loin, en matière d’utilisation de nos instruments financiers, d’avoir réfléchi à une stratégie qui nous permettrait d’être positionnés dans le domaine minier pour faire face à la demande du marché. De plus, afin que les Québécois participent à l’actionnariat du développement des ressources de leur territoire, il faut, sur le plan du financement, recréer ce que monsieur Parizeau et d’autres ont réussi à créer avec, entre autres, des mesures fiscales incitatives. Pour ce faire, il est nécessaire de se doter d’une stratégie fiscale qui permet aux Québécois d’être parties prenantes aux profits. Aussi, dans la récupération de 50 à 70 % des profits générés par nos ressources minières, j’en laisserais volontiers 10 à 15 % à nos concitoyens, d’autant plus que, si l’on se fie au rendement dont on parle, même dans les études que le gouvernement se plaît à nous montrer, par exemple, celle de Price Watherhouse, ces entreprises peuvent espérer un rendement supérieur à 50 %. Les concitoyens du Québec seraient bien en peine de trouver meilleur placement ! Il faut, par ces différents moyens, bâtir un Québec inc. des ressources.

Quatrième élément nécessaire, c’est une stratégie d’industrialisation. Comment s’y prendre ? Il est urgent, me semble-t-il, que le gouvernement et Hydro-Québec entament une étude exhaustive sur cette question de telle sorte que le gouvernement utilise ces données dans ses négociations avec les minières, ce qui n’a pas été fait à ce jour. D’autre part, il est sûr qu’aucune stratégie d’industrialisation n’est possible si l’État n’est pas partenaire et n’est pas représenté dans les conseils d’administration ou s’il n’a pas l’expertise requise pour négocier avec ceux qui ont les réponses sur l’utilisation de ces ressources et l’ensemble de la démarche d’industrialisation.

Enfin, il est tout aussi évident que, dans cette politique d’ensemble, il faut qu’il y ait une stratégie de développement des régions parce que, on le sait, on doit préparer maintenant l’après-ressource. Il faudrait faire preuve, cette fois-ci, de prévoyance : éviter de recréer le passé forestier et, dans certains cas, minier. Conséquemment, je crois qu’il est essentiel d’intégrer une politique d’adaptation progressive des régions touchées, sans oublier d’y incorporer une approche qui harmonise nos relations avec les autochtones.

Délivrance des permis

Revenons, dès à présent, au point que j’ai précédemment dit souhaiter vous entretenir plus en profondeur, à savoir la question de la délivrance des permis. Personnellement, je l’ai écrit quelquefois dans les journaux que, si cela relevait de moi, à partir de maintenant plus aucun permis d’exploitation ne serait délivré, à moins d’en conserver 50 % des droits à l’État. Par conséquent, dans sa stratégie de mise en œuvre de sa politique d’ensemble, l’État pourrait déterminer quelles ressources stratégiques sont les plus susceptibles de construire une industrialisation et choisir celles dont elle veut garder le contrôle du développement.

Dans la même veine — certains feront valoir que dans les zones minières intéressantes les permis sont déjà délivrés. Mais attention, nous sommes loin d’avoir exploré partout —, il faudra dévoiler sans détour aux minières quelle sera désormais la position de l’État. D’une part, les entreprises qui, à l’intérieur d’un an de l’annonce de la volonté de l’État de détenir 50 % des droits liés aux permis, n’auront pas encore commencé l’exploration des zones concernées verront leurs droits ramener à 50 %. Pour celles qui auront commencé dans cette année leurs activités d’exploration, elles verront 50 % de leurs droits rachetés par le gouvernement sur la base du prix coûtant des dépenses engagées, déductions faites des aides gouvernementales obtenues de tous ordres. Celles dont l’exploration ou l’exploitation aurait été amorcée et qui œuvraient dans les ressources jugées stratégiques dans la politique d’ensemble avant l’année présentant l’annonce de la politique du gouvernement se verraient, quant à elles, offrir le rachat de 50 % des actions de la compagnie opérante en tenant compte d’un ajustement pour toutes les aides fiscales ou autres obtenues du gouvernement. Si ces dernières ne souhaitaient pas collaborer, l’État aurait alors cette alternative : nationaliser ou ajuster le niveau des redevances pour atteindre l’objectif de 50 à 70 % des profits nets. Parce que le prix de ces ressources sera dans un proche avenir à la hausse, le temps joue en notre faveur, pourvu que, comme ce semble la règle aujourd’hui, on ne pèche pas par précipitation.

En définitive, je crois que pareille stratégie est tout à fait réalisable. Il s’agit, il va sans dire, d’avoir la volonté politique et de savoir résister aux sirènes qui — il faut s’y attendre — viendraient une fois de plus nous charmer de leurs discours pour mieux nous tromper. Dernière pièce à l’édifice, il y a malheureusement, selon moi, peu de secteurs — cela n’a pas été suffisamment dit —, lorsque l’on regarde le développement dans son ensemble du Québec, qui peut, dans un espace-temps aussi court de 20 à 30 ans, rapporter autant d’argent à l’État. Monsieur Allaire nous en a fait une démonstration éclatante. Pour ma part, je suis incapable d’en mentionner un autre. Alors, laisser passer cette occasion inespérée de créer à même le sous-sol des Québécois le maximum de bénéfices pour la collectivité, c’est raté une chance unique.

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