Édition du 17 décembre 2024

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Livres et revues

Ce qui nous lie, pour l’environnement et nos cultures

Un livre qui interroge et laisse... sur sa faim

Oui, Ce qui nous lie, est un livre nécessaire et qui interroge, une sorte de beau défi que Sol Zanetti a eu bien raison de vouloir relever en pilotant cette initiative en collaboration avec les éditions Écosociété. Il était temps que Québec solidaire mette sur la table son discours sur l’indépendance, n’en fasse pas un sous-thème de ses politiques quotidiennes à l’Assemblée nationale !

.Comment ne pas reconnaître la force du titre de ce livre Ce qui nous lie que l’avant -propos de la poétesse innue Natasha Kanapé Fontaine semble vouloir installer au centre de la réflexion ? « Il est temps », écrit-elle, « de nous tourner vers ce qui nous lie », et donc de penser qu’Allochtones et Autochtones peuvent se « rejoindre » dans un même projet. Ne faisait-elle pas écho à sa manière à ces maux de fond qui taraudent la condition humaine contemporaine et par conséquent celle du Québec : la fragmentation des identités, le morcellement des aspirations émancipatrices ; le fait que nous soyons ainsi de plus en plus « séparés » les uns des autres, tout en partageant pourtant un même territoire, aspirant à un même vivre-ensemble ?

Un bon départ, pour aller de l’avant

Le texte introductif de Gabriel Nadeau Dubois semblait être de la même eau, lui qui, sans faux fuyants, ouvrait le bal et posait clairement le problème, ou plus exactement indiquait le chemin que QS devrait prendre pour aller de l’avant : « Je suis d’une génération paradoxale, nous savons que tout doit changer, mais nous n’avons pas encore trouvé les moyens concrets pour faire advenir ces changements (...) nous sommes plongés dans une crise civilisationnelle qui appelle des gestes collectifs forts, pourtant nous nous posons très peu la question de notre capacité politique à accomplir ces gestes ».

Tout portait donc le lecteur à imaginer que justement ce serait le coeur de ce livre : penser, pour les années 2020 et en termes politiques, la question de l’indépendance, c’est-à-dire réfléchir collectivement en s’efforçant de prendre minutieusement en compte la réalité politique du Québec d’aujourd’hui : les rapports de force socio-politiques qui le traversent, les obstacles et adversaires qu’on risque de rencontrer, les questions qui devraient être privilégiées (la langue, etc. ?), les moyens qui sont à notre portée, les alliés qui pourraient nous aider, la stratégie qu’on privilégie, etc. C’est d’ailleurs ce sur quoi avait insisté Gabriel Nadeau Dubois, dans sa présentation lors du lancement à Québec : participer à ce projet d’écriture collectif, l’avait obligé à penser les choses sur le moyen et le long terme, non pas seulement à partir d’un « court terme imposé » par l’agenda de l’Assemblée nationale.

La déception

Or c’est bien là la déception. En effet, comme pour faire écho aux propositions de réconciliation proposées par l’Autochtone Michaël Osterreyes, les 9 autres députés de Québec solidaire vont pour la plupart se contenter de rester dans le seul registre des bienfaits appréhendés ou imaginés que pourrait procurer l’indépendance. Et chacun de son côté, à partir de sa propre spécialité parlementaire, tout comme enfermé dans une logique en silos, sans véritable cohérence collective, ou peut-être sans avoir eu le temps nécessaire pour approfondir ensemble un tel sujet. Et sans même y confirmer la poésie d’un grand récit indépendantiste !

L’indépendance est bonne parce qu’elle nous aidera à rompre avec l’histoire coloniale du Canada (dixit Alexandre Leduc), parce qu’elle permettra notre autodétermination (dixit Manon Massé), ou encore de disposer d’une fiscalité à nous (dixit Vincent Marissal), parce qu’elle fera que les régions seront plus prises en compte (dixit Émilise Lessard Therrien), que nous vivrons mieux notre culture et « notre ressentir ensemble » (dixit Catherine Dorion), que nous lutterons mieux contre le néolibéralisme (dixit Andres Fontecilla), défendrons mieux notre langue (dixit Ruba Gaza), protégerons mieux notre environnement (dixit Christine Labrie), sortirons de l’État pétro-canadien (dixit Sol Zanetti), etc.

Mais si tout cela est indéniablement prometteur, comment le mettre en pratique, politiquement parlant, dans les années 2020 ? N’est-ce pas d’abord à cette question qu’un parti politique devrait répondre ? Et n’avait-on pas déjà bien des acquis à notre disposition à ce sujet, avec l’arrivée, au sein de QS, de militants d’Option nationale hantés par cette question depuis longtemps ainsi qu’avec toutes les élaborations préalables faites au sein de QS depuis sa naissance en 2006 ?

Des utopies chimériques ?

Dans ce livre, il n’y a rien ou presque qui confirme en termes politiques la place stratégique centrale que pourrait occuper la lutte à l’indépendance du Québec dans une perspective émancipatrice telle que défendue par QS. il n’y a rien ou presque qui fasse écho au réel, ou plus exactement à la réalisation pratique de tous ces rêves indépendantistes, de ce qu’on pourrait appeler ici des « utopies chimériques » ; rien qui puisse les transformer en « utopies stratégiques », c’est-à-dire en utopies qui se donnent les moyens politiques de leur réalisation.

Par exemple, la constituante : elle est évoquée par plus d’un député avec raison comme étant la clef du processus indépendantiste pensé par QS, mais sans qu’il soit explicité ce qu’un tel choix peut concrètement impliquer comme défi et stratégies particulières, comme débats ayant déjà eu lieu au sein de QS et qu’il resterait à approfondir, comme travail à mener ici et maintenant.

Ou encore en ce qui concerne le rapport profondément égalitaire que QS veut avec raison entretenir avec les Autochtones, et qui semble être ici la grande originalité mise en évidence par ce livre, il reste pensé détaché de toutes ses dimensions concrètes, de toutes les pesanteurs de la vie réelle. Par exemple, on le sait, une grande partie des communautés autochtones vivant au Québec, ont été depuis longtemps amenées à ne prendre au sérieux que leur relation avec le fédéral, avec le « grand chef d’Ottawa », se méfiant par conséquent comme de la peste de toute approche indépendantiste. Comment prendre en compte cet obstacle, travailler à sa dissolution ? Et quelle place devraient occuper les Autochtones dans la constituante ? 22 sièges comme le suggère un des textes de ce recueil ? Mais est-ce suffisant, est-ce cela l’essentiel ? Dans la perspective égalitaire de QS, les Autochtones ne devraient-ils pas avoir en fait en parallèle leur propre exercice constituant ? Et comment y parvenir pour véritablement négocier avec eux sur un pied d’égalité ?

On le voit dès que l’on commence à vouloir faire atterrir cette question de l’indépendance sur le plancher des vaches, les questions ne manquent pas, et bien peu de ce qu’on trouve dans ce livre nous aide à y répondre. C’est en ce sens là que Ce qui nous lie, nous interroge, tout en nous laissant... sur notre faim. Ne serait-il pas temps, qu’à QS on ose enfin prendre le taureau par les cornes ? Et pourquoi pas à QS une commission spéciale qui planche sur cette question et fasse avancer la réflexion collective ?

N’est-ce pas ce à quoi nous appelle ce besoin de liens collectifs dont le manque nous taraude tant aujourd’hui ?

Pierre Mouterde

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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