Édition du 18 février 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le Monde

Célébrez 2025 alors que, maisons détruites et corps affamés et malades, nous nous faisons tuer par douzaines chaque jour !

Je rédigeais cet article dans les tous premiers jours de 2025. Heureusement, un accord de cessez-le-feu fut conclu mercredi, 15 janvier. Voir, dans ce même numéro de Presse-toi à gauche, l’article de Qassam Muaddi, L’accord de cessez-le-feu, explications.
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Le soir du 3 janvier 2025, me revenaient constamment à l’esprit les interventions que j’avais entendues en direct plus tôt dans la journée lors de la rencontre d’urgence tenue par le Conseil de sécurité de l’ONU à la suite du raid israélien de l’hôpital Kamal Adwan, le dernier encore fonctionnel dans le nord de la bande de Gaza, et durant lequel les forces armées israéliennes ont détenu le directeur de l’hôpital, le docteur Hussam Abu Safiya, ainsi que 240 patients, avant de procéder à mettre le feu à l’hôpital.

Auteur de Racines des actions génocidaires d’Israël à Gaza (2024) et My 9/11 Awakening to America’s Moral Crisis (2015) (Journal et lettres rédigés à Santiago durant et après le coup d’état chilien du 11 septembre 1973)

Les interventions qui me revenaient surtout à l’esprit étaient celles du représentant de l’Organisation mondiale de la santé dans les territoires palestiniens occupés, Watch Rik, du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits humains, Volker Türk, de la docteure Tanya Haj Hassan de l’organisation caritative Medical Aid for Palestinians (MAP), et de l’observateur permanent de l’État de Palestine, Riyad Mansour.

Ces interventions étaient tellement émouvantes et bouleversantes – Riyad Mansour avait parfois des larmes aux yeux – que, me tournant et me retournant dans mon lit, je n’arrivais tout simplement pas à m’endormir :

 À Gaza le nombre de morts ne cesse de grimper par douzaines chaque jour ; il atteint présentement 45 658 et le nombre de blessés dépasse 108 583 ; 90% de la population a dû se déplacer et la plupart des gens vivent dans des tentes, et plusieurs de celles-ci furent récemment inondées à cause d’une pluie torrentielle ; le froid de l’hiver qui arrive vient de faire mourir d’hypothermie sept nouveau-nés ; 22 pourcent de la population de Gaza est actuellement confrontée à des niveaux catastrophiques d’insécurité alimentaire aiguë, et 3 500 enfants risquent de mourir de malnutrition...

Plus de 17 000 enfants furent tués, et autant sont devenus orphelins ; les attaques israéliennes ont produit un nombre record d’enfants nécessitant une amputation, souvent, parce qu’Israël empêchait l’aide d’entrer à Gaza, sans anesthésie aucune ; Israël a tué un nombre record d’employés de l’ONU (333) et de journalistes (222), ainsi que d’employés de la santé (1 054), dont de centaines furent détenus et souvent maltraités et torturés – quatre de ces derniers, dont un médecin, sont morts en détention...

Les 12 000 gravement blessés à Gaza, dont de milliers d’enfants, attendent la permission d’être évacué à un autre pays pour recevoir les soins dont ils ont besoin, mais comme Israël limite au compte-gouttes ces permissions, leur évacuation, au rythme actuel, prendra de 5 à 10 ans, et plusieurs meurent en attendant ; depuis 15 mois, Israël a effectué 654 attaques contre des établissements de santé, et ne cesse de bombarder, détruire, et ordonner l’évacuation d’un hôpital ; seul 16 des 36 hôpitaux de Gaza demeurent partiellement fonctionnels, et pas une des 16 se trouve dans le nord de Gaza ; les hôpitaux encore fonctionnels ne peuvent offrir que les soins de base, ce qui condamne souvent à mort les personnes nécessitant des soins spécialisés...

