La peste est une métaphore de la « peste brune »1 ; cet autre nom donné pendant la Deuxième Guerre mondiale au nazisme, par analogie à la couleur des chemises des membres de la Sturmabteilung (la section d’assaut des troupes d’Adolph Hitler). Camus a rédigé ce roman comme une chronique relatant les différentes phases d’une maladie bactériologique. C’est dans le contexte de l’occupation allemande de la France (de 1940 à 1944) et du lendemain de la Deuxième Guerre mondiale qu’il compose son roman qui contribuera à lui faire obtenir le prix Nobel de littérature en 1957. Il a écrit cet ouvrage de réflexion autour de deux phénomènes susceptibles de se produire dans la vie d’une personne humaine : dans un premier temps, des épidémies sociosanitaires et dans un deuxième temps, des régimes politiques qui terrorisent leur population.
La peste paraît deux ans avant un ouvrage qui va ébranler certains fondements du monde occidental durant la « postmodernité2 ». Il s’agit du volume Le deuxième sexe de Simonne de Beauvoir. Pourquoi nous permettons-nous cette remarque ici ? Pour la raison suivante : dans La peste, il n’y a aucun personnage féminin d’importance majeure. Les femmes apparaissent quasiment uniquement dans un rôle de soutien en tant que mères ou à titre d’épouses. Vivement le mouvement Women’s Lib qui contribuera à pulvériser ces stéréotypes réducteurs à l’endroit des femmes. Cette remarque étant faite, revenons au livre de Camus.
L’ouvrage est narré par un personnage dont l’identité reste anonyme jusqu’à la dernière section de la cinquième et dernière partie du livre (p. 273). L’action débute en avril 194. (l’année n’est pas précisée), dans la ville d’Oran. Une ville qui, en raison de la peste qui y sévit, sera « fermée » (p. 90). Cette ville est orientée de telle manière qu’elle tourne le dos à la « baie », « impossible d’apercevoir la mer » (p. 13). Les personnages secondaires sont : l’individualiste Cottard, un homme qui est recherché par la police. Il tire profit de l’épidémie en organisant des activités propres au marché noir. Le Père Paneloux, un orateur qui croit fermement en Dieu. Il voit dans la peste un châtiment en provenance du divin créateur. Castel, « le vieux Castel » (p. 49), un collègue du docteur Rieux. Grand, un fonctionnaire municipal, « ce héros insignifiant et effacé » (p. 129), qui guérira de la maladie sans qu’on sache exactement comment il y est parvenu et Rambert, un journaliste parisien, qui veut quitter la Ville d’Oran pour aller rejoindre sa femme à Paris. Ce dernier décidera finalement de rester à Oran et de s’associer aux deux personnages principaux qui sont les « résistants » du récit : Rieux et Tarrou. Ils mettent bravement sur pied un service sanitaire dont l’objectif vise à soulager la souffrance humaine durant cette période où la maladie infectieuse qu’est la peste terrifie la population.
Première partie
« Le matin du 16 avril, le docteur Bernard Rieux sortit de son cabinet et buta sur un rat mort, au milieu du palier » (p. 15). Il ne prête pas attention à cette vermine inerte qui gît sur le sol. Le concierge, le vieux monsieur Michel, est d’avis que ce sont des mauvais plaisantins qui s’amusent à déposer les cadavres des rats morts dans son immeuble. La journée même, le docteur Rieux accompagne sa femme à la gare pour qu’elle prenne le train qui va la conduire dans une ville voisine où elle séjournera « dans une station de montagne » (p. 16) où elle pourra se faire soigner. Elle est « malade depuis un an » (p. 16). Quelques jours plus tard, l’agence Ransdoc annonce « dans son émission radiophonique d’informations gratuites, six mille deux cent trente et un rats collectés et brulés dans la seule journée du 25. » (p. 22). « Le 28 avril, cependant, Randsdoc annonçait une collecte de huit mille rats environ » (p. 22-23). Devant ces milliers de rats inanimés qui gisaient ici et là à différents endroits de la ville, l’état d’esprit de la population d’Oran passe rapidement de l’indifférence à l’angoisse. En fait, l’anxiété est « à son comble » (p. 23). Un prêtre, le père Paneloux, avec ses yeux rieurs derrière des lunettes rondes émet l’hypothèse d’une « épidémie » (p. 23). Des récriminations contre les administrateurs de la municipalité se font entendre. Une brève accalmie survient. Le nombre de rats crevés diminue. Les rues redeviennent propres. La population de la municipalité d’Oran se croît sauvée. Erreur. Le concierge de l’immeuble où réside le docteur Rieux, le vieux monsieur Michel, tombe malade. Rieux tente de le soigner. La condition du malade se détériore rapidement. Le docteur est incapable de le réchapper. Monsieur Michel succombe à ce mal violent et toujours mystérieux qui vient de surgir dans la ville. Rieux constate son impuissance devant cette maladie qui se propage dans la population. Les événements tristes ne s’arrêtent pas dans la vie du docteur Rieux. Il est appelé par un de ses anciens clients Joseph Grand, un employé de la mairie (p. 23). Ce dernier vient d’empêcher monsieur Cottard de se pendre. On apprendra beaucoup plus loin (p. 146-147) que Cottard est recherché par la police pour une vieille histoire (jamais précisée) susceptible de le conduire en prison.
