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Ce qu’il faut retenir des six derniers rapports du Giec

Réchauffement, extinction des espèces, adaptation nécessaire des pays… À partir du lundi 13 mars, le Giec travaille sur une synthèse de ses conclusions depuis 2018. Voici à quoi s’attendre.

Tiré de Reporterre
13 mars 2023

Hortense Chauvin et Clarisse Albertini (infographies)

Le compte à rebours est lancé. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) s’est donné jusqu’au 20 mars pour négocier un ultime rapport. Le contenu de ce document — état des lieux des dernières connaissances scientifiques sur le réchauffement climatique — s’appuiera sur les six rapports mis au point par le Giec au cours des cinq dernières années.

Que contiendra cet ultime rapport qui fera référence ? Pour s’en donner un aperçu, voici les principales conclusions du Giec depuis 2018.

• Chaque demi-degré compte

Le réchauffement climatique est déjà en cours. Le limiter à 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle est essentiel pour minimiser la dégradation des écosystèmes ; atteindre un tel objectif est possible, mais nécessite une transition sans précédent. Voici, en substance, les messages clés du rapport du Giec d’octobre 2018, concocté par 91 scientifiques internationaux.

Ses centaines de pages montrent qu’il est avantageux de limiter le réchauffement de l’atmosphère à 1,5 °C, plutôt qu’à 2 °C. Cela permettrait de gagner 10 centimètres sur l’augmentation du niveau des mers — mettant jusqu’à 10 millions de personnes à l’abri des risques de submersion —, de sauver les récifs coralliens — qui ne diminueraient «  que  » de 70 à 90 %, plutôt que d’être quasi intégralement anéantis —, et de limiter le recul des espaces de vie des insectes, des plantes et des vertébrés.

L’intensité des sécheresses, des canicules et autres événements climatiques extrêmes serait également moindre. Cela permettrait de réduire de plusieurs centaines de millions le nombre de personnes exposées aux risques climatiques en 2050, et de diviser par deux la part de la population exposée à une augmentation du stress hydrique.

• Des écosystèmes marins à la dérive

Un océan plus haut, plus chaud, plus salé et moins peuplé… Telles sont les sombres projections du rapport spécial du Giec sur l’océan et la cryosphère, écrit par 104 scientifiques et publié en septembre 2019.

Depuis 1970, l’océan mondial n’a cessé de se réchauffer. Il a absorbé plus de 90 % de la chaleur excédentaire dans le système climatique. Les canicules marines se sont intensifiées et sont deux fois plus nombreuses qu’elles ne l’étaient en 1982. L’océan est de plus en plus acide, et de moins en moins oxygéné : les « zones mortes » privées de la précieuse molécule O2 se sont étendues de 3 à 8 %, entre 1970 et 2010. Pour les écosystèmes, ces changements sont catastrophiques : les espèces qui peuvent se déplacer tendent à migrer vers les pôles, à une vitesse comprise entre 30 et 50 kilomètres par décennie depuis 1950. Celles condamnées à l’immobilité, comme les coraux d’eau chaude, sont en piètre posture.

Le niveau moyen des eaux n’a par ailleurs fait que monter. Selon le scénario le plus optimiste, il pourrait d’ici la fin du siècle être supérieur de 0,59 mètre au niveau enregistré durant la période 1986-2005. Si l’humanité persiste à brûler des combustibles fossiles, le niveau des eaux pourrait augmenter de 1,10 mètre d’ici 2100, accentuant l’érosion des côtes, les inondations et la pénétration du sel dans les nappes souterraines d’eau douce. 680 millions de personnes vivant dans les zones côtières de basse altitude (10 % de la population mondiale) sont menacées.

• L’humanité dévore le monde

Via ses pratiques agricoles, son exploitation des forêts, son goût pour le béton, l’humanité a épuisé les terres. Leur capacité d’amortissement des manifestations du changement climatique est désormais amoindrie. Raisons pour lesquelles il est urgent, à l’échelle mondiale, de mieux protéger nos jungles, savanes, prairies et zones humides, avertit le Giec dans son rapport spécial sur les terres émergées, publié en août 2019.

Parmi les principales informations contenues dans ses 1 200 pages, on trouve ce chiffre, vertigineux : plus de 70 % des quelque 130 millions de km² de terres émergées libres de glace sont aujourd’hui exploitées par l’être humain, que ce soit pour l’agriculture, l’élevage ou la coupe de bois. Environ un quart de la planète est aujourd’hui dégradé par nos activités.

Problème : grâce à leur couvert végétal et boisé, les sols absorbent près de 30 % des émissions humaines de CO2. Le changement d’usage des terres met en péril ce mécanisme. Une large partie d’entre elles sont désormais une source de carbone. L’agriculture et l’exploitation forestière sont responsables de 23 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. La déforestation représente 13 % des émissions totales de CO2, l’élevage animal et les rizières 44 % de celles de méthane, et le recours aux engrais azotés 82 % de celles d’oxyde nitreux.

Les scientifiques du Giec craignent que la dégradation des terres amplifie les effets du réchauffement climatique. L’urbanisation, notent-ils, peut augmenter l’intensité des canicules ; l’exploitation des terres peut également affecter la température et les précipitations dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres ; la désertification, via le recul de la couverture végétale, libère quant à elle du CO2 dans l’atmosphère. Dans un effroyable cercle vicieux, le changement climatique et son cortège d’événements extrêmes, risquent, en retour, d’accélérer la désertification et la dégradation des terres dans «  de nombreuses régions ».

• Agir immédiatement pour éviter le pire

Une « alerte rouge » pour l’humanité : voilà comment le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, qualifiait en août 2021 le premier volet du sixième rapport d’évaluation du Giec, consacré aux fondements physiques du changement climatique.

