Édition du 25 mars 2025

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Politique canadienne

Coûts et efficacité des politiques correctionnelles fédérales

L’Institut de recherche et d’informations socio‐économiques (IRIS) publie une étude sur les coûts du projet de loi conservateur C-10 sur la sécurité des rues et des collectivités (sic). Il y est clairement démontré qu’il s’agit là d’une approche qui ne contribue en rien à la réduction de la criminalité et engendre des coûts énormes qui seraient mieux investis dans la prévention et la réhabilitation. Nous vous présentons des extraits de l’étude.

La lutte à la criminalité est devenue l’une des principales priorités du gouvernement canadien. Par l’adoption des projets de loi C‐25 et C‐10, le gouvernement espère décourager la délinquance, notamment en appliquant des peines de prison plus sévères. Les mesures contenues dans ces projets comprennent notamment une modification du calcul des peines pour les criminels placés en détention provisoire, l’instauration de peines minimales automatiques ou de peines plus sévères pour les jeunes contrevenants et un durcissement des conditions de libération conditionnelle.

Le gouvernement affirme que toutes ces mesures permettront de combattre efficacement la criminalité au Canada, tout en représentant un maigre coût pour les finances publiques, tant au provincial qu’au fédéral. Dans cette note socio‐économique, l’Institut de recherche et d’informations socio‐économiques (IRIS) conteste ces deux affirmations.

Extraits du document

Diminution du niveau de criminalité

Paradoxalement, ces efforts du gouvernement canadien surviennent alors que le niveau de criminalité est en déclin au Canada depuis 1999.

Si l’on se base sur le volume de crimes rapportés à la police, il y a eu une baisse de 17 % en 2009 et de 5 % en 2010.

L’indice de gravité de la criminalité calculé par Statistique Canada a diminué de 22 % en 2009 et d’un autre 6 % en 2010.

La vaste majorité des Canadiennes et des Canadiens (93 %) se sont dits satisfaits de leur sécurité personnelle en 2009, une statistique inchangée depuis 5 ans

Malgré ces statistiques encourageantes, plus de 44 % des Canadiennes et Canadiens croient que le taux de criminalité a augmenté, et plus de 62 % d’entre eux pensent que le fait de punir plus sévèrement les contrevenant·e·s est la meilleure façon de réduire le crime.

Augmentation des coûts liés au système carcéral

Le budget fédéral de 2011 a été présenté sous le signe de l’austérité. Après avoir investi des milliards dans des mesures de stimulation économique à la suite de la récession économique, le gouvernement canadien, prétextant la nécessité d’un assainissement rapide des finances publiques, a sabré dans les dépenses. Des coupures de 2,2 G$ pour une période de 3 ans ont ainsi été annoncées dans le cadre d’un « examen stratégique et fonctionnel5 ». Il est significatif de constater que, dans ce contexte de rigueur annoncée, deux organismes fédéraux ont toutefois échappé à la cure de minceur gouvernementale : la Défense nationale6 et les services correctionnels.

Le budget du Service correctionnel du Canada (SCC) est passé, depuis 2005‑2006, de 1,6 G$ à 2,5 G$. Selon les prévisions gouvernementales, il devrait atteindre 3,1 G$ pour l’exercice 2013‑2014. Il s’agit au total d’une augmentation de près de 100 % en moins d’une décennie.

L’effectif du SCC, qui s’élevait à 14 663 personnes en 2005‑2006, en compte aujourd’hui plus de 16 587. À terme, c’est 22 061 employé·e·s que comptera le Service en 2013‑2014, soit une augmentation d’un peu plus de 50 % en 8 ans.

Ces évaluations pourraient être fortement sous‑estimées. En effet, ces prévisions budgétaires ne prennent pas en considération les coûts qui vont découler du projet de loi omnibus C‑10. En fait, le gouvernement fédéral n’a jamais communiqué le détail des coûts associés à ses politiques lors du dépôt d’un projet de loi traitant de questions judiciaires.

La facture refilée aux provinces

Bien qu’adoptés par le Parlement fédéral, plusieurs des projets de loi déposés auront d’importantes conséquences sur les finances publiques provinciales. Selon les évaluations du DPB pour le projet C‑25, ce sont les provinces qui devront assumer la plus grande part des nouveaux besoins de financement du système carcéral. Le DBP prédit que, pour le seul cas, par exemple, de la Loi sur l’adéquation de la peine et du crime12, entrée en vigueur le 22 février dernier, la responsabilité des provinces/territoires dans le financement du système carcéral passera de 49 % à 56 % en regard du palier fédéral. Les provinces devront assumer 78 % des coûts de construction de cellules neuves, c’est-à-dire 12 655 M$. La part du Québec pourrait à elle seule s’élever à 2 670,2 M$.