En 2024, Israël n’a permis l’entrée qu’à 40% des missions d’aide que l’Organisation mondiale de la santé avait préparé pour Gaza ; en décembre 2023, la Cour internationale de justice estimait plausible l’allégation de l’Afrique du Sud selon laquelle Israël commettait un génocide à Gaza et entamait une enquête à ce sujet ; les experts mondiaux en matière de génocide et d’holocauste Amos Goldberg, Omer Bartov, et Raz Segal, la Rapporteuse spéciale de l’ONU, Francesca Albanese, le Comité spécial de l’ONU sur la Palestine, Amnesty International et Human Rights Watch ont tous conclu, après avoir mené leur propre enquête, que ce qui se passe à Gaza est bel et bien un génocide. »

Alors que, dans mon insomnie, je revois les images que j’ai vues, il y a quelques minutes, sur YouTube – ici, de centaines d’Israéliens et Israéliennes dans la rue de Tel Aviv en train de crier et de célébrer dans la joie l’arrivée de l’année 2025, et là, un enfant de quatre ans à Gaza qui, exactement au même moment, se projette en larmes arrache-cœur sur le cadavre de ses deux parents qu’Israël vient de tuer, avec onze autres Palestiniens dont des enfants...

Alors que je pense à l’intervention faite par la représentante permanente adjointe des États-Unis, Dorothy Shea, lors de la même réunion du Conseil de sécurité de l’ONU mentionnée plus haut, celle qui représente, comme on le sait tous, le seul pays au monde qui a la capacité de mettre fin à cette barbarie innommable, et ce dans à peine quelques heures, s’il en avait vraiment la volonté...

Alors que je pense à toutes ces choses, je sens surgir en moi un sentiment d’immense indignation et de révolte...

Pourquoi, je me demande, les États-Unis, au lieu d’intervenir et de mettre immédiatement fin à ce carnage et cette destruction, font exactement le contraire ? Pourquoi ont-ils fourni à Israël $ 18 milliards US d’aide militaire dans les derniers quinze mois ? Pourquoi, dans les toutes dernières heures et alors que la situation à Gaza est carrément apocalyptique, le gouvernement Biden a-t-il annoncé un autre $ 8 milliards US d’aide pour Israël ?

Le sentiment d’indignation et de révolte que je ressentais, le soir du 3 janvier 2025, est le même que je ressentais au Chili à la suite du coup d’état qui renversait brutalement le gouvernement de Salvador Allende en septembre 1973, alors que, dans mon appartement coin Miraflores-Monjitas à Santiago, j’écoutais, avec ma radio ondes courtes, les reportages que faisait la radio internationale officielle des États-Unis, Voice of America.

De même que la représentante des États-Unis, Dorothy Shea, ne fait que répéter comme un perroquet la propagande officielle de son allié israélien, au lieu d’attribuer à Israël la responsabilité des atrocités commises à Gaza, Voice of America, en 1973, ne faisait que répéter comme un perroquet la propagande officielle de la junte militaire chilienne, au lieu de décrire les énormes atrocités – exécutions sommaires, torture massive, censure totale, camps de concentration - que perpétrait la dictature Pinochet devant mes yeux tous les jours.

Telle était la différence entre la réalité que j’observais au Chili en 1973 et celle que rapportait Voice of America que cela me laissait carrément incrédule et pantois !

Cependant, je savais d’où venait cette différence. Elle provenait du fait que les États-Unis non seulement appuyaient le coup d’état chilien, mais avaient absolument tout fait, comme le révèle d’abondantes preuves, pour assurer son succès, offrant à la junte chilienne une solide assistance diplomatique, financière, et militaire.

Aujourd’hui, en janvier 2025, je vois une différence tout aussi énorme entre, d’une part, la réalité que je vois de mes yeux à Gaza depuis plus de quinze mois grâce aux excellents reportages d’Al Jazeera, et, d’autre part, celle décrite le 3 janvier dernier par la représentante américaine Dorothy Shea lors de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU.

