Paru sur le site Gauche anti-capitaliste
24/09/2020
Par Denis Horman
Crise sanitaire
Le Covid-19, une malédiction, une fatalité, une catastrophe naturelle ? Des virologues, des épidémiologistes, des biologistes… s’accordent pour identifier ce virus, et bien d’autres, comme des zoonoses, des maladies infectieuses atteignant les animaux et qui peuvent être transmises aux humains.
La destruction des milieux naturels d’espèces sauvages, sous les coups de la déforestation, le commerce et la consommation de ces animaux poussent au rapprochement d’espèces animales sauvages avec les animaux d’élevage et les humains. Le Covid-19 est une pandémie du néolibéralisme, un produit de cette phase néolibérale mondialisée du capitalisme(1).
Ce sont les multiples pratiques destructrices de la nature par l’extractivisme et le productivisme – induits par l’accumulation illimitée du Capital-, la déforestation – pour satisfaire les appétits de l’industrie du bois ou des promoteurs immobiliers-, l’élevage industriel intensif hors sol, le confinement d’animaux (élevage de volailles, porcs…) dans des conditions quasi carcérales – rentabilité et profit immédiat et maximum obligent- qui sont un terreau de cette pandémie, comme de bien d’autres.
Les trois quart des nouvelles maladies zoonotiques (maladies circulant des animaux vers les humains) sont apparues depuis les années 1960 (Ebola, sida, Coronavirus…). La pandémie de Covid-19 s’est répandue comme une trainée de poudre du fait de l’extension et de l’intensification des échanges économiques transnationaux, de la mondialisation du Capital. Ainsi, la délocalisation et la concentration de pans entiers de la production sanitaire (masques, appareils respiratoires, médicaments…) dans des « Etats émergents » (la Chine et l’Inde notamment), ne sont finalement que le résultat de la concurrence aiguë et féroce que la « mondialisation » du capital opère au sein des grands groupes pharmaceutiques. Une concurrence implacable qui s’appuie sur une surexploitation sans vergogne de la main d’œuvre locale et une rentabilité maximale allant jusqu’à sacrifier la qualité de la production aux profits escomptés.
La pandémie de Covid-19 projette un large éclairage sur la réalité du système capitaliste : un système mortifère, et, faut-il le préciser, porté et piloté par une infime minorité de la population mondiale. Ce système est, intrinsèquement, incapable de garantir, de protéger la vie, la santé, le bien-être de larges couches des populations. Quand bien même le virus disparaitrait (il peut revenir !), quand bien même un vaccin serait mis au point, d’autres pandémies surviendront aussi longtemps que les mécanismes qui sont responsables de celles-ci n’auront pas été éradiqués.
Faut-il pour autant se croiser les bras ? Bien au contraire ! La lutte contre le Covid-19 a fait monter en première ligne le personnel de la santé dans les hôpitaux, les maisons de repos, les soins à domicile, les maisons médicales…, ainsi que dans tous les métiers de la santé, ce qui comprend autant les services technique, ouvrier, administratif que soignant. Tous ces métiers sont subitement apparus comme essentiels pour garantir un des droits humains universels : le droit à la santé. Et pourtant, la plupart de ces métiers, pratiqués majoritairement par des femmes, sont loin d’être reconnus à leur juste valeur, à leur fonction essentielle, tant sur le plan social que financier.
Tout en assumant le mieux possible sa tâche, le personnel hospitalier et des soins de santé n’en a pas moins exprimé sa légitime colère en l’absence ou l’insuffisance de matériel de protection, du trop peu de personnel, de son hyper-flexibilité forcée, sans oublier l’absence d’une revalorisation salariale pour tous ces métiers. Ce personnel a surtout dénoncé les politiques néolibérales, portées depuis plusieurs années par des gouvernements mettant à mal des secteurs sociaux vitaux, en l’occurrence celui de la santé.
