Laval pour les Montréalais, c’est notre mal-aimée, la ville qu’on se plaît à détester, une grosse joke de Rachid Badouri. Avec ses rues de bungalows à perte de vue, ses autoroutes qui découpent le territoire comme un saucisson, ses immenses centres d’achat, on se perd facilement dans une ville qui compte maintenant près d’un million d’habitants. Même si Laval reste encore aujourd’hui, un grand dortoir, la ville est en train de devenir un site industriel, technologique et même culturel, d’où la rumeur urbaine, -encore une blague de Montréalais- qui dit qu’elle est peut-être en train de devenir une vraie ville, celle qui était il n’y a pas si longtemps un territoire manipulé par des mafias grosses et petites.
Banlieue typique, sociologiquement éclatée, au style architectural et urbanistique valorisant les unités familiales, Laval n’a pas été labourée par des mouvements populaires. La gauche urbaine est pratiquement inexistante, de même que la gauche tout court. Peuplée par une forte majorité de francophones, avec des quartiers anglophones et italiens, Laval a longtemps voté pour le PQ, mais depuis déjà plusieurs années, c’est devenue une forteresse libérale.
Notre camarade Jean Trudel, l’ancien président de la Fédération des enseignants et des enseignantes du Québec, est le candidat dans la circonscription de Mille-Îles où il réside depuis 40 ans.
Comment ça se passe à Laval ?
On travaille ensemble avec les associations des six comtés, avec une petite équipe dynamique. On s’entraide, on se soutient, on pose nos pancartes ensemble sur un territoire travaillé au corps à corps par la CAQ, qui a eu l’habileté de présenter des personnalités connues, sans grande coloration politique d’autre part. La CAQ à vrai dire fait une sorte de politique qui dit qu’elle n’est pas politique. Il n’y a pas vraiment de programme, d’idées élaborées, donc pas de débats. C’est la politique dépolitisée. La consigne est évidemment de ne rien dire, à part le fait que la CAQ n’est pas le PLQ !
Qu’est-ce qui arrive au PQ ?
Il y a encore de nombreux péquistes, des rescapés de la belle époque, et des jeunes aussi, dont certains sont dynamiques comme Jocelyn Caron, le candidat dans Laval-des-rapides. C’est un directeur de PME qui se dit social-démocrate et indépendantiste. Il essaie de réanimer la flamme qui avait permis à Léo Bureau-Blouin de l’emporter en 2012. Comme bien d’autres péquistes, il ne veut pas trop s’associer au parti ou au chef. Le PQ, comme la CAQ d’ailleurs, bénéficient d’un fort sentiment de dégoût par rapport au PLQ, ses pratiques corrompues et autoritaires, et l’austérité qui a tant fait mal aux couches populaires et moyennes.
Comment QS réussit à se faufiler ?
Les résultats antérieurs de QS sont toujours restés inférieurs à 5 % à Laval. Ce n’est pas vraiment notre territoire, pour les raisons évoquées plus haut. Dans un environnement où il n’y a pas de débat politique, QS sort difficilement sur la map, faute de couverture médiatique. La plupart des gens savent à peine qu’on existe. Néanmoins, on espère aller en chercher un bon pourcentage, surtout chez les déçus du PLQ et du PQ, et même chez les gens qui pensaient voter pour la CAQ, et qui découvrent que c’est une coquille vide à chaque fois que François Legault ouvre sa bouche. L’électorat ici est tributaire de ce qui se passe à la télévision et dans les grands médias, où QS, avec difficultés, commence à apparaître comme une alternative. Mon espoir en fin de compte est d’aller chercher le même pourcentage de vote qu’on aura probablement à l’échelle de tout le Québec, au-dessus de 10 %.
