Nous, les gens des Îles-de-la-Madeleine, nous sommes les gardiens du golfe Saint-Laurent. Aujourd’hui, nous sommes ici pour faire entendre la voix des gens des Îles et des habitants du golfe.
Comme citoyenne des Îles-de-la-Madeleine, j’unis ma voix à celles de mes concitoyens et à celles des habitants du golfe Saint-Laurent.
Avec eux, je dénonce la consultation actuellement menée par une firme de génie-conseil mandatée par l’Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers sur la mise à jour de l’évaluation environnementale stratégique de la portion terre-neuvième du projet Old Harry.
Avec eux, je dénonce le trop court laps de temps accordé aux citoyens et aux organismes qui ont voulu s’y préparer, la trop grande proximité des intérêts de la firme de génie-conseil chargée de la mise à jour de l’EES, de l’Office et des pétrolières, la piètre qualité des informations portées à la connaissance du public lors des séances de consultation, le manque de transparence de tout le processus et l’absence de tout débat qui servirait réellement les intérêts de la population.
Avec eux, je m’oppose à toute exploitation des éventuelles ressources fossiles que contiendrait le golfe. En cherchant à exploiter les éventuelles ressources pétrolières et gazières dans le golfe du Saint-Laurent le plus vite possible, on ne va pas dans la bonne direction. Avec beaucoup d’autres résidents du golfe, je réclame un vrai moratoire sur le projet Old Harry.
Et, au terme du processus en cours, quelle que soit la décision prise, je m’engage à œuvrer avec eux de manière à ce que tout projet d’exploration et d’exploitation s’arrête le plus vite possible.
Si les entreprises privées sont autorisées à quand même réaliser leur projet, avec eux, je continuerai de m’objecter et d’intervenir de manière à ce que ce ne ce soit pas possible d’exploiter tranquillement les ressources du golfe en énergies fossiles en exigeant toutes les mesures de sécurité susceptibles de protéger le golfe.
Aussi, je m’unirai à tous ceux et celles qui réclameront des mesures de mitigation précises pour palier au pire et pour que soit augmentée de manière significative la capacité d’intervention en cas de déversement accidentel d’hydrocarbures dans le golfe.
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Pour moi, Old Harry, c’est non pour une tonne de bonnes raisons :
1. Parce que la voie des énergies fossiles n’est pas la voie à suivre pour un Québec plus vert et une planète plus en santé. Produire des énergies fossiles, c’est aller dans le sens de l’économie du XXe siècle, c’est creuser le problème des émissions de gaz à effet de serre (GES) qui sont de loin responsables des changements climatiques. On doit s’engager dans une voie qui nous amène à réduire nos émissions de GES, pas à les augmenter.
2. Parce que les habitants des Îles, de Terre-Neuve et des côtes du golfe Saint-Laurent sont les premiers menacés par les effets de ces changements climatiques. Ces dernières années, ici aux Îles, on est frappé de plein fouet par ces effets et jusqu’ici, nous sommes laissés seuls face à leurs conséquences : érosion accélérée des côtes, routes et infrastructures menacées… Et ce n’est que le début. Comme habitant du Québec et du Canada maritimes, notre responsabilité est d’aller vers un monde plus vert, pas d’ajouter à la production de GES
3. Parce que si des réserves existent, elles ne perdront pas de valeur avec le temps ; au contraire. Donc, rien ne presse.
4. Parce qu’actuellement, il n’y a pas de gestion intégrée du golfe, malgré que le golfe est un seul écosystème et que toutes les communautés côtières sont à risque avec le projet de forer le site de Old Harry, qu’il s’agisse de la portion terre-neuvienne ou de la portion québécoise de ce site. Puisque l’exploitation d’hydrocarbures dans le golfe du Saint-Laurent menacerait les cinq provinces frontalières du golfe, elle doit être décidée par les cinq provinces. En conséquence, leurs populations doivent être consultées correctement.
5. Parce que « le golfe Saint-Laurent est un écosystème fragile, unique au monde, où tout incident pétrolier pourrait avoir des conséquences désastreuses ». Il faut noter que l’exploration est aussi dangereuse que l’exploitation, même plus, diront ceux qui s’y connaissent.
6. Parce qu’encore une fois, nous constatons que l’évaluation environnementale stratégique en cours est menée par une firme qui a des intérêts dans l’industrie des énergies fossiles. Aussi, l’Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extra-côtiers est lui-même devenu un organisme qui fait la promotion de l’industrie pétrolière, alors qu’il a dans son mandat de protéger l’environnement. Nos inquiétudes sont vives quant à cette trop grande proximité des intérêts des organisations actuellement impliquées dans le processus, intérêts, bien sûr, en faveur de l’exploitation pétrolière.
7. Parce que, dans l’ensemble des provinces frontalières du golfe et au niveau fédéral, une importante révision des normes et des lois entourant l’exploitation de nos ressources naturelles s’impose. Dans la dernière année, le gouvernement de M. Harper a considérablement affaibli l’encadrement législatif et réglementaire entourant ce genre de projet d’exploitation pétrolière en mer, notamment la loi sur la protection des océans. C’est inquiétant de constater que les gouvernements provinciaux sont silencieux là-dessus, à croire que ça fait leur affaire. Dans ce contexte, qui assure que les intérêts de la population soient pris en compte ?
8. Parce qu’actuellement, les conditions ne sont pas réunies pour un encadrement environnemental adéquat. Les connaissances scientifiques actuelles sont loin d’être suffisantes pour une évaluation environnementale stratégique digne de ce nom, notamment sur la dynamique et les particularités du golfe Saint-Laurent (vent, températures, glaces…). Ces dernières années, les gouvernements fédéral et provinciaux ont détruit ou privatisé les ressources scientifiques indépendantes qui apporteraient une réelle crédibilité aux études qui sont nécessaires pour aller de l’avant. Notamment, le gouvernement du Canada a mis à pied ses scientifiques qui travaillaient sur ces questions. Ce n’est rien pour nous rassurer. Il sera long de reconstruire des ressources scientifiques indépendantes, libres des attaches qu’elles ont souvent aujourd’hui avec l’industrie.