Sur la période 2012-2018, les deux gouvernements fédéraux successifs (Di Rupo et Michel) ont réalisé des coupes sombres pour plus de 20 milliards d’euros dans la sécurité sociale et les services publics, dont plus de 9 milliards uniquement dans les soins de santé(2). Les gouvernements Michel I et II (qui comptait notre actuelle Première ministre comme ministre du Budget) ont évoqué le « manque d’efficience » et la « surcapacité de l’offre » pour justifier les coupes draconiennes dans le domaine de la santé (902 millions d’euros) susceptibles de contribuer à « l’équilibre budgétaire » digne d’une « bonne gouvernance. »(3)
Crise économique
Le coronavirus ne contamine pas un organisme sain, mais un organisme déjà atteint de maladies chroniques(4).
Sans remonter bien loin, fin des années 1970, le système capitaliste fut à nouveau rongé de l’intérieur par une nouvelle crise économique endémique – en quelque sorte, une crise « classique » du système capitaliste- dont la baisse généralisée du taux de profit en est le signal le plus alarmant.
Si le profit est bien au cœur du processus d’ensemble de la production capitaliste, c’est à travers la vente des marchandises que la plus-value (sur-travail gratuit extorqué aux salarié.e.s), opère sa transmutation en profit. Alors, quoi d’étonnant à ce que les grands groupes industriels et financiers privés, soient pris d’une grosse fringale productiviste. Le logiciel de l’économie de marché est formaté pour produire, produire pour produire, vendre pour vendre et pousser à la surconsommation pour un profit immédiat et maximum.
Mais il arrive un moment où le mécanisme se grippe. La concurrence à couteaux tirés à laquelle se livrent ces groupes privés – concurrence inhérente au fonctionnement du système capitaliste -, débouche sur une accumulation de marchandises. Alors, se déclenche l’inéluctable engrenage de la surproduction de marchandises qui ne trouvent plus de marchés, ni d’acquéreurs solvables. Cette crise de surproduction n’a rien à voir avec une saturation des besoins sociaux, qui, eux, sont loin d’être satisfaits. .
S’en est suivie, au cours des années 1970, une nouvelle crise économique, avec la récession, le ralentissement de la production, la concentration du Capital dans les entreprises multinationales les plus performantes, entrainant la destruction de forces productives et ses déflagrations : les fermetures d’entreprises, les licenciements, l’accroissement du chômage…
Avec le concours du pouvoir politique, des différents gouvernements, le système capitaliste déclencha une offensive généralisée, Capital contre Travail : la consigne étant le rétablissement au plus vite et à tout prix du taux de profit. Le meilleur combustible pour relancer la machine à profit, c’est encore et toujours la main-d’œuvre humaine, une exploitation aggravée des travailleur/euse/s. La recette ? Des mesures antisociales fortes : sauts d’index ; gel des salaires ; flexibilité du travail ; cadeaux fiscaux aux grandes entreprises et aux grosses fortunes ; allègement des cotisations patronales -quitte à aggraver le déficit public- avec, comme conséquence, une augmentation de la dette publique, des coupes sombres dans de nombreux services publics, dans la sécurité sociale…
Les gouvernements Martens – Gol des années ‘80 allaient, sans état d’âme, utiliser les pouvoirs spéciaux et donner un fameux coup de main au patronat. C’est ainsi que les profits reprirent assez vite de belles couleurs. Si on n’en a pas tellement vu la couleur pour des investissements productifs, par contre, les CEO (directeurs généraux) et surtout les gros actionnaires des multinationales touchèrent le pactole. Les grosses fortunes allaient, de plus belle, prendre le chemin des paradis fiscaux. On y est allé allègrement pour des opérations financières largement spéculatives, des placements bancaires douteux. On nous faisait croire à un miracle profane quotidien par lequel une croissance de 2%, 3% peut « créer » une plus-value boursière de 15%, 50% et même 100% par an.
Fallait-il s’étonner, qu’en 2008, les bulles financières spéculatives aient éclaté avec leurs milliards d’euros partis en fumée. L’effondrement de ce « capital fictif » risquait bien d’entraîner l’ensemble des économies dans sa chute. Heureusement pour les capitalistes, ce sont les pouvoirs publics (avec l’argent de la collectivité) qui se sont, comme d’habitude, portés à leur secours pour colmater leurs opérations irresponsables et criminelles.