Si on voit autant d’atrocités à Gaza, le grand coupable, affirme Shea dans son intervention, c’est le Hamas, pas du tout Israël !

Les experts mondiaux en génocide, les agences de l’ONU, les ONGs des droits humains, Al Jazeera, etc. se tromperaient tous complètement, selon ce que laisse carrément entendre la représentante des États-Unis ! Les atrocités à Gaza proviennent d’abord et avant tout, insiste-t-elle, des militants du Hamas qui, comme des lâches, se servent systématiquement des civils comme boucliers humains.

Chers collègues, affirme Dorothy Shea, critiquez le Hamas, et non Israël ! C’est lui et non Israël qui met en danger les civils ! Pourquoi tant de vous ne l’avez-pas encore fait ?

Comme le mentionne ironiquement le grand historien juif Normand Finkelstein, l’histoire de la longue oppression dont souffre le peuple palestinien est complètement absente du discours de Washington, le Hamas étant simplement réduit à terrorisme et mal absolu. C’est comme si, affirme Finkelstein, les militants du Hamas, qui luttent avec les moyens du bord contre une occupation carrément illégale, inhumaine et brutale, et qui dure depuis des décennies, devraient, au lieu de se cacher dans les quelques bâtisses pas encore détruites à Gaza, se regrouper comme des canards sur des terrains vacants, ou encore au milieu des décombres qu’est devenu aujourd’hui Gaza, afin que les forces armées israéliennes, appuyées par la plus grande puissance militaire de la planète, puissent facilement les cibler, utilisant pour ce faire une des technologies militaires la plus hi-tech et sophistiquée qui soit : drones, F16, services d’intelligence artificielle fournies par Google, Amazon, Apple, etc.

Extraits de l’intervention de la représentante permanente adjointe des États-Unis, Dorothy Shea, le 3 janvier 2025

Chers collègues,
Tout au long du conflit, le Hamas n’a cessé d’utiliser à mauvais escient des infrastructures civiles telles que des écoles et des hôpitaux pour stocker des caches d’armes, héberger des combattants et coordonner des attaques contre Israël, » affirme Dorothy Shea. « En outre, le groupe continue de mettre les civils en danger par ses tactiques et l’utilisation qu’il fait de ces installations. Je demande instamment à mes collègues présents dans cette salle de critiquer le Hamas pour ces actions et de lui reprocher de continuer à mettre en danger les civils palestiniens de Gaza. Beaucoup trop d’entre eux ne peuvent encore se résoudre à le faire. Le combat d’Israël est contre le Hamas et non contre les civils palestiniens que le groupe terroriste prétend faussement représenter. Selon les Forces de défense israéliennes (FDI), plus de 240 combattants ont été appréhendés à l’hôpital Kamal Adwan, dans le nord de Gaza, dont 15 individus qui ont participé au massacre du 7 octobre.

Pour libérer quelque peu la conscience de son pays, qui, comme Israël, pourrait se faire accuser de crimes contre l’humanité et génocide, Shea rappelle à la communauté internationale que les États-Unis ont toujours prié leur allié israélien de limiter les victimes civiles.

Même s’il combat le Hamas, Israël a l’obligation morale d’empêcher que des civils ne soient blessés, poursuit Shea. Nous ne voulons pas que les hôpitaux soient des scènes de violence. Personne n’en profite, et surtout pas les civils qui n’ont ni déclenché ce conflit, ni les moyens d’y mettre fin, et qui ont désespérément besoin de soins médicaux.

Elle, dont le pays depuis quinze mois appuie avec une main de fer Israël, dont le premier ministre et l’ex-ministre de la Défense font face à un mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité et avoir utilisé la faim comme arme de guerre, affirme, avec une hypocrisie tellement immense que celle-ci nous ferait éclater de rire si ses conséquences n’étaient pas aussi catastrophiques, qu’il faut plus d’aide humanitaire à Gaza !