De 2007 à aujourd’hui, 22 nouveaux établissements carcéraux ont été annoncés ou construits alors que des agrandissements sont prévus dans 17 établissements au palier provincial/ territorial. Ces chantiers représentent 6 312 places supplémentaires, à un coût estimé de 3 375 G$14. Ces nouvelles places viseraient principalement à régler des problèmes de longue date quant à la capacité opérationnelle des établissements provinciaux, et non à préparer le terrain pour l’afflux massif de nouvelles et nouveaux détenus qu’entraînera toute adoption des projets de lois fédéraux.

Pour l’instant, quelque 9 projets ont été annoncés au Québec pour un total de 662 nouvelles places au coût total de 469 M$. Selon le plus récent rapport annuel de gestion du ministère de la Sécurité publique, le taux d’occupation des centres de détention provinciaux se situe à 98 %.

La réhabilitation : plus efficace et à meilleur prix

Il faut bien sûr souhaiter le plus faible taux de criminalité possible, mais il est aussi important de souligner que la situation s’est améliorée dans les dernières années sans qu’il n’y ait eu besoin de recourir à des sentences plus sévères et, de fait, plus coûteuses. Il est important de comprendre qu’un certain niveau de crime dans une société est inévitable et que plus le niveau de criminalité est bas, plus il devient difficile et coûteux de continuer à le réduire. À un certain point, les coûts économiques et sociaux associés à la surveillance, à la dissuasion et à la perte de libertés individuelles deviennent plus élevés que les bénéfices liés à la baisse du crime.

Plusieurs études48 montrent carrément que pour chaque dollar dépensé en prévention, les contribuables en économisent près de sept en coûts d’incarcération.

L’explosion des coûts liés aux nouveaux projets de loi va mettre beaucoup de pression sur les programmes de réhabilitation, qui risquent de souffrir si le nouvel afflux de prisonnières et de prisonniers ne s’accompagne pas de ressources supplémentaires conséquentes.

L’exemple le plus probant est sans doute celui de la Californie où, malgré des conditions d’incarcération « cruelles et exceptionnelles », les dépenses liées au système carcéral dépassent celles effectuées pour l’éducation postsecondaire. Les coûts actuels sont si exorbitants que le gouvernement californien est forcé de relâcher des milliers de détenu·e·s, faute de pouvoir assumer les coûts de leur détention.

Conclusion

Cette note socio‑économique a démontré le caractère trompeur des affirmations du gouvernement canadien en ce qui a trait à ses politiques de lutte à la criminalité. Les modifications apportées par les projets de loi C‑25 et C‑10 risquent fort de n’avoir aucun impact sur le taux de criminalité au Canada. Comme l’expérience des dernières années le démontre, une approche qui mise davantage sur la réinsertion et la réhabilitation des délinquants est plus à même de faire diminuer efficacement le nombre de crimes commis. Ce que la présente note ajoute au dossier, c’est qu’en plus d’être inefficaces, les mesures adoptées par le gouvernement s’avèreront très coûteuses pour les contribuables.

Elles exigeront des investissements d’au moins 18 802 M$ dans les infrastructures carcérales, ainsi que des coûts récurrents de 1 616 M$ pour le fédéral et de 2 222 M$ pour les provinces. En plus des investissements fédéraux, les modifications instaurées forceront Québec à investir 3 057 M$ dans ses propres infrastructures. Aussi, le projet de loi C-25 engendrera pour la province des coûts annuels supplémentaires de 407 M$75, et le projet de loi C-10, de 82 M$76. Le gouvernement du Québec prévoyait une enveloppe de 379 M$ pour la gestion de ses prisons en 2011-201277.

Ces coûts annuels supplémentaires représenteront donc une augmentation de 129 %. Comme le ministre de la justice Nicholson nous a promis que : « ceci ne marque pas la fin ; ceci n’est que le début de nos efforts à cet égard. Nous allons aussi introduire d’autres législations »78, il nous semble important de rappeler l’existence d’autres pistes de solution. Par la réinsertion et la réhabilitation, le gouvernement dépenserait beaucoup moins pour ses prisons – ce qui lui laisserait une plus grande marge de manoeuvre pour investir dans ses politiques sociales – et il miserait sur une approche qui a fait ses preuves.

Pour consulter le document : http://www.iris-recherche.qc.ca/wp-content/uploads/2011/12/Note-Crime-web2.pdf

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