En Belgique, ce sont près de 26 milliards d’euros que l’Etat belge a versé aux trois grandes banques (Fortis, Dexia, KBC) et l’assureur Ethias pour les remettre à flot. Ce sauvetage a joué un rôle déterminant dans l’augmentation de la dette publique et poussé les gouvernements successifs à gonfler la liste des mesures antisociales(5).
Dès son entrée en fonction (décembre 2011), le gouvernement, dirigé par le socialiste francophone Elio Di Rupo, procédait à une réforme du chômage avec deux mesures : les exclusions du chômage et la dégressivité généralisée des allocations de chômage, des mesures qui allaient faire plonger une majorité de chômeur/euse/s sous le seuil de pauvreté.
Le gouvernement qui lui a succédé en octobre 2014, dirigé par le libéral francophone Charles Michel, y a mis toute la gomme. Il s’est montré très créatif dans l’allégement des cotisations patronales à la sécurité sociale. Il a fait passer le projet de loi, concocté par le ministre de l’Economie et de l’Emploi, Kris Peeters, sur « le travail faisable et maniable ».
Cette loi nous ramène quasiment un demi-siècle en arrière : allongement du temps de travail, flexibilité à outrance au détriment de la santé, dégradation des conditions de travail, contournement des syndicats pour la négociation individuelle salarié.e.s-employeurs, etc.
Crise sociale
Si le coronavirus n’est pas venu contaminer un organisme sain mais un organisme atteint de maladies chroniques, il n’en reste pas moins vrai que cette crise n’est pas une crise « classique » du système capitaliste. La spécificité de cette crise, c’est qu’elle est provoquée, alimentée et approfondie par un élément « extérieur », un virus, le Covid-19. Encore que cette pandémie, comme nous l’avons souligné, renvoie aux effets de l’agriculture productiviste sur les écosystèmes et l’intense circulation des marchandises à travers la planète, dans un capitalisme mondialisé. Mais sa principale caractéristique sans précédent est l’imbrication entre une crise sanitaire et une crise économique sous le signe du confinement(6).
Il s’agit de mesurer la brutalité et l’ampleur de cette « crise sanitaire ». Elle n’a pas été, comme en 2008, déclenchée dans la sphère financière. Elle s’est directement répercutée dans ce qu’on appelle l’économie « réelle », au cœur-même de la production, du fonctionnement du système capitaliste.
Dans la seconde moitié du mois de mars, plus de 3 milliards de personnes étaient sommées au « confinement ». Un confinement impossible pour la majorité des gens (en Asie, Afrique, Amérique latine..) qui doivent se débrouiller au jour le jour sans filet social de sécurité. Début juillet, le Covid-19 avait déjà provoqué près de 600 000 décès dans le monde. Début août, l’’Organisation mondiale de la santé (OMS) signalait que la planète devait se préparer à une très longue pandémie : plus 17,6 millions de personnes étaient contaminées dans le monde et plus de 680 000 en sont déjà mortes.
Toutes les études montrent que les classes populaires sont les principales victimes de la pandémie. Celle-ci a encore davantage éclairé les inégalités sociales. Sur une population active de 3,3 milliards de personnes, plus de 4 personnes sur 5 ont été touchées par la fermeture totale ou partielle de lieux de travail, selon les estimations de l’Organisation internationale du travail (OIT).
En Europe, la part du chômage « économique » a explosé. En Afrique, en Amérique latine et en Asie (jusqu’à 90% en Inde), une part importante de la main – d’œuvre, travaillant dans l’économie informelle, a avec la pandémie perdu emplois et revenus. De plus, elle n’a pratiquement aucune protection sociale et peu d’accès aux services de santé.
