La nature du « saccage néolibéral » et la clarification de ce qui sera nécessaire pour y mettre fin
En écartant clairement la tenue possible d’un référendum dans un prochain mandat, Jean-François Lisée fixe au PQ la tâche de se débarrasser du gouvernement Couillard défini comme responsable du saccage de la société québécoise, de ses droits et de ses pouvoirs. Il reporte, encore une fois, à un avenir indéfini la lutte concrète pour l’indépendance du Québec. Il accepte de limiter la Proposition principale (le programme du PQ) à un cadre provincialiste. Il ne remet pas en question les axes centraux des politiques néolibérales : soutien au libre-échange, culte du déficit zéro et privatisation des services publics.
Le gouvernement Couillard a mené, de façon conséquente, des politiques néolibérales faites d’austérité, de privatisation, d’enrichissement des plus riches et de soutien aux politiques extractivistes et antienvironnementales. Il est pour le moins hasardeux de croire que nous pourrions en finir avec de telles politiques par la simple victoire du Parti québécois. La victoire contre Harper devait, semble-t-il, ouvrir une nouvelle phase dans la politique économique au Canada. Pourtant, le gouvernement Trudeau soutient le libre-échange ; il soutient l’extraction du pétrole tiré des sables bitumineux, mettant de côté ses prétentions à la lutte contre le changement climatique. Il refuse de s’attaquer aux paradis fiscaux… Si sur le plan social et culturel, sa politique est plus moderniste, sur ce qui compte vraiment pour la bourgeoisie canadienne, il garde le cap.
Au-delà de ces constats sur le rôle des acteurs politiques dans le saccage néolibéral, il faut comprendre la véritable nature du néolibéralisme si on veut le combattre. Le néolibéralisme cherche à étendre et à imposer la logique du capital à toutes les relations sociales. Il concentre le pouvoir dans les mains de l’oligarchie. Il discipline la population. Il exacerbe la lutte identitaire. Il développe la rage nationaliste. Il fragmente la société et il ouvre la voie à l’avancée de l’extrême droite. Il désactive la démocratie et impose une raison politique unique qui constitue une véritable cage de fer. Le néolibéralisme est bien davantage que des politiques économiques, c’est un système social total, une nouvelle mouture du capitalisme. [2] C’est là une réalité internationale qui trouve des traductions diverses, mais qui relève d’une même logique d’ensemble.
Le saccage néolibéral n’est pas e fruit d’un seul parti, fut-il celui de Philippe Couillard. C’est la politique de la classe dominante et des partis politiques qui acceptent de défendre ses intérêts ou qui sont incapables d’affronter ses exigences quand ils sont au pouvoir. Si l’objectif central est de « relancer le Québec sur la voie du progrès social », pour que les « Québécois-e-s voient se concrétiser au quotidien l’égalité et la justice sociale, il est nécessaire d’identifier clairement les obstacles qui sont devant nous dans cette voie. Pour élaborer une stratégie de lutte pour un tel objectif, il ne suffit pas de faire une description de la calamiteuse situation actuelle, il faut tenter d’expliquer les véritables processus qui nous amènent à une telle situation pour pouvoir déterminer les conditions de son dépassement.
Si au cours du dernier passage du Parti québécois au pouvoir, il a été amené à mener des politiques néolibérales (culte du déficit zéro, soutien au libre-échange, repris à son compte du Plan nord à peine rebaptisé, soutien à l’exploitation pétrolière et au transport du pétrole canadien en sol québécois, refus d’une réforme conséquente et redistributrice de la fiscalité...) c’est qu’il s’est rendu aux pressions et diktats de la classe dominante. Le Parti québécois n’est pas construit pour affronter les orientations néolibérales de la classe dominante et sa nouvelle passion pour l’accompagnement de la classe entrepreneuriale qu’il promet dans sa « Proposition principale », n’augure aucun changement sur ce point.
« Converger pour mettre fin au règne néolibéral », voilà une convergence qui exigera tout autre chose qu’une alliance, entente ou pacte avec le Parti québécois. Croire à une telle issue serait vraiment s’enferrer et se fourvoyer nous-mêmes et oublier les nécessités sociales et politiques de la lutte contre le néolibéralisme.
