Édition du 17 décembre 2024

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Europe

Dette européenne - Et en plus, ils ne savent pas compter !

Une caractéristique des plans d’austérité européens est leur inefficacité patente pour résoudre les endettements publics et les déficits budgétaires des États. Ils sont de moins en moins nombreux ceux qui affirment que ces plans constituent un remède efficace à la crise.

Tiré du site du CADTM.

Il est difficile, en effet, de nier l’évidence : les entreprises ferment par milliers, le chômage atteint des sommets inégalés, les déficits publics et les dettes publiques continuent à battre des records, la récession s’est installée durablement en Europe. Tous ces plans d’austérité sont pourtant fondés sur des calculs, des prévisions à partir desquels sont élaborées des stratégies d’où découlent ces plans honnis par les populations. Et si ces calculs étaient faux ?

C’est ce qui se dessine aujourd’hui. La presse regorge de déclarations d’économistes du FMI ou de responsables d’institutions européennes pour signifier que les calculs qui fondent ces plans sont inexacts ou encore qu’il faudrait atténuer la dureté des mesures imposées, le remède risquant de tuer le malade. Ces plans aggraveraient la situation économique des États et impacteraient lourdement la croissance. C’est en fait toute la politique mise en œuvre depuis le début de la crise qui est contestée dans ses fondements. Au bout de 4 ans d’usage de ces plans, le constat est sans appel : la baisse des dépenses publiques (fonctionnement et investissement public) entraine une chute de l’activité économique et fragilise les recettes budgétaires. Les déficits publics grandissent et la dette publique augmente.

2 types d’erreurs ont été actés :

La première erreur, qui fait un « buzz » dans la presse économique, est celle de la relation jugée automatique entre le niveau de la dette publique et la croissance. À la lumière des crises passées, 2 économistes du FMI (Reinhart et Rogoff) ont fourni un bréviaire |1| aux néolibéraux européens pour justifier les politiques d’austérité. Ces derniers en ont fait une sorte de règle budgétaire. Selon nos édiles économistes, une dette supérieure à 90 % fait baisser la croissance de 1 %. Pour conforter cette thèse validée par le FMI |2| et devenue un dogme de la politique européenne, ils comparent l’évolution de 20 pays |3| de l’OCDE sur la période 1946-2009 et en concluent ce qui précède.

3 erreurs manifestes invalident pourtant cette projection :

1) Nos 2 maîtres à penser des institutions européennes se sont basés en effet sur la seule moyenne arithmétique de l’évolution du ratio dette/croissance sans tenir compte de l’évolution de la médiane (qui sépare en deux parts égales l’échantillon, une au dessus, l’autre en dessous). La différence de résultat entre les 2 méthodes est pourtant considérable : la moyenne indique une évolution de - 0,1% du PIB alors que la variation que donne la médiane est de + 2,1%. Cette différence de variation entre la moyenne et la médiane indique l’hétérogénéité des pays qui constituent l’échantillon.

2) Le choix de ces 20 pays semble arbitraire et selon les pourfendeurs de ces comptes, 3 pays ont même été oubliés (volontairement ?) des calculs. Intégrés dans les calculs, la chute du PIB ne serait plus de 3 points mais de 0,8 seulement.

La période choisie (1946-2009) est elle aussi considérée trop courte à l’échelle de l’économie mondiale et de l’histoire de ses crises. Sur la période 1880-2009, des pays comme la France, l’Italie, le Canada ou le Royaume-Uni ont connu des périodes associant des dettes publiques supérieures à 130% et une croissance soutenue du PIB. Le choix retenu de la période est donc insuffisant pour en conclure une automaticité entre dette et croissance.

Enfin, les auteurs ont tout bonnement omis, pour apprécier les déficits, de constater la baisse des recettes fiscales (baisse du taux moyen d’imposition et du taux marginal des pays de l’OCDE depuis 30 ans), se focalisant sur l’évolution des dépenses. Pour les États-Unis, les auteurs ne se sont pas préoccupés non plus de la baisse importante de l’épargne des ménages et du recours facilité à l’emprunt pour pallier la baisse du pouvoir d’achat des salaires de la grande majorité de la population.