Quand on pense que, sous l’injonction du Fonds monétaire international (FMI), les pays d’Afrique sub-saharienne dépensent plus dans le service de leur dette que pour des secteurs essentiels comme la santé et l’éducation ! Dans ces pays et bien d’autres (en Asie, en Amérique latine et même aux Etats-Unis), des millions de personnes sont forcées de choisir entre la faim ou s’exposer au Covid-19, vu les carences criminelles de protection sanitaires, les coupes sombres dans un secteur vital comme la santé publique ou encore l’absence de sécurité sociale.
En Belgique, environ un tiers de l’économie était en confinement. Plus d’un million de travailleur/euse/s ont été mis en chômage temporaire, soit 30% des effectifs salariés, hors administrations publiques et éducation. Plus de 300 000 indépendant.e.s (4 sur 10) ont dû arrêter leur activité. Plus de 20% des chômeur/euse/s temporaires pourraient être licencié.e.s si les entreprises ne bénéficiaient plus des mesures politiques actuelles (chômage « coronavirus » pour les salarié.e.s) et droit passerelle pour les indépendants (allocation financière mensuelle). Entre faillites et licenciements, plus de 200 000 personnes pourraient rejoindre les 476 000 demandeur/euse/s d’emploi inoccupé.e.s, enregistré.e.s l’an dernier. On peut s’attendre à une vague de licenciements, dont une partie était déjà programmée, avant la crise sanitaire.
Des entreprises n’hésiteront pas à profiter du choc de cette pandémie et son maquillage en catastrophe « naturelle » pour se refaire un peu de santé avec les recettes d’exploitation de la force de travail. La seule « santé » qui compte pour le système capitaliste est celle de l’accumulation des profits, du taux de croissance capitaliste – l’augmentation du produit intérieur brut -, celle de la compétitivité, de la vigueur concurrentielle, celle des marchés, de la finance, de la Bourse. Cette « santé » du capitalisme, déjà bien malmenée, avec le déclanchement, dès les années 1970, d’une longue crise endémique, s’est dégradée à grande vitesse de mars à mai 2020, bien plus rapidement et bien plus fortement que lors de la décennie précédente avec la grande crise financière de 2008.
La pandémie de Covid-19 et le « grand confinement » ont déclenché une mise à l’arrêt de pans entiers de l’économie. Le PIB mondial, qui avait reculé de 0,5% en 2009, devrait chuter de 6% cette année. Pour l’ensemble de l’OCDE, la baisse est estimée à 7,5% et même de 11,5% pour les pays de la zone euro. Pour la Belgique, le Bureau du Plan estime le recul du PIB de 8%, cette année. La Banque nationale de Belgique (BNB) entrevoit un repli de 9% de l’activité économique en 2020, sa plus forte contraction depuis la seconde guerre mondiale.
Avec la crise sanitaire, on vient d’assister à un véritable bouleversement. Comme à chaque crise capitaliste, mais bien plus qu’en 2008, les Etats et les institutions financières internationales ont jeté aux orties tous leurs principes(7). Le dogme de l’économie dominante (« néo-classique ») et les règles « libérales » qu’elle a inspirées (l’équilibre budgétaire : pas question de déficit dépassant les 3% ; indépendance de la banque centrale…) ont volé en éclats. La plupart des règles de l’orthodoxie budgétaire a été abandonnée.
Un peu partout, les gouvernements ont déversé des sommes considérables pour endiguer la pandémie et surtout atténuer ses effets économiques, dans les PME et chez les petits indépendants en particulier, pour maintenir, tant bien que mal, le revenu des salariés et restaurer au plus vite l’activité économique.
A ce propos, on se souviendra longtemps de la réflexion de l’Administrateur-délégué de la FEB, Pieter Timmermans, dénonçant, début mars, les « mesures disproportionnées » de la lutte contre le Covid-19, et poussant à une reprise généralisée du travail : « L’endroit où vous travaillez est peut-être le plus sûr pour ne pas être contaminé ». Belle illustration de l’analyse de K.Marx : « Le travailleur (et la travailleuse) sont, avec la terre, les deux sources d’où jaillit toute richesse ». Et le profit de l’entreprise dépend de l’exploitation de la force de travail ! Une grande enquête Coronavirus, réalisée par l’Université d’Anvers, allait indiquer que plus de la moitié des personnes ayant contracté le Covid-19 a vraisemblablement été contaminée au travail, un grand nombre travaillant dans le secteur des soins de santé.