Elle, dont le pays appuie avec une main de fer Israël, le parlement duquel vient de voter massivement contre l’auto-détermination palestinienne, affirme, comme si ses propos avaient une quelconque crédibilité, qu’il faut permettre aux Palestiniens l’auto-détermination, autrement dit la solution à deux États ! Elle dont le pays rejette, d’ailleurs, la conclusion à laquelle la Cour internationale de justice, après plus de deux ans d’enquête, est arrivée récemment, à savoir qu’Israël occupe illégalement tous les territoires palestiniens qu’elle envahissait en 1967, et qu’elle doit rapidement remettre aux Palestiniens tous ces territoires et les compenser pour les dommages qui leur ont été infligés.

Elle, dont le pays appuie avec une main de fer Israël, qui a pulvérisé presque toute l’infrastructure à Gaza – la plupart des résidences, toutes les universités, 80% des écoles primaires et secondaires, systèmes de purification de l’eau, agriculture, routes, bibliothèques et archives, églises, mosquées, etc. – et qui poursuit sans relâche dans sa folie destructive, affirme, comme si ses paroles avaient une quelconque crédibilité, qu’il faut reconstruire Gaza !

Elle, dont le pays appuie avec une main de fer Israël, dont le gouvernement Nétanyahou a systématiquement sabordé toute proposition de cessez-le-feu dès que le Hamas acceptait celle-ci, affirme qu’il faut un cessez-le-feu, et laisse entendre que s’il n’y en a pas encore, c’est carrément la faute du Hamas !

Elle, dont le pays appuie avec une main de fer Israël, qui détient en prison quelque 10 000 Palestiniens et Palestiniennes, détenus souvent sans accusation et sans aucune possibilité de procès, et soumis à maltraitement et souvent torture, affirme, sans souffler mot des otages palestiniens, qu’il faut que le Hamas libère les otages israéliens qu’il détient !

The New York Times interroge Antony Blinken sur son legs comme secrétaire d’état

Au même moment que Dorothy Shea intervenait au Conseil de sécurité de l’ONU, le secrétaire d’état Antony Blinken se vantait, dans une interview que lui faisait Lulu Garcia-Navarro du New York Times, de ce qu’il avait accompli à Gaza durant son mandat.

Depuis le 7 octobre, nous avons trois objectifs fondamentaux en tête, affirme Blinken. Faire en sorte que le 7 octobre ne se reproduise pas, empêcher une guerre plus étendue et protéger les civils palestiniens.

Comme dans toutes ses interventions antérieures depuis l’invasion israélienne de Gaza en octobre 2023, Blinken laisse entendre que tout a commencé avec l’attaque d’Israël par le Hamas le 7 octobre. Est complètement absente de son analyse l’origine historique de l’attaque : la longue oppression du peuple palestinien, le fait que Gaza n’est qu’une grande prison à ciel ouvert peuplée des descendants de ceux et celles qui furent violemment expulsés de leurs terres ancestrales au moment de la fondation d’Israël, le fait qu’Israël pratique systématiquement l’apartheid.

Ne percevant le Hamas que comme un groupe terroriste qui détient des armes et représente donc une menace pour Israël, Blinken affirme dans son interview qu’il est confiant que les États-Unis ont atteint leur premier objectif, faire en sorte que le 7 octobre ne se reproduise pas. La capacité militaire du Hamas, dit-il avec un évident sens d’accomplissement, a été détruite et ses dirigeants furent éliminés. Nous sommes donc, je crois, en bonne position, affirme-t-il.