Pendant ce temps, les « cas mortels se multiplièrent et il devint évident pour ceux qui se préoccupaient de ce mal curieux qu’il s’agissait d’une véritable épidémie » (p. 38). Castel, un confrère de Rieux, « beaucoup plus âgé que lui », décide d’aller le voir et lui confirme qu’il s’agit bel et bien de la peste (p.38).
« - Naturellement, lui dit-il, vous savez ce que c’est, Rieux ?
– J’attends le résultat des analyses.
– Moi, je le sais. Et je n’ai pas besoin d’analyses. J’ai fait une partie de ma carrière en Chine, et j’ai vu quelques cas à Paris, il y a une vingtaine d’années. Seulement, on n’a pas osé leur donner un nom, sur le moment. L’opinion publique c’est sacré : pas d’affolement, surtout pas d’affolement. Et puis, comme disait un confrère : « C’est impossible, tout le monde sait qu’elle a disparu de l’Occident. » Oui, tout le monde le savait, sauf les morts. Allons, Rieux, vous savez aussi bien que moi ce que c’est.
Rieux réfléchissait. Par la fenêtre de son bureau, il regardait l’épaule de la falaise pierreuse qui se refermait au loin sur la baie. Le ciel, quoique bleu, avait un éclat terne qui s’adoucissait à mesure que l’après-midi s’avançait.
Oui, Castel, dit-il, c’est à peine croyable. Mais il semble bien que ce soit la peste.
Castel se leva et se dirigea vers la porte.
– Vous savez ce qu’on nous répondra, dit le vieux docteur : « Elle a disparu des pays tempérés depuis des années. »
– Qu’est-ce que ça veut dire, disparaître ? Répondit Rieux en haussant les épaules.
– Oui. Et n’oubliez pas : à Paris encore, il y a presque vingt ans.
– Bon. Espérons que ce ne sera pas plus grave aujourd’hui qu’alors. Mais c’est vraiment incroyable. » p. 38-39.
Après bien des palabres et des tracasseries administratives de toutes sortes, la municipalité émet une dépêche qui portait la mention suivante : « Déclarez l’état de peste. Fermez la ville » (p. 63).
Deuxième partie
Une fois la ville « fermée », le narrateur constate que « la peste fut notre affaire à tous » (p.67). L’isolement et la peur devinrent rapidement « la souffrance principale de ce long temps d’exil » (p. 67). Un exil qui oblige la population à trouver des moyens factices pour échapper « à ces vacances insupportables » (p. 72). En cette période d’isolement, il est quasi impossible de communiquer avec l’extérieur. Les autorités interdisent « toute nouvelle correspondance » (p. 68). Il ne reste, à l’époque, que les télégrammes pour communiquer avec les populations des quartiers extra-muros. Durant cette période de contrôle social accru, il y a des personnes qui suivent et appliquent rigoureusement les consignes émises par les autorités publiques. D’autres se permettent de prendre « la situation à la légère » (p. 69) et il y en a qui adoptent des comportements égoïstes et violents. Le journaliste parisien Rambert était, pour sa part, dans une situation particulière, car il se trouvait éloigné de son pays et surtout de sa femme. Il demande à Rieux un certificat attestant qu’il n’a pas les symptômes de « cette sacrée maladie » (p. 83). Rieux refusera de lui accorder ce certificat de pacotille en raison de la nature même de la maladie qui est l’affaire de tous et qui, par conséquent, oblige toute la population à restreindre ses déplacements et à rester confinée à Oran. Rambert refuse de se déclarer forfait. Il va multiplier les démarches pour quitter cette ville, par des moyens légaux ou illégaux (p. 131). Quand il aura enfin trouvé le moyen pour fuir la ville, il décidera de rester à Oran pour aider Rieux à combattre la maladie.