La Commission européenne en arrive pour la Belgique à un trou budgétaire de 8,9% du PIB. Et le Bureau du Plan estime que le déficit public 2020 pourrait tourner autour de 9%. Celui-ci se chiffrerait à plus de 45 milliards d’euros.
Le gros des dépenses s’est concentré sur le chômage temporaire qui pourrait coûter à lui seul plus de 4 milliards d’euros. Arrêtons-nous un instant sur cette dépense. C’est bien la sécurité sociale (financée à plus de 80% par les salarié.e.s ) qui paie ce chômage « temporaire », sans aucune intervention des employeurs. Il y a même des entreprises commerciales qui ont mis du personnel en chômage temporaire et qui lui demandait quand même de travailler depuis la maison. D’autres entreprises mettaient (y compris rétroactivement) du personne malade en chômage temporaire pour ne pas payer le mois de salaire garanti(8).
Les finances publiques et celles de la Sécurité sociale, déjà considérablement détériorées par la réduction des cotisations patronales à la Sécurité sociale ainsi que tout le dispositif des aides et cadeaux fiscaux octroyés aux entreprises par le pouvoir politique (le gouvernement Michel fut un des plus serviles !) vont plonger dans le rouge. Lâcher occasionnellement la bride sur l’équilibre budgétaire et donner du lest au déficit budgétaire pour préserver un tant soit peu le « pouvoir d’achat » n’est- ce pas une mesure temporaire clairvoyante pour éviter de possibles explosions sociales ! Mais la question est plus que jamais d’actualité : qui va combler cet énorme déficit public et la réduction d’une dette publique que l’on annonce à plus de 110% du PIB ?
Crise écologique
« La planète Terre – la création, le monde dans lequel la civilisation s’est développée, le monde avec les normes climatiques que nous connaissons et avec les plages océaniques stables -, est en danger imminent.
L’urgence de la situation s’est cristallisée seulement au cours des dernières années. Nous avons maintenant des preuves évidentes de la crise (…). La surprenante conclusion, c’est que la poursuite de l’exploitation de tous les combustibles fossiles de la terre menace non seulement les millions d’espèces de la planète, mais aussi la survie de l’humanité elle-même – et les délais sont plus courts que ce que nous pensions ».
Voilà ce qu’écrivait dans son livre, publié en 2009, l’ex-directeur du Goddard Institute de la NASA aux Etats-Unis, un des plus grands spécialistes mondiaux sur la question du changement climatique.
« En ce début du XXIème siècle, le train de la civilisation capitaliste n’a fait qu’accélérer sa course vers l’abîme, un abîme qui s’appelle catastrophe écologique. Il importe de prendre la mesure de son accélération vertigineuse. En fait, la catastrophe a déjà commencé, et nous sommes dans une course contre la montre pour tenter de contenir, puis d’arrêter cette fuite en avant »(9)
« La crise du Covid-19 est un avertissement. Alors que nous sommes au bord du gouffre climatique et que s’accélère l’extinction des espèces, elle nous montre comment les dirigeants gèrent une catastrophe quand ils ne peuvent plus en ignorer l’existence (…). « Sous des formes différentes, tous leurs projets poursuivent le même objectif fondamental qui épuisent les deux seules sources de toute richesse, la Terre et le travail humain (…). « La cause est ce mode de production accro au « toujours plus », toujours plus consommer pour pouvoir toujours plus produire (…). « Les maîtres du monde ne font rien. Pourquoi ? Parce que tous sont soumis aux diktats absurdes de l’accumulation du capital. En particulier ceux des multinationales de l’énergie fossile, dont l’objectif n’est pas le passage aux énergies renouvelables pour le bien de l’humanité et de la nature, mais le profit avant tout » (10).
