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Europe

Coronavirus : les mauvaises priorités de la BCE et de l’Europe

Alors que l’épidémie de coronavirus déclenche un krach boursier mondial, ce n’est pas de politique monétaire ou budgétaire dont l’Europe a besoin, mais de politiques publiques de santé, de retour des États pour combattre la propagation du virus.

12 mars 2020 | tiré de mediapart.fr
https://www.mediapart.fr/journal/international/120320/coronavirus-les-mauvaises-priorites-de-la-bce-et-de-l-europe?page_article=2

Il y a beaucoup de généraux qui ont l’habitude de mener la guerre d’avant. Les autorités politiques et monétaires donnent l’impression de tomber dans le même travers face à l’épidémie de coronavirus : ils pensent être à nouveau dans une crise financière, comparable à celle de 2008, alors que ce que nous vivons est d’abord une crise sanitaire sans précédent touchant l’économie réelle au cœur. Et ces deux foyers de crise ne demandent pas les mêmes réponses que les marchés.

C’est pourtant vers les marchés financiers que toute l’attention des responsables monétaires et politiques est concentrée depuis plusieurs semaines. La chute, il est vrai, est impressionnante. Pour la deuxième fois en une semaine, les coupes circuits ont dû être déclenchés pour tenter d’enrayer la dégringolade spectaculaire des cours à l’ouverture. Mais rien n’y a fait. Les marchés de Paris, Francfort, Londres, de Milan, New York ont perdu entre 10 et 16 % pendant la séance. La pire séance boursière pour Wall Street depuis 1987, les marchés avaient alors dévissé de 26%

Si ce n’est pas un krach, cela commence à y ressembler bigrement. Depuis le 20 février, date à laquelle le monde financier s’est réveillé face aux dangers du Covid-19, ces différents marchés ont perdu entre 26 % et 35 %. Plus de 9 000 milliards de dollars ont été effacés.

Pourtant, tout a été mis en œuvre pour tenter d’enrayer la chute des cours, de redonner confiance aux financiers. Dès la semaine dernière, la FED a ressorti son arme monétaire et a abaissé ses taux directeurs à 0,5 %. Toujours pour rassurer le monde financier, elle a augmenté de façon spectaculaire ses liquidités sur le marché monétaire (Repo), qui donne de plus en plus des signes de malaise depuis septembre. De 100 milliards, elle a porté ses liquidités à plus de 150 milliards par jour.

Dans la foulée, la banque du Japon a annoncé qu’elle allait reprendre elle aussi sa politique d’assouplissement quantitatif (Quantitative easing) et recommencer à acheter des titres obligataires sur le marché. La banque d’Angleterre lui a emboîté le pas en abaissant le 11 mars ses taux à 0,5%.

Dans un tel environnement, la décision de la Banque centrale européenne, ce 12 mars, était très attendue. Cela a même été considéré comme le baptême du feu pour Christine Lagarde, présidente de l’institution monétaire depuis novembre. Celle-ci a déclenché le « bazooka » monétaire que tous attendaient. Si la BCE ne change pas ses taux directeurs qui sont déjà négatifs (– 0,5 %), elle est prête à utiliser tous les autres instruments monétaires à sa disposition. Sa politique de rachats de titres (Quantitative easing) qui avait été portée à 20 milliards d’euros par mois va être augmentée de 120 milliards d’euros jusqu’à la fin de l’année. Les banques qui bénéficient déjà de conditions de refinancement exceptionnelles seront encore plus soutenues dans le cadre d’un programme TLTRO III [Targeted Longer-Term Refinancing Operations, opérations de refinancement sur le long terme – ndlr] afin d’assurer le système financier d’une liquidité illimitée.

Enfin, le monde financier est parvenu, grâce à ces circonstances exceptionnelles, à arracher ce qu’il quémandait depuis longtemps : les règles prudentielles et réglementaires, qui avaient été mises en œuvre après la crise de 2008, vont être assouplies afin, là encore, d’alléger les contraintes et d’inciter les banques à prêter.

Afin d’accroître le pouvoir de ces mesures, Christine Lagarde a appelé les gouvernements à mettre en œuvre « une réponse budgétaire ambitieuse et coordonnée ». Sensibles aux critiques qui leur ont été adressées sur l’échec de leur politique après la crise financière de 2008 et la crise de l’euro qui s’en est suivie, tous les responsables européens ont promis qu’ils ne réitéraient pas les mêmes fautes. Cette fois-ci, ils se disent tous prêts à agir ensemble, à utiliser « tous les outils possibles » pour faire face à l’épidémie et aux risques d’effondrement économique auquel elle peut conduire. Politique monétaire et politique budgétaire vont marcher main dans la main en Europe.