Ce document dresse plusieurs constats : les activités humaines ont « sans équivoque » réchauffé l’atmosphère, l’océan et les terres émergées ; ce changement est intense, chacune des quatre dernières décennies ayant été successivement la plus chaude jamais enregistrée depuis 1850 ; la vitesse de ce réchauffement, enfin, est exceptionnelle : le rythme actuel de hausse de la température n’a jamais été aussi rapide depuis au moins 2 000 ans. Il faut remonter à la dernière période interglaciaire, il y a 125 000 ans, pour trouver une température globale comparable à celle d’aujourd’hui.

Fonte des glaciers, canicules, sécheresses, feux de forêt, inondations, ouragans… Le changement climatique produit déjà «  de nombreux extrêmes climatiques dans chaque région du globe  », constatent les scientifiques. Des «  seuils de basculement », à partir desquels le système climatique s’emballerait sans limitation possible, pourraient également finir par être atteints.

La température mondiale a déjà augmenté de 1,09 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Son évolution d’ici la fin du siècle dépendra de la trajectoire de nos émissions. Les scientifiques s’attendent à ce que la température planétaire atteigne +1,4 °C dans le scénario très peu émetteur, +1,8 °C dans le scénario peu émetteur, +2,7 °C pour l’intermédiaire, +3,6 °C pour l’émetteur, et + 4,4 °C pour le plus pessimiste. Pour éviter le pire, pas de surprise : il nous faut réduire de manière immédiate et ambitieuse notre consommation d’énergies fossiles, et mettre fin à l’exploitation irraisonnée des espaces naturels.

• L’adaptation, un axe essentiel et négligé

L’humanité, pour le moment, n’est pas assez bien armée pour limiter la casse sur ses systèmes agricoles, ses ressources en eau, sa santé et ses infrastructures côtières. Voilà l’un des principaux messages du deuxième volet du sixième rapport d’évaluation du Giec, rendu public en février 2022.

Stress thermique, modification de l’aire de répartition des espèces, réduction des ressources en eau et en nourriture, conditions favorables à l’émergence de maladies… « Le changement climatique est une menace pour le bien-être humain et la santé de la planète, avertit le Giec. Tout retard supplémentaire dans l’action mondiale en matière d’adaptation et d’atténuation manquera une brève occasion, qui se referme rapidement, de garantir un avenir vivable et durable pour tous. »

Environ 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent actuellement dans des conditions « hautement vulnérables » au changement climatique, notamment en Arctique, en Amérique latine, en Afrique, en Asie et sur les petites îles tropicales. D’ici à 2060-2080, certaines régions insulaires peu responsables du changement climatique, comme l’archipel polynésien des Tuamotu, pourraient devenir inhabitables.

Accélérer sur le chantier de l’adaptation est essentiel pour réduire les risques. Digues, agroécologie, utilisation de cultures mieux adaptées à la chaleur, protection des mangroves (qui font office de «  tampons » naturels face à la montée des eaux)… De nombreuses pistes existent. Mais elles restent «  fragmentées, à petite échelle, progressives, adaptées aux impacts actuels et aux risques à court terme, et focalisées davantage sur la planification que sur la mise en œuvre », déplorent les auteurs de ce rapport.

• Des solutions existent

Comment éviter, ou du moins tempérer, la catastrophe annoncée ? C’est l’objet du troisième (et dernier) volet du sixième rapport d’évaluation du Giec, publié le 4 avril dernier.

Première constatation des experts : nous ne sommes pas sur la bonne voie. La tendance actuelle de nos émissions nous mène vers une augmentation catastrophique de la température de 3,2 à 5 °C à l’horizon 2100. « C’est maintenant ou jamais », prévenait Jim Skea, coprésident du groupe de travail.

Que l’objectif soit de limiter le réchauffement climatique à 1,5 ou 2 °C, il faut impérativement que nos émissions de gaz à effet de serre atteignent leur pic avant 2025. La neutralité carbone — c’est-à-dire l’équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre et les absorptions par les puits de carbone — doit être atteinte au plus tard en 2050, pour un réchauffement de +1,5 °C. Pour cela, nos émissions doivent diminuer de 43 % d’ici 2030 (par rapport à 2019).

Les changements à opérer sont immenses. Afin de limiter le réchauffement à 1,5 °C, la consommation mondiale de charbon, de pétrole et de gaz doit diminuer respectivement de 100, 60 et 70 % d’ici 2050 (par rapport à 2019). Les technologies de capture et de séquestration du carbone — pas encore mures — ne doivent pas se substituer à ces réductions, insiste le Giec. Y avoir recours ne permettrait qu’un assouplissement mineur : notre consommation de charbon devrait malgré tout diminuer de 95 %, celle de pétrole de 60 %, et celle de gaz de 45 %. La mise en place de nouvelles infrastructures fossiles doit être évitée à tout prix afin de ne pas «  verrouiller » notre horizon énergétique.

Le Giec présente plusieurs pistes pour décarboner nos existences : développer massivement les renouvelables, accroître l’efficacité énergétique, rénover les bâtiments, augmenter l’offre de transports en commun, recycler davantage dans le secteur industriel… Mais également modifier nos comportements, en nous tournant vers des modes d’alimentation, de consommation et de déplacement plus sobres. Cela permettrait de réduire 40 à 70 % les émissions globales de gaz à effet de serre, selon les estimations des scientifiques. Une telle transition requiert des changements structurels et une forte volonté politique. Les investissements « verts » doivent être chaque année, entre 2020 et 2030, de trois à six fois supérieurs à ce qu’ils sont aujourd’hui. Tout un programme. Aux dirigeants de le mettre enfin en place.

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