La stratégie du choc
La « stratégie du choc », selon le célèbre ouvrage de la journaliste canadienne, Noami Klein, est une belle opportunité pour surfer sur la pandémie de Covid-19.
Par cette « stratégie du choc », il s’agit, pour le patronat et les Etats inféodés au capitalisme, d’utiliser l’éclatement d’une crise économique profonde, d’une catastrophe « dite » naturelle ou encore d’un attentat de grande envergure, et, suite à ces chocs, de profiter de la peur et la désorientation de la population, de la faiblesse relative de la résistance sociale, de la détérioration constante des rapports de force du Travail au profit du Capital pour faire passer des mesures antisociales fortes. Sans oublier des atteintes aux droits démocratiques, sous prétexte de situations exceptionnelles.
Il serait tout à fait justifié que le pouvoir économique, financier, responsable, au premier chef, de par sa nature et son fonctionnement, de cette crise sanitaire et économique, d’en payer l’énorme coût financier, social, humain. Il serait tout à fait illusoire de compter sur le pouvoir politique, responsable des décennies de démantèlement néolibéral de la santé publique, de « l’Etat-providence » pour le faire payer au patronat.
Aujourd’hui, il ne fait aucun doute que « nos » gouvernements vont tenter de profiter du choc économique, financier, social, psychologique de la « crise sanitaire » pour prolonger et accentuer la mise en œuvre de leurs politiques antisociales. Tout indique que l’on s’achemine, à nouveau, vers des dispositifs qui feront encore de la masse salariale l’une des principales variables d’ajustements permettant de rétablir la profitabilité des entreprises.
Hausse des inégalités, destruction de nos acquis sociaux, gel et réduction des salaires, allongement de la durée du travail, flexibilité tous azimuts, automatisation accélérée, relance de l’économie en réduisant au maximum les effectifs, licenciements, fermetures d’entreprises, soutien (avec l’argent de la collectivité) de « nos » entreprises dans la lutte concurrentielle, démantèlement programmé des services publics, augmentation du coût de la vie, renforcement du racisme dans toutes ses formes, ravage du patriarcat, destruction de la nature, les droits humains bafoués, en particulier dans la politique migratoire, odeurs rances d’Etat fort avec les exactions policières… tous les indices sont déjà là pour en revenir au business as usual.
Et le télétravail ! Quelle sera donc l’incidence de cette nouvelle forme de flexibilité acceptée ou imposée ? Pendant le confinement, près de 50% de la population active était en télétravail. Selon une enquête de l’Union wallonne des entreprises (juin 2020), 9 employeurs sur 10 veulent continuer à offrir à leurs collaborateurs la possibilité de faire du télé travail.
Cette forme de travail est déjà développée, de manière significative, au niveau européen. Un rapport Eurofound (2017) laisse apparaître la nature ambivalente des effets de cette nouvelle forme de travail sur la vie, la santé, l’équilibre entre vie privée et professionnelle des travailleurs/euse/s :
« Pour certains, la flexibilité spacio-temporelle rendue possible par l’utilisation des nouvelles technologies favorise la conciliation entre vie privée et vie professionnelle. Pour d’autres par contre, cette tendance à l’accomplissement des tâches indépendamment du lieu et à un horaire fixe entraîne nécessairement le risque d’intensification du travail. En ce sens, l’extension de l’utilisation des appareils mobiles, ainsi que l’expansion de l’Internet, renforcent la possibilité d’une connexion permanente, la prolongation de journée de travail (parfois jusqu’à tard le soir ou le week-end), et donc les risques professionnels associés à l’augmentation de la disponibilité temporaire des travailleurs. »
De nombreux témoignages sur le télétravail provenant de différents pays européens décrivent déjà cette réalité-là.
Sous prétexte d’adoucir les conséquences économiques de la crise du Coronavirus, avec la volonté d’avoir « davantage de personnes au travail pour assurer la continuité des entreprises », le gouvernement Wilmes, muni des pouvoirs spéciaux » avait déjà pris une série de mesures ayant de quoi réjouir les employeurs.