9. Actuellement, le cadre réglementaire et de partage des bénéfices découlant de l’exploitation des ressources naturelles non renouvelables est loin de permettre un réel partage de la valeur de ces ressources au bénéfice des Québécois et des Canadiens, et plus particulièrement des populations des régions où ces ressources se trouvent. Dans ces conditions, on ne peut pas aller de l’avant.
10. Parce que les risques sont immenses pour les deux pôles socio-économiques des Îles et des communautés côtières du golfe Saint-Laurent que sont la pêche et le tourisme. À ce chapitre, les services écologiques rendus par le golfe Saint-Laurent pour les gens qui l’habitent dépassent les retombées économiques qu’on nous fait miroiter et qui ne sont souvent pas au rendez-vous pour les communautés côtières. Un exemple : la Louisiane est à la fois l’État qui produit le plus de pétrole et un des États les plus pauvres des États-Unis. À ce chapitre, je veux faire entendre les grandes inquiétudes des pêcheurs sur les développements qui pourraient se faire à Old Harry. Je me rappelle, lors du lancement de la Coalition Saint-Laurent aux Îles, avoir entendu un pêcheur dire, de manière bien imagée : « Nous autres, on le sait : une seule cuillerée à soupe de « fuel » et nos crustacés ne sont plus vendables sur le marché. » Ces propos sont corroborés par Émilien Pelletier, un scientifique de l’UQAR, qui nous a expliqué comment il fallait bien peu de pétrole pour que les crustacés, notamment, prennent le goût du pétrole et pour longtemps. Il y a un choix à faire : les pêches et le tourisme ou le pétrole.
11. Parce que l’actuel processus de consultation est carrément insatisfaisant.
12. Parce que l’exploitation des hydrocarbures dans le golfe Saint-Laurent n’est pas sécuritaire. Les Îles occupent une situation à la fois stratégique et très exposée dans le golfe. Actuellement, avant même une exploitation du site de Old Harry, ce n’est pas sécuritaire du point de vue du trafic des pétroliers dans le golfe. Nous n’avons pas la capacité de faire face au déversement d’un seul de ces gros pétroliers. En plus, « La loi fédérale limite la responsabilité financière des entreprises pétrolières à 30 millions $ sur la côte est. S’il y a une marée noire, les contribuables pourraient hériter du reste de la facture (…) ». Il faut que les Îles et le golfe soient mieux protégés des risques que nous font courir les pétroliers qui naviguent chaque bord de l’archipel. Dans le contexte de la « consultation » d’aujourd’hui, il est aberrant que la compagnie Corridor Resources refuse de revoir son modèle de déversement pétrolier dans le golfe du Saint-Laurent, un modèle qui a pourtant été sévèrement critiqué par les autorités d’Environnement Canada et de Pêches et Océans Canada et par les groupes environnementaux. Que cette pétrolière fasse aussi peu de cas de la sécurité environnementale du golfe, c’est une attitude totalement inacceptable et inexcusable qui témoigne de l’arrogance et du mépris de cette compagnie pour le golfe et ses habitants, alors qu’elle demande l’autorisation d’exploiter nos ressources en faisant des trous dans le plancher sous-marin du golfe Saint-Laurent.
13. Parce qu’actuellement, tout va beaucoup trop vite pour la capacité des populations, des municipalités et des groupes environnementaux – laissés à eux-mêmes, sans un financement qui leur permet de bien faire leur travail – de réagir.
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En conclusion, ni l’état actuel des connaissances scientifiques, ni le processus actuel de consultation, ni les conditions d’ordre légal, réglementaire, environnemental, fiscal et économique entourant le projet Old Harry ne sont en mesure d’offrir aux Madelinots, aux Québécois et aux habitants du golfe un encadrement digne de confiance et des retombées qui vaillent les risques encourus.
En conséquence, j’interpelle le maire des Îles, Joël Arseneau, la députée des Îles à l’Assemblée nationale du Québec, Jeannine Richard, le député de la Gaspésie-les Îles à la Chambre des Communes, Philip Toone, le ministre québécois de l’Environnement, M. Daniel Breton, et le ministre canadien de l’Environnement, M. Peter Kent, pour qu’ils fassent tout en leur pouvoir :
pour arrêter ce processus « bidon » actuellement mené par l’Office Canada-Terre-Neuve ;
pour qu’ils assurent la réelle prise en compte des intérêts des populations riveraines du golfe ;
pour qu’ils exigent une consultation digne de ce nom sous la forme d’un BAPE (nous parlons ici d’un BAPE réformé, pas du BAPE de ces dernières années, qui a perdu sa crédibilité) avant que quelque geste soit autorisé en matière d’exploration et d’exploitation dans le golfe Saint-Laurent, une consultation où toutes les connaissances scientifiques seront partagées, les intérêts exposés de manière transparente et les points de vue discutés ;
pour qu’ils favorisent une décision prise d’un commun accord par les cinq provinces concernées par le projet Old Harry ;
pour que cette décision soit celle d’imposer un moratoire sur toute exploration ou exploitation des hydrocarbures dans le golfe Saint-Laurent, le temps d’une génération.
pour que, quelle que soit la décision sur le projet Old Harry, on dispose aux Îles-de-la-Madeleine d’un centre d’intervention d’urgence en mer pour tout le golfe Saint-Laurent.