Tiré de Entre les lignes et les mots
Ce sont des scènes inouïes ; des manifestants crient « Xi Jin Ping démission, à bas le Parti Communiste, Démocratie Liberté », brandissent des feuilles A4 sans texte, symbole de censure, chantent l’Internationale.
Le point de départ de la vague de manifestations est la politique dite « Zéro Covid » imposée par le régime et ses conséquences délétères. Des quartiers entiers sont confinés pendant des semaines, sans pouvoir se rendre au travail ni se ravitailler. Les salariés de l’immense usine Foxconn ont eux aussi été confinés au sein même de l’entreprise et des centaines d’entre eux se sont échappés de l’usine. Or le « Zéro Covid » est lié au faible taux de vaccination, notamment des personnes âgées ainsi qu’à l’utilisation du vaccin chinois Sinovac sans technologie ARN messager. Sinovac est beaucoup moins efficace dans des schémas vaccinaux incomplets (deux injections) mais le pouvoir refuse d’importer des vaccins à ARN.
Wuhan, Urumqi, Pékin
Les lieux dans lesquels se déroulent les manifestations montrent qu’il ne s’agit pas seulement d’une réaction d’exaspération mais d’un mouvement profond qui chemine et se construit depuis une période assez longue.
C’est le cas à Wuhan point de départ de la pandémie et ville doublement martyre car soumise à un blocage répressif pendant des mois. Le symbole en est le médecin Li Wenliang qui avait été interpellé par la police le 1er janvier 2020 pour « propagation de fausses rumeurs ». Deux jours plus tôt, il avait alerté ses collègues sur un forum de discussion en ligne quant aux dangers de ce nouveau virus, comparables, selon lui, à ceux du SRAS. Très relatée par les médias officiels, cette arrestation ainsi que celle de sept autres médecins n’avait qu’un objectif : faire taire le corps médical et cacher le début de la pandémie. Le Dr Wenliang est mort du Covid le 7 février 2020 et les habitants de la ville lui ont sans cesse rendu hommage.
C’est aussi le cas dans la région ouïghoure dans le Xinjiang (Ouest) où dix personnes ont péri dans un incendie jeudi 24 novembre à Urumqi, capitale de la région. De nombreux posts circulant sur les réseaux sociaux en Chine accusent les mesures anti-Covid d’avoir aggravé ce drame, de nombreuses voitures garées pour cause de confinement dans l’étroite ruelle menant à l’immeuble en flammes ayant entravé l’arrivée des secours. Or il s’agit d’une population qui subit depuis des années une répression féroce et des actions génocidaires du régime, notamment par la stérilisation forcée des femmes ouïghoures et l’emprisonnement de centaines de milliers de personnes dans des camps de « rééducation ». L’Assemblée nationale française a d’ailleurs reconnu ce génocide en cours et alerté contre sa poursuite.
La tragédie d’Urumqi donne lieu à une grande vague de solidarité dans toute la Chine et à Hongkong. Ainsi la première protestation à Pékin s’est déroulée dimanche 27 novembre à l’aube dans la rue Wulumuqi – le nom en mandarin de la ville d’Urumqi. Près de la rivière Liangma à Pékin, plus de 400 jeunes Chinois s’étaient se sont réunis dimanche soir pendant plusieurs heures aux cris notamment de « Nous sommes tous des habitants du Xinjiang ! »
La mobilisation répétée des étudiants de Pékin, accompagnés de nombreux jeunes travailleurs précaires, rappelle évidemment le grand soulèvement de TienAnmen en 1989, écrasé dans le sang par la dictature au prix de milliers de morts.
Entre 200 et 300 étudiants de la prestigieuse Université Tsinghua à Pékin ont également manifesté dimanche sur leur campus, selon des images publiées sur les réseaux sociaux. Le témoin a rapporté que vers 11h30 (03h30 GMT), une étudiante a commencé par brandir une feuille de papier blanc et a été rejointe par d’autres femmes. « On a chanté l’hymne national et l’Internationale, et scandé : »la liberté triomphera », »pas de tests PCR, on veut de la nourriture », »non aux confinements, nous voulons la liberté » », a encore dit ce témoin.