Le père Paneloux, un père jésuite, voit dans cette calamité qu’est l’épidémie de la peste, une sorte de châtiment de Dieu (p. 89 à 95). Cette catastrophe doit mener ses fidèles à « la vérité » (p. 89). Du haut de sa chaire, le prédicateur adresse un sermon à ses fidèles qui ne laisse aucun doute sur la voie à suivre en ces temps de « malheur […] mérité » :
« Mes frères, vous êtes dans le malheur, mes frères vous l’avez mérité » (p. 91).
[…]
« La première fois que ce fléau apparaît dans l’histoire, c’est pour frapper les ennemis de Dieu. Pharaon s’oppose aux desseins éternels et la peste le fait alors tomber à genoux. Depuis le début de toute histoire, le fléau de Dieu met à ses pieds les orgueilleux et les aveugles. Méditez cela et tombez à genoux » (p. 91-92).
« Oui, l’heure est venue de réfléchir. Vous avez cru qu’il vous suffirait de visiter Dieu le dimanche pour être libres de vos journées. Vous avez pensé que quelques génuflexions le paieraient bien assez de votre insouciance criminelle. Mais Dieu n’est pas tiède. Ces rapports espacés ne suffisaient pas à sa dévorante tendresse. Il voulait vous voir plus longtemps, c’est sa manière de vous aimer et, à vrai dire, c’est la seule manière d’aimer. Voilà pourquoi, fatigué d’attendre votre venue, il a laissé le fléau vous visiter comme il a visité toutes les villes du péché depuis que les hommes ont une histoire. Vous savez maintenant ce qu’est le péché, comme l’ont su Caïn et ses fils, ceux d’avant le déluge, ceux de Sodome et de Gomorrhe, Pharaon et Job et aussi tous les maudits. Et comme tous ceux-là l’ont fait, c’est un regard neuf que vous portez sur les êtres et sur les choses, depuis le jour où cette ville a refermé ses murs autour de vous et du fléau. Vous savez maintenant, et enfin, qu’il faut venir à l’essentiel » (p. 93-94).
[…]
« Beaucoup d’entre vous, je le sais, se demandent justement où je veux en venir. Je veux vous faire venir à la vérité et vous apprendre à vous réjouir, malgré tout ce que j’ai dit. Le temps n’est plus où des conseils, une main fraternelle étaient les moyens de vous pousser vers le bien. Aujourd’hui, la vérité est un ordre. Et le chemin du salut, c’est un épieu rouge qui vous le montre et vous y pousse. C’est ici, mes frères, que se manifeste enfin la miséricorde divine qui a mis en toute chose le bien et le mal, la colère et la pitié, la peste et le salut. Ce fléau même qui vous meurtrit, il vous élève et vous montre la voie (p. 94).
« Il y a bien longtemps, les chrétiens d’Abyssinie voyaient dans la peste un moyen efficace, d’origine divine, de gagner l’éternité. Ceux qui n’étaient pas atteints s’enroulaient dans les draps des pestiférés afin de mourir certainement. Sans doute, cette fureur de salut n’est-elle pas recommandable. Elle marque une précipitation regrettable, bien proche de l’orgueil. Il ne faut pas être plus pressé que Dieu et tout ce qui prétend accélérer l’ordre immuable, qu’il a établi une fois pour toutes, conduit à l’hérésie. Mais, du moins, cet exemple comporte sa leçon. À nos esprits plus clairvoyants, il fait valoir seulement cette lueur exquise d’éternité qui gît au fond de toute souffrance. Elle éclaire, cette lueur, les chemins crépusculaires qui mènent vers la délivrance. Elle manifeste la volonté divine qui, sans défaillance, transforme le mal en bien. Aujourd’hui encore, à travers ce cheminement de mort, d’angoisses et de clameurs, elle nous guide vers le silence essentiel et vers le principe de toute vie. Voilà, mes frères, l’immense consolation que je voulais vous apporter pour que ce ne soient pas seulement des paroles qui châtient que vous emportiez d’ici, mais aussi un verbe qui apaise. » (p. 94-95)
Grand, l’employé de la mairie continue à se rendre à son travail. Durant l’épidémie, il compile les statistiques en lien avec la maladie. Un travail jugé essentiel. Il occupe une partie de son temps « libre » à la rédaction d’un ouvrage dans lequel il ne cesse de buter sur la première phrase qui lui « donne du mal, beaucoup de mal » (p. 99). Perfectionniste, il ne cesse de la réécrire.