De là à penser que les calculs ont été adaptés aux résultats attendus, il n’y a qu’un pas. La contestation de cette méthode pour le moins empirique conduit à dire qu’il n’y a pas de lien linéaire entre le niveau de la dette publique et la croissance du PIB d’un pays.

La seconde erreur, dont on parle moins mais qui est de taille, est la critique de plus en plus partagée du lien entre austérité et croissance. Selon les idéologues de la troïka, l’austérité (entendez la réduction des dépenses publiques et la rigueur pour la majorité de la population) devrait permettre un assainissement des finances publiques et donner un élan à la croissance. Pour justifier cette stratégie, le FMI considère que la hausse de la fiscalité directe entraine automatiquement une perte de croissance et que la seule bonne réponse se trouve du coté de la baisse des dépenses publiques.

L’augmentation de la fiscalité conduirait à une perte automatique de croissance. Ce lien entre budget et fiscalité d’une part et croissance d’autre part est appelé multiplicateur. De cette conviction érigée en théorème découle les politiques néolibérales appliquées par les gouvernements depuis le début des années 1980 et résumé par le chancelier social-démocrate Helmut Schmidt : « Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain ».

Pour le FMI, ce multiplicateur était de 0,5. Traduction : 10€ de hausse d’impôt implique 5€ de perte de croissance du PIB (10€ X 0,5). Le FMI révise maintenant ses calculs en indiquant que, tous comptes revus, ce coefficient multiplicateur, calculé sur les 80 dernières années, se trouve plutôt entre 0,9 et 1,7 selon la conjoncture. Nouvelle traduction : 10€ d’augmentation de la fiscalité produirait une variation du PIB se situant entre une perte de 9€ et un gain de 17€.

Conclusion : si le coefficient initial (0,5) pouvait fonder, aux yeux des libéraux, les politiques d’austérité (baisse des dépenses publiques et de l’impôt direct, surtout celui des tranches les plus élevées et des grandes entreprises), celui de 1,7 rappelle que mener une politique d’austérité en temps de crise est une aberration sans nom.

Ces déclarations et révisions de calculs ne sont suivies d’aucune remise en cause ni d’aucune atténuation des mémorandums imposés aux peuples des pays périphériques du Sud et de l’Est de l’Union Européenne. Ce sont les mêmes politiques et la même stratégie qui commencent à s’appliquer dans les pays plus riches du Centre de l’Union européenne.

On le savait déjà : ce n’est pas l’honnêteté intellectuelle qui caractérise les mentors du néolibéralisme et on ne peut attendre de ses laquais qu’ils révisent leurs stratégies.

La notion même de croissance que les édiles portent aux nues est plus que contestable (la croissance de quoi et pour qui ?). Pour bien comprendre la finalité des évaluations fausses et projections erronées du FMI, il suffit de remplacer le mot « croissance » par celui de profit.

Le propos n’est pas d’apporter des solutions à la crise économique et sociale mais au contraire d’en aggraver les effets pour mieux instaurer un talon de fer sur les populations et tout d’abord sur les salariés pour permettre la restauration d’un taux de profit plus conforme à leur avidité.

Ils peuvent, pour cela, compter sur les gouvernements en place, qu’ils appartiennent au camp de la droite traditionnelle ou à celui de la social-démocratie convertie depuis plus de 30 ans au social-libéralisme.

Notes

|1| Reinhart, Carmen M., and Kenneth S. Rogoff, 2010, “Growth in a Time of Debt,” American Economic Review : Papers and Proceedings, Vol. 100, No. 2, p. 573–78.

|2| Perspectives de l’économie mondiale, oct. 2012

|3| Australie, Autriche, Belgique, Canada, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Italie, Japon, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Norvège, Portugal, Espagne, Suède, Royaume-Uni, États-Unis

L’auteur est du CADTM France

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