De la foutaise !, s’exclame le journaliste et commentateur politique juif renommé Peter Beinart. Si Palestiniens et Palestiniennes ont recours à la violence pour retrouver leur liberté, c’est parce que toutes les autres voies éthiques et légales qu’ils avaient tentées depuis des années s’avèrent un échec : boycotts, manifestations, démarches auprès des institutions internationales, etc. Croire que procéder à raser complètement Gaza, tuer 46 000 de ses habitants et en blesser 109 000 assurent la sécurité d’Israël, alors qu’on ne s’attaque même pas à la racine profonde du conflit, est une grande illusion, poursuit Beinart. Au lieu d’éliminer la possibilité que ne se reproduise dans le futur le 7 octobre, de telles actions ne font qu’augmenter exponentiellement cette possibilité !

Afin d’illustrer à la reporter du New York Times, Lulu Garcia-Navarro, la compassion profonde qu’il a pour le peuple palestinien, Blinken lui raconte un incident. Quelques jours à peine après l’attaque d’Israël par le Hamas, je me suis rendu à Israël, dit-il. À mon arrivée, j’ai constaté que le gouvernement israélien ainsi que toute la population israélienne étaient tellement traumatisés par les atrocités commises par le Hamas qu’ils avaient décidé de couper Gaza de toute aide humanitaire !

J’ai dû, explique avec grande fierté Blinken, mettre une immense pression sur les dirigeants du gouvernement, incluant le premier ministre Nétanyahou, et ce pendant neuf heures – j’ai même dû menacer d’annuler la visite prochaine du président Biden à Israël – afin de les convaincre de ne pas couper toute aide humanitaire.

Notez, commente Beinart, que lorsque Blinken se réfère à la population israélienne, il ne pense, en fait, qu’aux Juifs, ce qui trahit sa mentalité carrément ethno nationaliste. Plus de 20% de la population d’Israël est palestinienne, et ce segment se solidarise tellement avec leurs compatriotes de Gaza et de Cisjordanie que le gouvernement israélien les perçoit comme une menace à la sécurité nationale !

Cependant, pour Blinken, ces Palestiniens en Israël n’ont pas tellement de valeur, pas plus que ceux et celles qui se trouvent dans les territoires occupés, poursuit Beinart. C’est pourquoi, alors qu’il n’a aucun mal à exprimer de l’empathie envers les Israéliens, qui, à cause de leur traumatisme profond, veulent couper les Gazaouis de toute aide humanitaire, il n’arrive cependant pas à faire preuve d’une once d’empathie envers le peuple palestinien, qui, à cause du traumatisme gigantesque qui l’affecte depuis des décennies, en vient à mettre en branle son attaque du 7 octobre.

Blinken tente néanmoins de convaincre son interlocutrice qu’il a profondément à cœur la souffrance du peuple palestinien.

Personne n’a besoin de me rappeler la souffrance des Palestiniens et Palestiniennes, car c’est quelque chose qui m’habite chaque jour, lui explique-t-elle. Nous avons tout fait pour mettre fin à ce conflit.

Encore de la pure foutaise !, s’exclame avec colère Beinart. Dire, d’une part, compatir chaque instant de chaque jour avec le peuple palestinien, et fournir constamment, d’autre part, les armes dont Israël se sert quotidiennement pour tuer ce peuple, représente un mensonge on ne peut plus grossier ! Il faut vraiment avoir un esprit tordu, note Beinart, pour affirmer tout faire pour mettre fin à un conflit, alors qu’on omet explicitement de ce ‘tout’ la seule chose qui pourrait vraiment y mettre fin !

Lulu Garcia-Navarro demande carrément à Blinken pourquoi les États-Unis continuent de fournir des armes à Israël.

Ce soutien est essentiel, répond Blinken, pour garantir qu’Israël dispose d’une force de dissuasion et d’une défense adéquate, ce qui signifie que nous n’aurons pas un conflit encore plus large qui entraînera davantage de morts et de destructions.

Encore de la foutaise !, s’exclame avec incrédulité et indignation Beinart. Blinken est-il tellement enfermé dans sa petite cage intellectuelle impérialiste qu’il n’a pas vu l’immense destruction qu’Israël, avec ces armes, a causé non seulement à Gaza mais aussi au Liban ? Et toute la destruction qu’Israël cause, toujours avec ces armes, ces dernières semaines, en Syrie ?

