Il préfère le sang humain
Ce virus a été identifié pour la première fois en 1947, en Ouganda, alors colonie britannique, raison pour laquelle il porte le nom d’une forêt de ce pays. A cette époque, il était transmis par un moustique sylvestre, Aedes Africanus, dont les cousins les plus proches, Aedes Aegypti et Aedes albopictus (moustique tigre), prolifèrent dans les zones déboisées de monoculture et d’exploitation minière, voire dans les régions urbaines contigües, où ils transmettent ce germe de la même façon.
Cependant, tandis que dans l’écosystème complexe de la forêt, une grande quantité d’agents pathogènes vivent en équilibre avec leurs hôtes, il en va tout autrement lorsqu’ils investissent un environnement bouleversé par la quête du profit, à l’époque du capitalisme mondialisé, portés désormais par des vecteurs habitués à vivre en étroit contact avec les sociétés humaines.
Avec la déforestation généralisée, l’expansion des monocultures d’exportation et l’urbanisation galopante du Sud global, Zika a ensuite contaminé l’Asie du Sud-Est, puis la Polynésie française, avant d’atteindre la Colombie en 2014, puis le Brésil en 2015, où son épicentre, à l’ouest de l’Etat de Bahia, correspond à la frontière actuelle de l’expansion néolibérale.
Dans cette région, des millions d’hectares ont été transformés en ranches et voués à la monoculture irriguée du soya, du coton, du maïs, du café, des arbres fruitiers, etc… pour l’exportation. Si bien que ces bouleversements écologiques ont provoqué une invasion de moustiques anthropophiles, qui aiment particulièrement le sang humain, du type Aedes albopictus, Aedes Egypti, ainsi que d’autres espèces porteuses de virus.
Zika et la microcéphalie
Sur le plan épidémiologique, il n’y a pour le moment qu’une certitude : les politiques économiques d’austérité, ont provoqué une misère endémique et démantelé les services publics et les prestations sociales existantes, même rudimentaires, en matière d’alimentation, de logement, de distribution d’eau, d’assainissement, de santé, etc. Elles sont pour cela responsables d’une exposition croissante des populations les plus pauvres aux maladies transmises notamment par les moustiques.
Mais si Zika a soudainement focalisé l’attention du monde entier et amené l’OMS a décréter un état d’urgence sanitaire mondial, c’est qu’il est fortement soupçonné d’avoir provoqué une épidémie de microcéphalie chez les nouveaux nés au Brésil, où plus de 1,5 millions de personnes ont été jusqu’ici infectées.
Mais pourquoi de telles malformations n’ont-elles pas été observées en Colombie, où 2000 femmes enceintes ont été aussi infectées ? Pourquoi les premiers cas de microcéphalie se sont-ils multipliés dans le Nordeste, avant même l’irruption avérée du virus ? Peut-être parce que, selon deux associations de médecins d’Argentine et du Brésil, ces malformations ont affecté des régions où un pesticide (qui détruit les larves de moustiques) a été systématiquement déversé dans les réserves d’eau potable.
D’où l’idée séduisante qu’une partie au moins de l’épidémie de microcéphalie en cours a a pu être provoquée par un agent chimique produit par un partenaire japonais de Montsanto : le Pyriproxyfen de Suminoto Chemical. Il a été en effet injecté dans les réseaux d’eau potable de certaines régions du pays, notamment dans le Nordeste (1500 cas de microcéphalie recensés), sur recommandation de l’OMS, pour lutter contre la prolifération des moustiques responsables de la dengue.
Or, la période de sécheresse et de rationnement de l’eau (de juillet à décembre) a pu favoriser une hausse anormale de la concentration de cet agent chimique dans l’eau consommée, ce que expliquerait le grand nombre de cas de malformations congénitales observé entre octobre 2015 et janvier 2016. Cette hypothèse n’a cependant pas pu être confirmée jusqu’ici par des investigations plus poussées.
Une affaire en or pour Big Pharma
Dans tous les cas, la prévention de Zika est une bonne affaire pour les laboratoires pharmaceutiques, en particulier depuis que l’OMS a pris les choses en main de façon spectaculaire. Les firmes pharmaceutiques sont désormais engagées dans une course de vitesse pour découvrir, tester et produire massivement un vaccin, à telle enseigne que Barack Obama vient de demander 1,6 milliard de dollars au Congrès pour soutenir la recherche US et emporter ce marché. Une bonne opération aussi pour rétablir le prestige et défendre la présence des Etats-Unis en Amérique latine, dans une période où les gauches au pouvoir y rencontrent des difficultés croissantes.