Jean Tarrou, un autre étranger de la Ville d’Oran, habitait un grand hôtel du centre de la ville. Il tenait dans ses carnets « une sorte de chronique de cette période difficile » (p. 29). Il ne croît pas en Dieu. La mort n’est rien pour lui. Il sollicite une entrevue auprès du médecin Rieux et lui dit :
« Dans quinze jours ou un mois, vous ne serez d’aucune utilité ici, vous êtes dépassé par les événements.
– C’est vrai, dit Rieux.
– L’organisation du service sanitaire est mauvaise. Vous manquez d’hommes et de temps (p. 117) ».
Tarrou se rend disponible pour élaborer un plan d’organisation « pour des formations sanitaires volontaires ». Il croit dans la capacité des personnes humaines à surmonter les épreuves grâce à la solidarité. Rieux « accepte » « avec joie » (p. 118) cette proposition.
Avec cette nécessité impérieuse d’organiser des secours sanitaires volontaires, « la peste devenait ainsi le devoir de quelques-uns, elle apparut réellement pour ce qu’elle était, c’est-à-dire l’affaire de tous » (p. 125). Il fallait par conséquent choisir son camp. « Pour ceux de nos concitoyens qui risquaient alors leur vie, ils avaient à décider si, oui ou non, ils étaient dans la peste, et si oui ou non, il fallait lutter contre elle » (p. 125). Bref, devant la peste, il y avait deux choix possibles : « se mettre à genoux » (p. 125) comme le prêchait le jésuite ou « lutter » (p. 126) et « se défendre » (p. 127) comme l’envisageaient Rieux et Tarrou. Cottard (l’homme qui avait voulu se suicider) va, durant ces temps difficiles où ses « dépenses » dépassent ses « revenus » (p. 132), profiter de la situation de pénuries pour se mêler « à des affaires de contrebande » (p. 132). Il va aussi essayer d’organiser, par des moyens illégaux, la sortie du journaliste Rambert de la ville d’Oran. Il n’y parviendra pas. Après diverses démarches infructueuses, Rambert téléphone au docteur Rieux et s’offre comme volontaire, « jusqu’à ce que j’ai trouvé le moyen de quitter la ville », précise-t-il (p. 151). Rieux accepte que Rambert se joigne à la brigade sanitaire.
Troisième partie
Il s’agit ici de la partie du livre la moins volumineuse. Elle ne compte que seize pages. Elle se déroule durant l’été, au mois d’août plus précisément. La peste « avait tout recouvert. Il n’y avait plus alors de destins individuels, mais une histoire collective qui était la peste et des sentiments partagés par tous » (p. 155). Certaines associations traditionnelles sont provisoirement dissoutes. Les membres de communautés religieuses sont tout simplement renvoyés « à leur solitude » (p. 158). Des troubles sociaux éclatent. Des petits groupes armés entrent en opération la nuit et font du pillage (p. 158).
Les victimes de la peste sont de plus en plus nombreuses. Se pose par conséquent le problème de la manière de disposer des dépouilles. « Hâtivement, les corps étaient jetés dans les fosses » (p. 164). On les enterre « pêle-mêle, les uns sur les autres, hommes et femmes, sans souci de la décence » (p. 162). De plus, la vie économique est paralysée. Le nombre de chômeurs s’accroît considérablement (p. 163). La « misère se montre plus forte que la peur » et le travail est « payé en proportion des risques » (p. 163). Dans ce décor apocalyptique, les Oranaises et les Oranais étaient rendus à ce stade où ils perdent la mémoire.