Craignez-vous, poursuit la reporter du New York Times, que vous serez un jour accusé d’avoir présidé à ce que le monde entier considère comme un génocide ?

La réponse de Blinken démontre à la fois toute l’arrogance éhontée d’une super-puissance ainsi que sa vacuité morale et intellectuelle :

No, because it’s not a genocide. (Non, car ce n’est pas un génocide).

L’empire ne sent nullement le besoin de faire appel à des preuves. Non. Il lui suffit de dire une chose pour que celle-ci se transforme automatiquement en vérité !

En 1973, l’empire appuyait avec une main de fer la dictature Pinochet qui initiait la révolution néolibérale la plus radicale de la planète, privatisant tout et abolissant tous les tarifs. Donald Trump annonce aujourd’hui que son pays, grand champion historique du libre-échange, va imposer des tarifs de 25% sur tous les produits que son pays importe du Canada et du Mexique, à moins que ces deux pays ne fassent exactement ce qu’il dicte. Idéalement, affirme-t-il avec toute l’arrogance qui caractérise un empire, le Canada devrait faire partie des États-Unis. Nous allons possiblement nous approprier, par la force, du canal de Panama et du Groenland, poursuit-il.

En 1903 le président américain Theodore Roosevelt se vantait de s’être approprié, par la force, du Panama, qui faisait alors partie de la Colombie.

I just took it !, affirmait alors Roosevelt.

Décès de l’ex-président américain Jimmy Carter, dont le profond humanisme l’a amené à se solidariser avec la cause palestinienne

C’est dans cette même conjoncture que décédait, le 29 décembre, l’ex-président Jimmy Carter, un homme qui, après avoir perdu les élections à la suite de son premier mandat – 1977-1981 – a tant fait sur le plan humanitaire pour les marginalisés de la planète, et dont les actions, par rapport au peuple palestinien, contrairement à celles du secrétaire d’état Antony Blinken, reflétaient bel et bien ses belles paroles.

En 2007, Carter publiait le livre Palestine : la paix, non l’apartheid et recevait immédiatement une pluie de critiques – antisémite ! biaisé ! défenseur du Hamas ! etc. – de ses compatriotes. De Républicains, évidemment, mais aussi de nombreux prestigieux Démocrates dont Nancy Pelosi, et, peu étonnamment, de nombreuses associations juives.

Si Carter a eu la clairvoyance et le courage de dénoncer l’apartheid pratiqué par Israël et la politique des États-Unis par rapport à la Palestine, il n’a pas réussi, je crois, à comprendre la profondeur de l’impérialisme de son pays.

Lorsque j’ai lu son livre de 2006, Our Endangered Values : America’s Moral Crisis (Nos valeurs menacées : la crise morale de l’Amérique), un livre que j’ai beaucoup apprécié, j’ai été surpris de voir que Carter laissait clairement entendre que, sous la présidence de George Bush Jr, les valeurs morales de l’Amérique, contrairement à ce qui s’était passé sous les gouvernements précédents, se trouvaient maintenant gravement menacées.

Si j’ai admiré sa critique percutante du gouvernement Bush Jr, qui, en 2003, se lance dans une guerre préventive contre l’Irak – une guerre, dit Carter, fondée sur un gros mensonge – et met en branle une politique économique néolibérale qui favorise un écart croissant entre riches et pauvres et accroît considérablement la dégradation de l’environnement, j’ai été profondément troublé par son hypothèse selon laquelle, avant le gouvernement Bush Jr, les valeurs de l’Amérique n’étaient pas menacées, autrement dit, étaient pour l’essentiel saines.