Des apprentis-sorciers travaillent aussi au développement de moustiques transgéniques, capables d’éliminer et de supplanter le principal vecteur actuel de la fièvre jaune, du virus du Nil occidental, de la dengue, du chikungunya, du virus Zika, etc. : Aedes Aegypti. C’est le cas de la société Oxitec, qui expérimente cet OGM volant aux îles Caïman, en Malaisie, au Panama et au Brésil (en particulier dans le Nordeste), alors que les autorités européennes ont refusé de tels essais sous nos latitudes en raison des dangers encourus.
En réalité, selon l’ONG GeneWatch, il semble que ces moustiques reconfigurés tendent à chasser Aedes Aegypti vers des régions limitrophes, favorisant la prolifération d’autres vecteurs plus difficiles à éradiquer, comme Aedes Albopictus. Qu’à cela ne tienne, la recherche sur les moustiques transgéniques envisage aussi des techniques plus sophistiquées et potentiellement effrayantes, fondées notamment sur l’utilisation de « gene drives » qui, en modifiant génétiquement quelques membres d’une population, peuvent propager cette mutation à l’ensemble des individus.
De telles manipulations pourraient par exemple stériliser une espèce, et contribuer ainsi à la détruire en quelques générations. Elle pourrait aussi, pourquoi pas, transformer un insecte en arme de guerre biologique. Dénoncées comme extrêmement dangereuses par de nombreux chercheurs, ces technologies ont cependant de nouveau le vent en poupe, dans le contexte actuel de dramatisation de l’épidémie Zika.
Réchauffement climatique et agents pathogènes
Que l’épidémie brésilienne de microcéphalie soit directement causée par Zika, par la concentration inhabituelle d’un pesticide dans l’eau potable, ou par une combinaison de facteurs encore inconnue, elle résulte plus fondamentalement des bouleversements sociaux et écologiques liés à la mondialisation néolibérale. En même temps, les moustiques vecteurs de nombreux virus ne cessent d’étendre leur champ d’action dans le monde.
Très répandus en Afrique, en Asie et en Amérique latine, ils commencent aujourd’hui à atteindre l’Europe et l’Amérique du Nord, ce qui explique sans doute la très forte médiatisation de ce nouveau danger. Mais que sait-on des raisons d’une telle expansion ? Elles s’expliquent certes par le développement accéléré des moyens de transports aériens, mais sont aussi en grande partie tributaires du réchauffement climatique global.
Pour prendre l’exemple des moustiques, ils se nourrissent généralement de pollens de fleurs, et ce n’est que lorsque les femelles pondent leurs œufs qu’elles ont besoin de sang comme complément protéiné. Or, ce cycle reproductif est accéléré par la chaleur, tout comme le temps d’incubation du virus dans l’organisme des insectes porteurs avant qu’ils ne puissent le transmettre par une piqûre.
La hausse des températures explique aussi l’expansion géographique des pathologies liées à ces insectes. C’est sans doute la cause de l’irruption de la malaria sur les hautes terres d’Afrique de l’Est, jusqu’ici épargnées. De même, la ville de Mexico ne paraît plus protégée pour longtemps, par son altitude (2500 m.), de la fièvre jaune, de la dengue ou du chikungunya. Les mêmes raisons contribuent sans doute à expliquer la diffusion de la maladie de Lyme (bactérie transmise par une tique) en Amérique du Nord ou de la fièvre catarrhale ovine (FCO, ou maladie de la langue bleue) parmi le bétail européen (NYT, 20 févr. 2016).
Tout comme l’épidémie d’Ebola, celle de Zika n’est pas une « catastrophe naturelle ». Les deux découlent des transformations sociales, écologiques et climatiques accélérées provoquées par la mondialisation capitaliste, qui soumet les sociétés humaines et l’environnement à un stress de plus en plus insupportable. La destruction des forêts tropicales par l’exploitation du bois, par la quête incessante de nouvelles ressources minières, par l’essor sans trêve des grandes monocultures d’exportation et par l’urbanisation démentielle, n’a donc pas fini de provoquer des cataclysmes qui font système. La diffusion de nouveaux agents pathogènes représente aujourd’hui l’un des aspects les plus dangereux et largement sous-estimés de cette course à l’abîme.
* Article écrit pour le site Viento Sur :
http://vientosur.info/spip.php?article11036