Dès lundi, les ministres des finances sont censés élaborer un dispositif commun pour contrer les dégâts de l’épidémie de coronavirus. Avant même cette réunion, Angela Merkel a annoncé le 11 mars son intention de revenir sur la règle du zéro déficit, inscrite en lettres d’or dans la constitution et considérée comme un des principaux obstacles à une relance budgétaire européenne. « Nous mettrons l’argent qu’il faudra pour lutter contre l’épidémie, on verra après pour le déficit », a indiqué la chancelière allemande.

Tout cela aurait dû réjouir ou au moins rassurer les milieux financiers, leur redonner confiance. Pourtant, de la même façon que lorsque la FED a baissé ses taux la semaine dernière, que la banque d’Angleterre a réduit les siens hier, les bourses européennes – les seules ouvertes à ce moment-là – ont décroché lors des annonces de la BCE. En quelques minutes, le Dax, l’indice allemand, déjà en forte baisse, a perdu plus de 2 %.

Certains analystes justifient ces réactions par le fait que les interventions de la BCE ont été jugées insuffisantes, d’autres expliquent que les actions des banques centrales viennent nourrir l’inquiétude des financiers, ravivée par les décisions de Donald Trump. Mais le malaise est sans doute plus profond : il est lié à la prise de conscience par beaucoup que les banques centrales, grandes ordonnatrices du monde depuis quatre décennies, sont impuissantes face au coronavirus. Pas plus que les plans de relance à cinq ans ou que tous les allègements fiscaux ou sociaux pour les seules entreprises pourront apporter remède à la paralysie dont est saisie le monde.

Le besoin de politiques publiques

« Une politique monétaire ne peut pas réparer les chaînes d’approvisionnement cassées. […] Le président de la FED, Jerome Powell, ne peut pas rouvrir les entreprises placées en quarantaine […]. La politique monétaire ne fera pas revenir les clients dans les centres commerciaux ou les voyageurs dans les avions, car leur problème principal est la sécurité, pas le prix. Il en va de même malheureusement pour la politique budgétaire. Les crédits d’impôt ne vont pas faire redémarrer la production quand les groupes sont préoccupés par la santé de leurs salariés et les risques de dissémination de l’épidémie. Les allègements sociaux ne vont pas soutenir les dépenses quand les consommateurs se soucient de leur santé », explique l’économiste Barry Eichengreen, rappelant que les politiques macroéconomiques ne peuvent pas tout.

Pour cet universitaire pourtant très libéral, mais aussi pour nombre d’économistes tels que ceux de l’institut Bruegel, la priorité est de mettre tous les moyens disponibles pour soigner les malades, endiguer l’épidémie, soutenir les systèmes de santé. En un mot, faire des politiques publiques de santé, retrouver une action d’État.

C’est la seule réponse appropriée, selon eux, dans l’immédiat. Car plus l’épidémie s’étendra, plus elle durera, plus les dégâts seront considérables pour l’économie mondiale. Or, depuis que le coronavirus s’est diffusé dans les pays occidentaux, le plus frappant est d’abord cette absence de parole publique face au coronavirus. Et c’est cela aussi sans doute qui fait paniquer le monde financier : la paralysie progressive de toute l’activité, faute de réponses suffisantes des États, risque de provoquer un écroulement généralisé, d’autant plus violent et dévastateur que le système a accumulé des montagnes de dettes et de turpitudes au cours de la dernière décennie.

À l’exception de l’Italie, qui a accepté de mettre en danger son économie pour contenir l’épidémie, la principale préoccupation des dirigeants européens est de maintenir l’activité, de soutenir les entreprises, que tout continue comme avant, pas d’apporter des moyens à cette crise sanitaire. À l’exception là encore de l’Italie qui a dégagé plusieurs milliards pour lutter contre l’épidémie, acheter des médicaments et des matériels, recruter des personnels soignants, les autres n’ont rien annoncé.

Dans sa grande sollicitude, la Commission européenne a annoncé le 7 mars qu’elle saurait se montrer compréhensive face à l’Italie, si celle-ci ne respectait pas tout à fait ses objectifs de déficit budgétaire, prouvant une fois de plus son dogmatisme et son incapacité de dégager les réelles priorités.