C’est également le cas dans le monde du travail, symbolisé par l’usine géante de Foxconn qui fabrique 90% des IPhone d’Apple.
Des centaines d’ouvriers ont défilé mercredi 23 novembre dans la ville de Zhengzhou pour réclamer une prime promise par le géant taïwanais Foxconn, propriétaire de l’usine.
La ville du centre de la Chine qui héberge une immense usine d’iPhone pour Apple, a ordonné jeudi 24 novembre le confinement de six millions de personnes après une flambée de Covid-19 qui a entraîné de violentes manifestations sur le site industriel.
Des centaines d’ouvriers ont défilé mercredi devant l’usine et ont fait face à des policiers, lesquels étaient armés de matraques et habillés en combinaisons intégrales de protection blanches.
Dans la foulée, les autorités de Zhengzhou ont ordonné une grande campagne de dépistage dans plusieurs districts de la ville. Ces quartiers sont confinés pour cinq jours à partir de vendredi minuit. En clair, les habitants du centre-ville ne sont plus autorisés à quitter la zone sans un test PCR négatif et l’autorisation des autorités locales.
Une prime divisée par dix et des conditions de vie « chaotiques ».
Ces mesures concernent plusieurs quartiers, touchant environ la moitié des habitants de Zhengzhou. Elles ne couvrent pas la zone de l’usine d’iPhone, où les ouvriers sont déjà soumis à des restrictions depuis plusieurs semaines.
Un ouvrier a déclaré à l’AFP que les manifestations ont débuté en raison d’une polémique autour du montant d’une prime promise aux ouvriers de l’usine, propriété du géant taïwanais Foxconn, principal sous-traitant d’Apple. Selon ce travailleur, la prime serait passée de 3 000 à 30 yuans (de 400 à 4 euros), ce qui aurait provoqué un fort mécontentement au sein du personnel.
Plusieurs employés sont également excédés par les conditions de vie « chaotiques » sur le site en raison des restrictions anti-Covid, a déclaré cet ouvrier, qui veut rester anonyme pour éviter d’éventuelles représailles. Le mois dernier, des ouvriers, paniqués par le confinement inopiné de l’usine, avaient fui le site à pied, certains se plaignant de la désorganisation régnant sur place.
Le régime chinois prétendument communiste, maintient une main de fer sur la population et dans ces cas sur ces employés exploités au bénéfice de Apple et de son fabricant taïwanais. Le « modèle chinois », de capitalisme contrôlé par la dictature du Parti Communiste chinois représente un rêve pour de nombreux gouvernants et patrons à travers le monde : pas de démocratie, pas d’élections, pas de syndicats indépendants, pas de presse libre, pas de lois protectrices, pas de liberté d’expression, Internet contrôlé. Comme le disait Serge Dassault grand patron ultra-libéral « Les Chinois, ils travaillent 45 heures, ils dorment sur place dans leurs usines, ils font des bons produits pas chers. »
Dictature ébranlée, solidarité
D’ores et déjà la dictature chinoise est ébranlée. Elle a déjà recours à une répression tous azimuts, visant d’abord à empêcher le développement d’un mouvement plus vaste. La police a ainsi interdit d’accès les lieux où se sont déroulé les manifestations. Une censure a aussi été mise en place : sur les réseaux sociaux chinois, toute information concernant ces manifestations semblait avoir été effacée lundi. Sur la plateforme Weibo, sorte de Twitter chinois, les recherches « Rivière Liangma » et « rue Urumqi » ne donnaient aucun résultat lié à la mobilisation.
Le contexte de la guerre d’agression de Poutine en Ukraine, ainsi que du soulèvement en Iran secoue également le pouvoir de Xi Jin Ping. Il s’agit de deux régimes alliés de la dictature chinoise qui a farouchement combattu contre les mobilisations populaires du « Printemps arabe ».
Il est crucial que la solidarité internationale se porte aux côtés des Chinois-es héroïques qui se dressent contre l’arbitraire et l’oppression.
Memorial 98
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