Techniquement, la campagne se passe bien…
C’est énormément plus professionnel avec une équipe nationale comme on n’a jamais eue. Par exemple, on a eu du succès avec les fameuses pancartes. L’infrastructure mise en place pour prendre place sur les médias sociaux est excellente. Localement, on a une équipe d’une dizaine de personnes dédiées à temps plein. Cela nous permet de cibler certains quartiers, de faire du réel porte-à-porte (comme jamais auparavant), de tracter les lieux publics, de sortir dans la rue. L’accueil en général est très bon, même si on découvre que QS est davantage, aux yeux de beaucoup de monde, une rumeur plutôt qu’un parti ! Quand on a la chance de parler et de participer à quelque débat (comme celui qui au lieu au cégep Montmorency), on marque des points. Des gens viennent nous dire, presque en cachette, qu’ils vont nous appuyer. Bien sûr, il y a cet obstacle du « vote utile », qu’on nous met dans la face assez souvent. Mon espoir est, d’ici quelques années, qu’on puisse passer enfin à un mode de scrutin, comme l’ont promis tous les partis sauf le PLQ !
Quelles sont tes frustrations ?
Je trouve cela scandaleux que le débat électoral ne porte presque pas sur l’environnement. Je ne parle pas de QS, parce qu’on est bien en avance. Mais en général, c’est très secondaire et quand on en parle, il arrive souvent que les propositions de QS passent inaperçues.
Tu es un ancien syndicaliste, est-ce que tu trouves que QS a un écho dans ce mouvement ?
QS est plein de syndicalistes, mais on ne trouve pas beaucoup de syndicats qui décident de se mouiller explicitement. Il y a une certaine tradition de « neutralité » au Québec, contrairement à ce qui passe au Canada où les syndicats ont été longtemps associés au NPD. Il y a aussi les lois électorales contraignantes qui surveillent l’implication financières des corps constitués. Mais cela n’explique pas tout, car pendant des années, la CSN et surtout la FTQ ne se gênaient pas pour appuyer le PQ. Aujourd’hui, on sent une réticence par rapport à QS, en partie parce que des militants syndicaux continuent de se reconnaître, par vertu ou par nécessité dans le PQ. Il faut dire que plusieurs syndicats ont été malmenés par le bulldozer libéral, surtout dans le secteur public. La dernière négo a fait mal. Alors que les troupes étaient mobilisées, il y a un accord à la dernière minute qui a été perçu comme une capitulation par plusieurs. C’est peut-être une des raisons qui expliquent que les organisations syndicales ne veulent pas trop s’impliquer au moment où elles ne se sentent pas les reins assez solides.
C’est quand même un certain virage par rapport aux années précédentes…
Des responsables syndicaux, à la CSN notamment, disent que la centrale s’est affaiblie parce qu’elle faisait « trop de politique ». Ils ne voient pas à quoi sert le « deuxième front », qui avait été la marque de commerce de la centrale depuis les années 1970. Comme candidat de QS, je fais présentement la tournée des centres hospitaliers, notamment des CHSLD dont on connaît les conditions épouvantables. Les gens, travailleurs et professionnels, même les patients et leurs parents, sont convaincus que le problème est d’abord et avant tout politique
Si la CAQ parvient au pouvoir, cela risque de barder …
Si Legault est minimalement loyal à sa propre cause, il va lancer des assauts contre le secteur public. Il le dit déjà à mots couverts. Des responsables syndicaux vont peut-être regretter de ne pas avoir fait davantage pour le bloquer.
Est-ce qu’il est question d’indépendance et de souveraineté dans ta campagne ?
Ce sont des mots que je n’ai pas entendus une seule fois à Laval. Je ne pense pas que c’est parce que tout le monde est devenu fédéraliste. C’est parce que, je l’évoquais tantôt, la campagne est dépolitisée. Il n’y a plus vraiment de « grand projet » et pour participer au débat, même QS est obligé de se recentrer sur des objectifs à court terme, faciles à comprendre, concrets et quantifiables. Ce n’est pas un mal en soi, mais cela devrait susciter une réflexion sur l’évolution politique récente au Québec.
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