Les somnifères, la bière, le haschisch, rien de tout ça ne te fait plus effet. Tu vas mal, tu vis mal, tu as mal. Orgueilleux, tu as laissé ton job avant qu’on ne te vire, et sans mot dire, sans aucune explication, tu as laissé ta blonde, avant qu’elle ne te quitte elle aussi. Tu ne veux plus voir personne et tu terres chez-toi, au sous-sol, dans l’absolue noirceur de ta tête. De ton âme.
— Le téléphone sonne … C’est la petite rousse, une amie de longue date, rencontrée il y a peu en médecine familiale, mais tu ne réponds pas. Tu as trop honte. Et ce psychiatre qui ne te rappelle jamais. Tous pareils, ceux-là ! Des trouducs ! Des fonfons surpayés ! Qu’ils aillent tous au diable ! Toi, tu y es déjà …
Tu es fatigué, tu es triste, tu voudrais pleurer, mais tu n’as plus de larmes. De toutes façons, tu ne sais pas comment pleurer. Tu n’as jamais eu accès à ça. Tu as le cœur enveloppé. Tu es vide. Tu es vide mais tu es rempli de peurs. Tu as peur de devenir fou, peur de mourir, peur d’être devenu fou, peur d’avoir peur ; surtout, tu connais bien ton potentiel de violence et tu as peur de commettre l’irréparable, toi aussi. Comme ces gars en colère et « fuckés » dont tous les médias ont parlé : les gars d’Amqui, Laval, Rosemont. Ou comme ces amis, ces connaissances, qui se sont mis la corde au cou. Qui ont avalé des pilules. Qui ont …
— Le téléphone sonne … Encore la petite rousse, Hélène qu’elle s’appelle. Ça faisait longtemps, celle-là.
Ton corps se transforme, ta vision aussi ; tu entends de drôles de sons et toutes sortes d’idées incongrues t’envahissent ; tu glisses, tu glisses, quelque chose d’horrible t’aspire vers le fond. Quelque chose de gluant et de monstrueux. Quelque chose d’innommable ! Tu voudrais appeler à l’aide, crier, hurler, mais tu n’as plus personne, et de toutes façons, les mots restent pris dans ta gorge. À l’intérieur de toi, comme une vague de fond, il y a cette petite voix lancinante qui n’a de cesse de te répéter : « Trop tard mon gars. Tu as trop attendu. Subis, maintenant ! »
— Le téléphone sonne, c’est la petite rousse, toujours … Et si … Et si ?!
— Allo, oui ?!
N.B. Cet homme en détresse (ci-haut) qui coulait dans les eaux noires de la dépression, c’était moi, il y a de ça plusieurs années. Si je m’en suis sorti, c’est parce j’avais encore quelques bonnes personnes autour de moi. Des gens qui s’inquiétaient. Et qui ont insisté. J’en souhaite tout autant à cette personne de votre entourage qui va mal, elle aussi. Cette personne qui a mal … Téléphonez. Cognez à sa porte. Insistez ! Il n’est jamais trop tard.
Jamais.
Gilles Simard, auteur, journaliste et intervenant retraité.
*1 866 APPELLE
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