C’est pourquoi, lorsque je publiais, en 2015, les lettres ainsi que le journal que je rédigeais au Chili (durant le mois précédant le coup d’état du 11 septembre 1973, au moment du coup, et durant l’année qui l’a suivi), j’ai choisi comme titre du livre My 9/11 Awakening to America’s Moral Crisis (Le 11 septembre qui m’a fait prendre conscience de la crise morale de l’Amérique).

Les valeurs morales américaines ne se trouvaient-elles pas menacées, j’affirme dans l’avant-propos de ce livre, lorsque le président Richard Nixon s’est exclamé en 1970, après la victoire électorale de Salvador Allende :

Ce fils de pute, ce fils de pute ? (1)

Ne se trouvaient-elles pas menacées, ces valeurs morales, lorsque, après que Salvador Allende eut nationalisé, par le biais d’un amendement constitutionnel adopté à l’unanimité par le Congrès, les entreprises américaines de cuivre opérant au Chili, le même président Nixon s’est exclamé :

Il est temps de botter le cul du Chili ! (2)

Ne se trouvaient-elles pas menacées, ces valeurs morales, poursuis-je, lorsque, le matin du 11 septembre 1973, les militaires chiliens ont brutalement chassé Salvador Allende du pouvoir, non pas de manière amateure mais après que la CIA a eu aidé l’élite chilienne à prendre toutes les précautions nécessaires pour dénigrer dans les médias l’image de Salvador Allende, saborder systématiquement l’économie et créer une situation de chaos, de désordre et d’insécurité ?

Ne se trouvaient-elles pas menacées, ces valeurs morales, lorsque la dictature de Pinochet, entièrement soutenue par le gouvernement américain, a emprisonné environ 250 000 Chiliens et Chiliennes, en a torturé au moins 27 000 en employant souvent des méthodes enseignés par la CIA, en a tué et fait disparaitre au moins 3 000, et a imposé une révolution néolibérale radicale de 17 ans qui a favorisé un développement économique caractérisé par une inégalité flagrante de revenus et de richesse, une dégradation substantielle de l’environnement, la privatisation radicale de la santé, de l’éducation, du système de pension et même de l’eau ?

Extrait de mon journal à Santiago, Chili, le 20 avril 1974 :

Combien de messages jaillissent du sang, de la torture, de la faim et de l’oppression de ces Latino-Américains que je vois chaque jour autour de moi. Et combien de ces messages parviennent aux médias des grandes ’démocraties’ !

Combien de secondes, combien d’heures, combien de jours, de mois et d’années allons-nous continuer à écouter, comme des grands imbéciles, ces messages profonds qui nous encouragent à boire ce type de bière, à fumer cette marque de cigarettes, à acheter voitures, savon, parfums, etc.

Et combien d’étudiants, combien d’intellectuels ou soi-disant intellectuels, passent de longues heures et des journées entières à étudier, à lire, à s’imprégner de milliers d’idées, de faits, d’images et d’émotions fortes, dans l’absence quasi totale du cri émanant de millions d’êtres humains littéralement brisés dans leur dignité même, traités comme des moins que rien, utilisés et abusés, réduits au quasi-esclavage et manipulés par les mass-médias !

Si s’instruire se résume à s’insérer dans le statu quo socio-économique, l’avenir s’annonce bien triste, voire dramatique...

Notes
1. Thomas Powers, “The Man Who Kept the Secrets : Richard Helms and the CIA”, New York : Knopf, 1979, p. 230. Cité dans Nathalie Davis, “The Last Two Years of Allende”, Ithaca : Cornell University Press, 1985, p. 7.
2. Cette déclaration figure dans des documents américains qui furent déclassifiés seulement en 2014. Elle a été publiée dans le quotidien chilien El Mostrador le 24 mai, 2014. http://www.elmostrador.cl/noticias/pais/2014/05/24/richard-nixon-y-su-indignacion-por-la-nacionalizacion-del-cobre-es-hora-de-pegarle-a-chile-en-el-culo/. Consulté le 20 juillet 2015.

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