« Nos concitoyens, ceux du moins qui avaient le plus souffert de cette séparation, s’habituaient-ils à la situation ? Il ne serait pas tout à fait juste de l’affirmer. Il serait plus exact de dire qu’au moral comme au physique, ils souffraient de décharnement. Au début de la peste, ils se souvenaient très bien de l’être qu’ils avaient perdu et ils le regrettaient. Mais s’ils se souvenaient nettement du visage aimé, de son rire, de tel jour dont ils reconnaissaient après coup qu’il avait été heureux, ils imaginaient difficilement ce que l’autre pouvait faire à l’heure même où ils l’évoquaient et dans des lieux désormais si lointains. En somme, à ce moment-là ils avaient de la mémoire, mais une imagination insuffisante. Au deuxième stade de la peste, ils perdirent aussi la mémoire. Non qu’ils eussent oublié ce visage, mais, ce qui revient au même, il avait perdu sa chair, ils ne l’apercevaient plus à l’intérieur d’eux-mêmes. Et alors qu’ils avaient tendance à se plaindre, les premières semaines, de n’avoir plus affaire qu’à des ombres dans les choses de leur amour, ils s’aperçurent par la suite que ces ombres pouvaient encore devenir plus décharnées, en perdant jusqu’aux infimes couleurs que leur gardait le souvenir. Tout au bout de ce long temps de séparation, ils n’imaginaient plus cette intimité qui avait été la leur, ni comment avait pu vivre près d’eux un être sur lequel, à tout moment, ils pouvaient poser la main » (p. 166-167).
Comme le constate le narrateur : « Sans mémoire et sans espoir, ils (les femmes et les hommes d’Oran qui survivent à la peste Y.P.) s’installent dans le présent » (p. 168). La peste était même parvenue à anéantir le pouvoir de l’amour et de l’amitié. La population, privée de sa mémoire, subissait le décret du présent sans fin.
« Sans mémoire et sans espoir, ils s’installaient dans le présent. À la vérité, tout leur devenait présent. Il faut bien le dire, la peste avait enlevé à tous le pouvoir de l’amour et même de l’amitié. Car l’amour demande un peu d’avenir, et il n’y avait plus pour nous que des instants » (p. 168). L’amour était toujours présent, « mais, simplement il était inutilisable, lourd à porter, inerte […], stérile comme le crime ou la condamnation. Il n’était plus qu’une patience sans avenir et une attente butée » (p. 170).
Pour ce qui est des raisons de croire à une fin rapide de la peste, il s’agissait là d’espoirs chimériques. Face à l’avenir, l’attitude de certains concitoyens « faisait penser à ces longues queues aux quatre coins de la ville, devant les boutiques d’alimentation. C’était la même résignation et la même longanimité3, à la fois illimitée et sans illusions » (p. 170). Il ne restait qu’une seule chose à cette population qui survivait à ses morts : la fin des illusions et l’interminable attente.
Quatrième partie
Cette partie couvre la période de l’année qui va de septembre à décembre. Bref, de la fin de l’été jusqu’à la Noël. Le journaliste Rambert travaille « sans s’épargner, de façon ininterrompue » (p. 185) « aux côtés de Rieux » (p. 184). Il a enfin la possibilité de quitter Oran pour aller rejoindre sa femme à Paris. Par un curieux retour de situation, il renonce à cette opportunité qui lui est offerte de s’évader (p. 185). Pourquoi ne part-il pas ? Pourquoi change-t-il d’avis à ce sujet ? Il s’explique à Rieux de la manière suivante : « […] je ne pars pas et je veux rester avec vous » (p. 190). Il est d’avis que « s’il partait, il aurait honte » (p. 190). Il avait réalisé, qu’il le veuille ou non, qu’il appartenait dorénavant à la Ville d’Oran et cette histoire de peste le concernait également (p. 190). En restant, il choisissait d’œuvrer à la guérison des personnes affectées par la peste (p. 191), ce micro-organisme invisible à l’œil nu.
Le fils du juge d’instruction Othon, Philippe de son prénom, éprouve les souffrances de l’agonie qui le conduisent à la mort. Le décès du jeune Philippe ébranle les convictions du curé Paneloux et choque profondément le docteur Rieux. Ce dernier avait vu mourir « depuis des mois » (p. 195) des enfants. Mais, il n’avait « (j)amais encore suivi leurs souffrances minute après minute » (p. 195). Il voyait dans les douleurs, la dégénérescence et les souffrances de cette innocente victime « un scandale »4 (p. 195). Nous préférons vous prévenir à l’avance que les pages consacrées à la description de l’agonie du jeune Philippe Othon sont particulièrement difficiles à lire (p. 193-199). Durant le dépérissement irréversible de l’enfant, Rieux s’interroge sur la notion du « mal ».