Converger... dans l’espoir d’obtenir une réforme du mode de scrutin…
Voilà une autre perspective mal assurée. C’est de « converger pour ne plus avoir besoin de le faire », soit pour obtenir la réforme du mode de scrutin. Ici aussi, la mémoire nous enseigne que le PQ a eu cette revendication pendant des décennies dans son programme, y compris pendant les nombreuses années où il formait le gouvernement. » Cette perspective de réforme a été retirée de son programme en 2011. Elle y revient en 2017… et cette réapparition s’inscrit dans ses manœuvres concernant la convergence en direction de Québec solidaire… Que ferait un éventuel gouvernement péquiste ? On n’en sait rien… La seule assurance que l’on peut avoir, c’est que cela dépendra des rapports de force au sein du caucus péquiste si jamais il forme le gouvernement. Ici aussi, penser une politique d’alliance dans ce cadre, c’est miser gros sur une hypothèse douteuse.
Converger pour dépasser la division du vote des souverainistes et progressistes…
Le texte affirme que « des forces vives du Québec souhaitent que ces deux partis (PQ et QS) trouvent une solution pour éviter de « diviser le vote » des Québécois-e-s souverainistes et progressistes et ainsi court-circuiter l’avantage « structurel » du PLQ. » [3]
Expliquer le recul du vote du PQ par la division du vote des souverainistes et des progressistes, n’explique rien du tout. Plus, c’est reprendre les explications du PQ sur son recul. En fait , le PQ a reculé :
a) parce qu’il est dans une crise stratégique majeure depuis l’échec du référendum de 1995 alors que sa direction n’a pas voulu ou n’a pas été à même de relancer la lutte pour l’indépendance depuis plus de 20 ans maintenant. Le PQ et les gouvernements péquistes, plus encore, ont toujours évité d’engager cette lutte et ils ont constamment reporté les échéances sur le choix référendaire. Jean-François Lisée s’inscrit dans une tradition bien établie. Cette politique de tergiversation et d’atermoiement a nourri le parti des abstentionnistes chez les souverainistes et a permis la fragmentation du mouvement indépendantiste dans plusieurs petits partis et mouvements qui ne ’en pouvaient plus de ce refus d’engager sérieusement la lutte pour l’indépendance. Option nationale n’est qu’une autre expression de ce rejet d’un autonomisme péquiste qui refuse de dire son nom.
b. D’autre part, depuis l’ouverture de la période néolibérale, les gouvernements péquistes ont capitulé très rapidement aux pressions de la classe dominante et ont renoncé à la majorité des mesures progressistes qu’ils avaient annoncées. L’expression « clignoter à gauche et tourner à droite » est la traduction populaire de ces reculs à répétition. Le gouvernement Lévesque en 81 s’était tourné contre le bloc social qui l’avait porté au pouvoir en 76 et 81. Il a mené une série d’attaques contre les travailleurs et les travailleuses du secteur public, particulièrement contre leur droit de grève. La décomposition du bloc péquiste a débouché sur la défaite de 85 et son entrée dans la démarche de réforme du fédéralisme canadien. C’est à la faveur de l’échec de cette réforme que la direction Parizeau est parvenue à reconstruire le parti pour tenir un référendum. Mais la défaite de 95 fut suivi, de la prise du pouvoir au PQ par des éléments conservateurs comme, Bouchard, Landry, Boisclair, Brassard, et autres Facal qui ont mené des politiques néolibérales. Les attaques contre les employé-e-s du secteur public lors des sommets socio-économiques de 1996, les politiques néolibérales dans les divers secteurs de l’économie, ont créé les conditions de la défaite du gouvernement Landry en 2003. C’est en tirant le bilan de ces politiques péquistes que la gauche sociale dans les mouvements syndical, populaire et féministe a conclu à la nécessité d’organiser la gauche politique et de rompre avec ce parti. Tout le travail devant mener à la recomposition de la gauche politique et à la formation de Québec solidaire provient de ce bilan. Le gouvernement Marois s’est inscrit dans un parcours similaire. Il a lui-même créé les conditions de sa désastreuse défaite de 2014, par ses politiques austéritaires, mais également par l’exploitation éhontée d’une logique identitaire dans le vain espoir de gonfler sa base électorale. Non, ce n’est pas la division du vote francophone, ce n’est pas l’existence de Québec solidaire ou d’Option nationale qui pose problème. Les fondements de l’affaiblissement du PQ sont directement liés à ses capitulations sur la terrain social et national. Expliquer cet affaiblissement, comme veut le faire le PQ, par la fragmentation du vote, c’est confondre les causes avec les conséquences.