La solidarité européenne s’est d’ailleurs encore illustrée dans cette crise du Covid-19. Loin de porter assistance à l’Italie dans cette crise sans précédent, tous ont préféré garder de par-devers eux les médicaments, leurs matériels. C’est la Chine qui a fourni à Rome des respirateurs, des médicaments, de l’aide.

Pour sa défense, la Commission européenne explique que les politiques de santé relèvent de chaque État. Pourtant ces dernières années, celle-ci ne s’est pas privée d’intervenir dans ces politiques de santé. Les dépenses hospitalières, de santé, ont été au cours de ces dix dernières années la cible privilégiée, les variables d’ajustement toutes désignées des programmes d’austérité européens. Les budgets de recherche ont été massacrés. Cela a été vrai en Italie, en Espagne, en France, en Grèce, en Irlande.À chaque semestre européen, les technocrates chargés de réviser les budgets des pays membres ont exigé de nouvelles coupes dans les personnels de santé, dans les moyens hospitaliers, dépenses jugées superflues, voire de luxe par rapport au sacro-saint 3 % de déficit.

Car il en a été de la santé, comme il en a été de l’énergie, de l’industrie et d’autres domaines : toute politique était censée

apporter une distorsion à la "main invisible du marché". Au nom de la "rationalité" économique, avoir des lits supplémentaires était considéré comme une gabegie. 10 000 lits ont été ainsi supprimés ainsi ces dernières années en France avec le personnel qui allait avec. 100 000 lits qui nous font défaut aujourd’hui.Les dégâts de cette politique se constatent aujourd’hui avec l’épidémie de coronavirus. L’ensemble des pays européens sont sous-équipés pour faire face à cette crise sanitaire. Alors même que l’épidémie n’a pas atteint son pic, tous les systèmes de santé donnent des signes de rupture. Depuis onze mois , les personnels hospitaliers sont en grève en France pour dénoncer le massacre de l’hôpital public et les manques de moyens humains, matériels et financiers.

La présidente de la BCE, Christine Lagarde, le 12 mars. © Daniel Roland/ AFP
Par dogmatisme, par aveuglement, les responsables européens ne donnent aucun signe de vouloir changer de ligne, d’inscrire les politiques publiques dans leur logiciel, comme le prouvent les décisions de la BCE. Dans son nouveau programme de rachats de titres, la BCE a indiqué qu’elle acquerrait d’abord des titres de groupes privés, pas des obligations d’État.

Or c’est tout le contraire qu’il faudrait faire : dans ces temps d’incertitude, la BCE devrait se ranger aux côtés des États, les aider à faire barrage face à l’épidémie en les aidant à financer des politiques de santé. Car là est l’urgence. On pourrait même imaginer que dans ces circonstances exceptionnelles, la BCE annule toutes les obligations d’État qu’elle a achetées ces dernières années, dans le cadre de sa politique d’assouplissement quantitatif, afin de soulager les États et leur redonner des marges de manœuvre financières. Pour une fois, l’argent irait au peuple et non aux banques.

Mais tout laisse à penser qu’on est loin, très loin d’une décision aussi audacieuse. Lors de sa conférence de presse, Christine Lagarde a commis un impair qui en dit long sur son incapacité à changer de cadre, à saisir le caractère exceptionnel de la situation. Elle a expliqué qu’il n’était pas « du ressort de la BCE de réduire les spreads entre les titres souverains ». En un mot, les divergences grandissantes de taux entre les obligations allemandes et italiennes, la cohésion de la zone euro, ne sont pas l’affaire de la BCE. Place aux marchés. Même s’il s’agit de mettre à mal la troisième économie européenne sous total stress sanitaire et économique.

Les financiers en ont tout de suite tiré une conclusion : la BCE n’est pas aux côtés de l’Italie, dans ces moments difficiles. Immédiatement après cette déclaration, les obligations italiennes ont été massacrées. En quelques heures, les taux des obligations à dix ans sont passés de 1,26 % à 1,76 %.

Le mauvais signal donné par Christine Lagarde pourrait être lourd de conséquences. Dans ces moments de tensions, il en faut peu pour rallumer les feux mal éteints de la crise européenne. Avec cette fois, la colère des opinions publiques en plus, tant l’Europe se montre incapable de répondre aux vraies priorités.

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