Paneloux pour sa part, « à partir de ce jour où il a vu un enfant mourir, il parut changé » (p. 200). « Chose curieuse, il ne disait plus « vous », mais « nous » » (p. 202). Il ne voyait plus dans la peste une sorte de punition de source divine. À ses yeux, « la souffrance des enfants était notre pain amer, mais sans ce pain, notre âme périrait de sa faim spirituelle » (p. 205). Paneloux va d’ailleurs se mettre à aller mal. Il sera conduit à l’hôpital où il refusera les soins du médecin Rieux. « Il demanda le crucifix qui était placé à la tête du lit et, quand il l’eût […] il ne lâcha plus le crucifix » (p. 211) jusqu’à son dernier souffle. De quoi était-il mort au juste ? Sur sa fiche de décès, on inscrivit ceci : « Cas douteux » (p. 211).
Le nombre de morts n’augmente plus. On attribue provisoirement ce renversement de tendance à une invention récente de Castel. Il a développé un nouveau sérum qui vient de connaître « quelques succès imprévus » (p. 213). Il était temps, car, « Il n’y avait plus […] un seul lieu public qui ne fût transformé en hôpital ou en lazaret5 » (p. 213).
Tarrou et Rieux approfondissent leur lien d’amitié et échangent, dans le dialogue qui suit, sur Dieu et les saints.
« - En somme, dit Tarrou avec simplicité, ce qui m’intéresse, c’est de savoir comment on devient un saint.
– Mais vous ne croyez pas en Dieu.
– Justement. Peut-on être un saint sans Dieu., c’est le seul problème concret que je connaisse aujourd’hui.
Brusquement, une grande lueur jaillit du côté d’où étaient venus les cris et, remontant le fleuve du vent, une clameur obscure parvint jusqu’aux deux hommes. La lueur s’assombrit aussitôt et loin, au bord des terrasses, il ne resta qu’un rougeoiement. Dans une panne de vent, on entendit distinctement des cris d’hommes, puis le bruit d’une décharge et la clameur d’une foule. Tarrou s’était levé et écoutait. On n’entendait plus rien.
– On s’est encore battu aux portes.
– C’est fini maintenant, dit Rieux.
Tarrou murmura que ce n’était jamais fini et qu’il y aurait encore des victimes, parce que c’était dans l’ordre.
– Peut-être, répondit le docteur, mais vous savez, je me sens plus de solidarité avec les vaincus qu’avec les saints. Je n’ai pas de goût, je crois, pour l’héroïsme et la sainteté. Ce qui m’intéresse, c’est d’être un homme.
– Oui, nous cherchons la même chose, mais je suis moins ambitieux.
Rieux pensa que Tarrou plaisantait et il le regarda. Mais dans la vague lueur qui venait du ciel, il vit un visage triste et sérieux. Le vent se levait à nouveau et Rieux sentit qu’il était tiède sur sa peau. Tarrou se secoua :
– Savez-vous, dit-il, ce que nous devrions faire pour l’amitié ?
– Ce que vous voulez, dit Rieux.
– Prendre un bain de mer. Même pour un futur saint, c’est un plaisir digne » (p. 230-231).
Les deux hommes se déshabillent et plongent dans cette eau d’abord froide et ensuite, après quelques brasses, tiède. Le souvenir qu’ils ont conservé de cette nuit, était « doux » (p. 232).
Tarrou cherche à être ni plus ni moins « un saint sans Dieu » (p. 230). Rieux pour sa part poursuit un but plus modeste « : « je me sens plus de solidarité avec les vaincus qu’avec les saints. Je n’ai pas de goût, je crois, pour l’héroïsme et la sainteté. Ce qui m’intéresse, c’est d’être un homme » (p. 230). Nous y reviendrons.
Pendant le mois de décembre, « la peste n’oubliait personne trop longtemps […] elle ne cessa […] d’avancer de son allure patiente et saccadée. Les autorités avaient compté sur les jours froids pour stopper cette avance, et pourtant elle passait à travers les premières rigueurs de la saison sans désemparer. Il fallait encore attendre. Mais on n’attend plus à force d’attendre » (p. 233). La ville entière vivait toujours sans avenir. Jusqu’au moment où, les rats se mirent à sortir. Or, comme l’affirmait le vieil espagnol asthmatique : « - Ça y est, disait-il, ils sortent encore. » […] « Depuis le mois d’avril, aucun rat mort n’avait été découvert » (p. 239). La publication des nouvelles statistiques révélait un fait indéniable : « un recul de la maladie » (p. 239).
