Le livre de Thomas Coutrot va réfuter tant l’identification abusive entre rationalité économique et capitalisme que celle entre capitalisme et démocratie. En fait, cette période du néolibéralisme est celle de la crise de la démocratie représentative. Le recul généralisé de la participation aux élections est un reflet patent de cette crise. Et cette réalité, nous dit Coutrot, s’explique facilement : « Les gouvernements, pourtant élus de la majorité, privilégient sans relâche les intérêts d’une minorité : progressistes ou conservateurs, de gauche ou de droite, ils promeuvent inlassablement privatisations, précarisation, amputation des droits sociaux, réductions des impôts des riches... » (p. 9)
Cette crise de la démocratie représentative n’est pas tombée du ciel. Elle est le fruit d’une entreprise de dépolitisation et de démobilisation. Déjà en 1975, la Commission trilatérale affirmait : « Le fonctionnement efficace d’un système politique démocratique nécessite un certain degré d’apathie et de non-implication de la part de certains individus et groupes. » (p. 40) Pour parvenir à cette fin et développer la nécessaire résignation, on a développé l’insécurité et les inégalités, on a toléré la corruption, le mensonge et le cynisme. Ce sont d’ailleurs les couches sociales les plus touchées par la précarité, le chômage et la misère qui sont les premières à décrocher.
Le centre de la pensée de Coutrot, c’est qu’on ne peut parler de démocratie, ou même de démocratie participative, sans poser le problème d’un contrôle citoyen sur l’économie. Son livre fait donc un bilan des forces et des limites des initiatives visant à établir un contrôle citoyen sur l’économie : expériences d’économie solidaire ou de commerce équitable, initiatives de contrôle citoyen sur les politiques des entreprises, remise en question du contrôle des actionnaires sur les décisions impliquant les droits des salariés...
En bref, quand le libéralisme économique détruit les fondements du libéralisme politique, c’est le libéralisme lui-même qu’il faut remettre en question. Quand l’inégalité croissante et le contrôle des grandes entreprises contribuent au recul de la démocratie en instaurant une inégalité d’accès aux ressources politiques, il faut instaurer une dynamique qui lie le contrôle citoyen sur les politiques de l’entreprise à l’élargissement de la démocratie participative.
Comme l’écrit si bien Coutrot, « Pour sortir par le haut du libéralisme, la démocratie doit se radicaliser au sens de s’enraciner dans les pratiques quotidiennes, et d’abord dans les pratiques économiques et productives ».
Si son propos est de rappeler l’indispensable complémentarité entre démocratie politique et démocratie économique, il ne le fait pas uniquement sur le mode du rappel des grands principes, il propose toute une gamme de revendications précises qui sont autant de pistes à explorer.
Les pistes proposées sont multiples mais convergentes. Il faut non seulement lire ce livre mais l’étudier pour tirer des leçons essentielles afin de ne pas rester empêtré dans les ornières du social-libéralisme et du capitalisme à visage humain qui ne mèneront qu’à de nouvelles impasses.
Il faut, nous dit Coutrot, qu’émerge une véritable « stratégie participative » pour sortir du capitalisme et construire un socialisme démocratique...