Qu’on en juge ! Augmentation des heures supplémentaires jusqu’à 220 heures, au-delà de ce qui est déjà autorisé actuellement, sans sursalaire, sans aucun droit au repos compensatoire ; possibilité pour les employeurs de mettre leur propre personnel à la disposition d’autres employeurs, sans concertation sociale, avec une perte de revenu possible, sans aucune garantie de protection suffisante dans le nouvel environnement social ; contrats courts à durée déterminée sans limitation ; autorisation du travail étudiant, de façon illimité, à bon marché, sans cotisations sociales ; activation accélérée de demandeurs d’asile, sans pour autant procéder à leur régularisation… sans oublier la belle opportunité pour des entreprises, qui étaient déjà dans le « rouge » avant la crise sanitaire, de mettre leur personnel en chômage temporaire. Chômage qui, dans bien des cas, s’est déjà traduit et se traduira, par la suite, en licenciements.
Notons que la plupart de ces mesures étaient déjà inscrites dans la loi Peeters.
L’urgente nécessité de « changer le monde »
Nous sommes confrontés à un système, le capitalisme, un système injuste, irrationnel, criminel, mortifère, fonctionnant sur l’exploitation d’une majorité de la population mondiale au profit d’une petite minorité qui étale au grand jour, sans scrupule, son opulence, bâtie sur l’exploitation et « en épuisant en même temps les deux seules sources d’où jaillit toute richesse : la Terre et le travailleur » (Marx, Le Capital, Livre I, chapitre XV)
Dans son dernier ouvrage, Trop tard pour être pessimistes ! Ecosocialisme ou effondrement, Daniel Tanuro souligne, à juste titre, que le capitalisme n’est pas transformable : « On ne change pas un glouton en mouton », écrit-il, n’hésitant pas à comparer ce système à un carnivore au corps massif et aux mâchoires puissantes.
Et il en fait découler : « il faut changer de système, liquider la société capitaliste et fonder une nouvelle civilisation, portée par de nouvelles valeurs… »(11).
Cette impérieuse nécessité s’illustre bien en revenant, par exemple, sur « la crise sanitaire » et ses implications :
« La crise sanitaire est le produit de l’organisation sociale et des choix précédents que les possédants utiliseront pour amplifier toujours plus durement l’ordre néolibéral, car c’est dans la logique interne du système capitaliste. Nous sommes dans une situation où la réalisation de la moindre revendication sociale implique donc des affrontements majeurs. Pour imposer à la classe dominante des décisions qui sauvent des vies et empêchent que les crises ne tuent autant, il faut qu’existent des forces de contestation du système assez crédibles pour pouvoir l’emporter. L’heure est donc à la reconstruction d’une alternative politique qui s’affirme explicitement comme menace pour les intérêts des possédants, et redonne espérance en la possibilité d’un monde meilleur, permettre l’intensification des luttes menées par les exploité.e.s et les opprimé.e.s. C’est sur ces questions qu’il faut travailler aujourd’hui » (12).
En posant les jalons d’une alternative à l’effondrement qui vient, le livre de Daniel Tanuro apporte une importante contribution au débat sur ces questions.
Dans le dernier chapitre de son ouvrage, intitulé La catastrophe grandissante et les moyens de l’arrêter, il commence par présenter l’alternative de société « écosocialiste pour ensuite brosser les grandes lignes du type de plan qui pourrait y mener. Et il termine, en soumettant à la discussion, la manière dont l’idée de ce plan pourrait grandir et son contenu se préciser dans les luttes concrètes. En précisant toutefois :
« Nous sommes parfaitement conscients du fait que l’alternative que nous proposons est extrêmement minoritaire, et même marginale. Mais nous sommes convaincus du fait qu’elle peut sortir de sa marginalité, car elle a le mérite qui s’attache aux choses qui sont vraiment nécessaires »(13).
On peut se réjouir, qu’au-delà d’une « petite minorité », portant quasiment l’ensemble de ce plan, des couches plus larges, dans la gauche politique, syndicale, sociale…, mettent en avant certains éléments de cette alternative de société, et cela dans des programmes, des revendications, des manifestes, des appels, sans toutefois les porter ouvertement et de manière conséquente dans des luttes concrètes.