Il va sans dire que durant cette période de crise sociosanitaire, les prophéties (p. 202) et la spéculation sur les produits de base et essentiels à la vie (p. 214) se manifestent. Au sujet des prophéties, le narrateur observe que « Nostradamus et sainte Odile furent ainsi consultés quotidiennement, et toujours avec fruit. Ce qui d’ailleurs restait commun à toutes les prophéties est qu’elles étaient finalement rassurantes. Seule, la peste ne l’était pas. » p. 202
Cinquième partie
Janvier-Février. Cela fait bientôt dix mois que la peste est installée dans la Ville d’Oran. Les nouvelles statistiques de la fin du mois de janvier confirment que le nombre de corps morts est en baisse, la maladie infectieuse commence véritablement à régresser, elle s’affaiblit plus rapidement que les projections les plus raisonnables dans les circonstances le laissaient envisager. Elle n’est pas éliminée ou éradiquée pour autant. Elle poursuit son œuvre fatale et fait encore de nouvelles victimes dont le juge d’instruction Othon (p. 244) et Tarrou (p. 262). Pour quelles raisons au juste ce renversement de situation ? Le sérum de Castel ? Les mesures prophylactiques6 prises par les médecins et les autorités municipales ? Personne n’osait apporter une réponse définitive à ces interrogations. Quoi qu’il en soit « la maladie semblait partir comme elle était venue » (p. 245) et « des signes spontanés d’optimisme se manifestèrent » (p. 246). C’est au moment où les autorités de la municipalité décident de lever les mesures restrictives de confinement et d’isolement que les portes de la Ville, vers la mi-février, s’ouvrent (p. 265). Les survivantEs savourent leur liberté retrouvée de se déplacer sans aucune restriction. Elles et ils n’oublieront pas de sitôt cette rude mise à l’épreuve qui a l’habitude parfois de sauter dans le temps des générations. Les personnes en âge de réaliser les ravages de l’épidémie n’oublieront pas de sitôt ce drame extrême qui les a confrontées, pendant quasiment une année complète, à la précarité de leur condition humaine et au caractère absurde de la vie. Précarité, car, « qu’est-ce que ça veut dire, la peste ? C’est la vie, et voilà tout » (p. 278). Vers la fin du récit, Cottard, devenu fou se met à tirer, depuis sa fenêtre, sur les gens. Il est arrêté par la police (p. 276). Rieux, pour sa part, reçoit un télégramme dans lequel on lui annonce le décès de sa femme qui était allée se faire hospitaliser dans une ville voisine (p. 264).
Devant le bacille assassin de la peste, le docteur Rieux constate qu’il y a des personnes qui ont perdu la vie. « Mais lui, Rieux, qu’avait-il gagné ? Il avait seulement gagné d’avoir connu la peste et de s’en souvenir, d’avoir connu l’amitié et de s’en souvenir, de connaître la tendresse et de devoir un jour s’en souvenir. Tout ce que l’homme pouvait gagner au jeu de la peste et de la vie, c’était la connaissance et la mémoire (p. 263) ». Parlant de mémoire, et c’est la grande leçon du roman de Camus, il ne faut jamais oublier, « que la peste peut venir et repartir sans que le cœur des hommes en soit changé » (p. 267). Arrive donc un moment « où le temps des souffrances prenait fin et où le temps de l’oubli n’avait pas encore commencé » (p. 268).
On découvre à la page 273 l’identité du narrateur : il s’agit de Rieux. Il s’était fixé comme tâche, un peu à la manière de certains grands auteurs de l’Antiquité grecque (ici nous pensons à Hérodote et à Thucydide), de relater ces événements avec le plus grand détachement. Il sait, en sa qualité de scientifique, que le virus de la peste peut revenir. Pour y faire face à nouveau, il rédige un récit, dans lequel il indique comment certaines personnes se sont organisées pour contenir et repousser cette maladie maudite. Pour éviter que de grands exploits de solidarité entre des personnes humaines ne sombrent dans l’oubli, il compose ses carnets, qui sont une invitation à la vigilance.