Mais nous ne sommes pas d’abord dans un processus de répétition du même. Faire le bilan du PQ c’est expliquer pourquoi il était à 49,3% dans les votes en 1981, à 25,4 aux élections de 2014 et qu’il stagne à ce niveau encore aujourd’hui. Nous sommes par seulement dans un processus de fragmentation, nous sommes dans un processus de recomposition. La tendance générale est celle de l’affaiblissement du Parti québécois. Les derniers sondages le confirment.
L’important ce n’est pas tant la situation actuelle que la dynamique d’évolution et cette dynamique d’évolution du PQ, c’est la décroissance de ses appuis , le vieillissement de ses effectifs, le manque de confiance de plus en plus généralisé pour le type de parti qui représente un passé parsemé de défaites et de renonciations. La main tendue du PQ à QS apparaît de plus en plus comme la main tendue d’un parti qui désespère de vaincre par ses propres moyens... Ce n’est surtout pas le temps de s’arrimer de quelque façon que ce soit à ce navire en perdition.
Converger pour progresser et sortir de la marginalité
En fait, la base du raisonnement sur la nécessaire convergence de QS avec le PQ, c’est la recherche d’un raccourci pour un parti qui, pour beaucoup, semble se construire trop lentement. Mais, la conjoncture nous montre que les sauts qualitatifs sont possibles. Ce n’est plus 10%, mais 14% en termes d’intentions de votes qui sont déjà annoncés dans les sondages. 5 000 personnes sont devenues membres de Québec solidaire depuis quelques jours depuis le ralliement de Gabriel Nadeau-Dubois. Option nationale est en discussion avec QS et un rapprochement est en cours.
Québec solidaire progresse. Québec solidaire n’est pas seulement que la « conscience sociale » du Québec ou un tiers parti. Une recomposition est en cours. Elle va se poursuivre et procéder par bonds. Il s’agit de prendre acte que le véritable besoin pour la majorité populaire est la construction d’une alternative politique, d’un parti politique sachant articuler le combat contre le néolibéralisme, la résistance au patriarcat, la défense des droits des minorités culturelles et racisées et la lutte pour l’indépendance sur un axe de développement de la souveraineté populaire.
Pour mettre fin au règne néolibéral, un programme clair pour un parti-mouvement
Oui, la convergence doit impliquer l’ensemble des forces vives de la société québécoise : organisations syndicales, organisations populaires, féministes et jeunes... Mais le Parti québécois ne s’inscrit pas dans ces dernières, car ses politiques et son programme veulent contribuer à la pérennisation du capitalisme. Bien sûr, il y a des membres du PQ, qui sont partie prenante de ces forces vives. Elles sont minoritaires au PQ comme l’ont démontré les résultats de Martine Ouellet à la dernière course à la chefferie. Le PQ a fait ses choix comme parti et comme gouvernement. Bien sûr, ce jugement découle du bilan concret des pratiques réelles du PQ au pouvoir. Sans un tel bilan, on ne peut dégager des critères objectifs pour fonder notre politique.
Pour marquer la fin du saccage néolibéral – il faut un parti qui comprend la nécessité d’affronter la domination de l’oligarchie économique et politique et qui pense sa construction et ses alliances à partir de cet impératif. Un parti qui comprend que la victoire contre l’oligarchie repose sur l’unité et la mobilisation des mouvements sociaux et de leurs capacités d’en finir avec l’offensive néolibérale.
Le Parti québécois a fait la preuve, à de multiples reprises, qu’il est tout à fait incapable de s’opposer aux volontés de la classe dominante... Construire une alternative politique au néolibéralisme et à l’État canadien, c’est participer à une reconfiguration de la société civile et un renforcement de l’ensemble des forces antisystémiques afin qu’elles puissent s’opposer aux exigences de la classe dominante. Car le pouvoir véritable ne se limite pas aux officines gouvernementales ou au parlement. Il se concentre également dans l’appareil économique, les banques et les grandes entreprises, dans la bureaucratie étatique et les appareils de répression. Une véritable Alliance populaire ne peut être que le produit du renforcement des capacités de lutte des différents mouvements sociaux et de l’expression de cette volonté de lutte dans un parti qui sera capable de résister aux pressions et doléances de la classe dominante.
Pour faire face aux défis, les slogans et la bonne volonté ne suffiront pas. Les manœuvres tactiques devront s’inscrire dans des objectifs stratégiques clairement définis, sinon on ne pourra que nourrir des espérances qui risqueront d’être encore une fois déçues.