Il y a nécessité et urgence de lier des revendications immédiates (par exemple sur les salaires et l’emploi, revendications justifiées et indispensables, mais toujours susceptibles d’être « récupérables ») à des revendications « dites transitoires ». Il s’agit, comme le souligne Daniel Tanuro « de casser le productivisme capitaliste en attaquant le problème à la racine : la concurrence pour le profit maximum par l’exploitation maximale qui entraîne la destruction (sociale et écologique) maximale »
En conclusion, c’est l’occasion d’illustrer les réflexions qui précèdent, en revenant sur la « crise sanitaire ». Il ressort clairement de la lutte contre le Covid-19 la nécessité de mettre fin à l’austérité criminelle dans le secteur des soins de santé, l’urgence d’un refinancement, la réévaluation des traitements, la réduction et le partage du temps de travail, accompagnés d’une embauche de personnel… Il ressort également dans la lutte contre le Covid-19 et d’autres épidémies, la nécessité de porter une autre revendication : l’expropriation et la socialisation de l’industrie pharmaceutique, afin que les vaccins, les masques, les tests, les médicaments… soient traités comme des biens publics mondiaux et non des marchandises destinées à une demande solvable.
Pour les grands groupes pharmaceutiques privés, la course au vaccin n’est pas d’abord stimulée par la santé de milliards de personnes. Leur véritable objectif, avec le concours de l’argent public (notre argent !), c’est de gagner cette course aux brevets avec, à la clé, des millions et milliards d’euros, et surtout de plantureux dividendes pour leurs actionnaires.
C’est pourquoi, se pose aujourd’hui, avec une acuité bien plus grande, la socialisation de l’industrie pharmaceutique. Cet objectif implique un véritable affrontement avec ces multinationales qui tiennent dans leurs griffes notre santé et nos vies. Il s’agit également, et ça va de pair, d’organiser de larges mobilisations et luttes unitaires contre « nos » gouvernements soumis aux intérêts capitalistes, à la loi du profit.
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Notes [ - ]
1. ↑ Paul Sébillotte, Rendre le pangolin familier, Pour une lecture anticapitaliste des pandémies, Contretemps (www.contretemps.eu), avril 2020.
2. ↑ ACIDE (Plate-forme pour un audit citoyen de la dette publique), Va-t-on nous rejouer le mauvais scénario de 2008 ?, Le Soir du 7/5/2020.
3. ↑ Bruno Frère, Prendre le temps du soin politique, in Politique (revue belge d’analyse et de débat),Covid-19, Tout repenser, N° spécial juillet 2020, p. 27.
4. ↑ Michel Husson, Economie, le néolibéralisme contaminé. Alencontre (www.alencontre.org), mars 2020.
5. ↑ Olivier Bonfond, Et si on arrêtait de payer ? 10 questions/réponses sur la dette publique belge et les alternatives à .l’austérité. Coédition Aden/Cadtm/Cepag, 2012, pp. 52-67.
6. ↑ Michel Husson, Le capitalisme sur le fil du rasoir. Contretemps, 12/07/2020.
7. ↑ M.H, ibid.
8. ↑ Felipe Van Keirsbilck, Coronavirus-Tsunami, premier regards sur le désastre. Périodique Ensemble, (In)justice du travail, n°102, juin 2020.
9. ↑ Michael Löwy, Qu’est-ce que l’écosocialisme ?Le temps des Cerises, éditeurs, 2020.
10. ↑ Daniel Tanuro, Trop tard pour être pessimistes ! Ecosocialisme ou effondrement. Ed. Textuel, 2020.
11. ↑ D.Tanuro, ibid., p.249.
12. ↑ Patrick Le Moal, L’omniprésence du CNR (Conseil national de la Résistance) : un substitut à la réflexion sur une situation immédiate. Contretemps, août 2020.
13. ↑ Tanuro, ibid. p.13.
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