« Rieux décida alors de rédiger le récit qui s’achève ici, pour ne pas être de ceux qui se taisent, pour témoigner en faveur de ces pestiférés, pour laisser du moins un souvenir de l’injustice et de la violence qui leur avaient été faites, et pour dire simplement ce qu’on apprend au milieu des fléaux, qu’il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser. »
« Mais il savait cependant que cette chronique ne pouvait pas être celle de la victoire définitive. Elle ne pouvait être que le témoignage de ce qu’il avait fallu accomplir et que, sans doute, devraient accomplir encore, contre la terreur et son arme inlassable, malgré leurs déchirements personnels, tous les hommes qui, ne pouvant être des saints et refusant d’admettre les fléaux, s’efforcent cependant d’être des médecins. »
« Écoutant, en effet, les cris d’allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse » (p. 279).
Pourquoi lire ce livre aujourd’hui ?
Ce roman est intéressant à lire parce qu’il pose en filigrane la question suivante : qu’est-ce qu’un « homme révolté » ? Or, être un « homme » pour le docteur Rieux, c’est agir en mettant tout en œuvre pour soulager la souffrance des victimes du mal. En agissant par la solidarité avec celles et ceux qui souffrent et en agissant en solidarité avec celles et ceux qui luttent, une personne réussit à donner un sens à sa vie. Une lutte qui se mène par contre sans illusion, car cette personne sait que le mal ne sera jamais totalement terrassé. Le mal peut en tout temps resurgir. Aux vivantEs et à celles et ceux qui vont naître de se montrer vigileantEs. Tel semble être le sens que la personne révoltée donne à la vie et à sa vie. Une ou un révoltéE correspond donc à une personne qui est capable de construire sa vie sur l’absurde. Absurde, c’est-à-dire, ce qui est privé de sens donc, sans fin dernière…
Éléments de réflexion pour la période actuelle…
La première chose qui frappe dans La peste de Camus, c’est l’absence de personnages stratégiques féminins pour combattre la peste. Ce sont elles aujourd’hui qui occupent en majorité les postes les plus à risque dans la lutte contre la COVID-19. La deuxième chose qui saute aux yeux c’est le peu de place que prennent aujourd’hui les curés dans l’explication du fléau. Les prédicateurs ne sont plus là avec leurs discours manipulateurs pour culpabiliser « les fidèles ». Ils se limitent, pour l’essentiel, à faire entendre, chaque dimanche, le son du carillon des églises. Les membres des communautés religieuses ne manipulent plus aujourd’hui les foules comme jadis (sauf bien entendu chez certaines communautés religieuses orthodoxes ou regroupements d’illuminéEs ou encore certaines sectes fanatiques). Les membres de la hiérarchie religieuse semblent agir en se conformant aux directives des responsables de la Santé publique. Autre élément différent aujourd’hui, la place que prend dorénavant les nouvelles technologies d’information et de communication. Il est maintenant possible de garder un lien avec l’extérieur, de travailler à partir de chez soi et de se divertir à partir du net. Tout ceci a pour effet de rendre, chez certaines et chez certains, le confinement moins insupportable. Les gouvernements en 2020 se font très interventionnistes, beaucoup plus qu’avant les années 1940. Par les temps qui courent, ils annoncent et multiplient les programmes qui s’accompagnent d’enveloppes qui se chiffrent dans les milliards de dollars. Last but not least, les riches essayent de tirer profit de ces périodes de malheur pour essayer de faire croire aux personnes démunies que nous sommes toutes et tous égaux devant la COVID-19. Facile pour une personne riche de fuir son quartier urbain pour aller se la couler douce dans sa résidence secondaire… Facile pour celles et ceux qui ont les moyens de se soustraire aux risques de contamination qu’on retrouve dans les quartiers populaires à forte densité humaine et où la promiscuité est inéluctable et, dans certains cas, fatale. Hâte de voir les statistiques officielles des personnes décédées à cause de la COVID-19. La classe sociale, le sexe, la race et l’âge vont sûrement nous montrer un portrait moins égalitaire des victimes du fléau. Passons.
Après la présente crise, les choses, dans certains cas, ne seront plus les mêmes. Certaines pratiques hygiéniques sont susceptibles de changer. Les conditions d’existence dans les résidences pour personnes âgées vont possiblement être améliorées. Les conditions de travail et de rémunération du personnel de la santé seront peut-être valorisées de manière permanente. Le télétravail risque de faire apparaître un nouveau type de personne salariée : « l’ermite informaticienNE postmoderne ».
La présente pandémie de la COVID-19 peut nous amener à nous poser la question suivante : quelles leçons avons-nous réellement tirées des grandes épidémies assassines qu’a connues l’humanité jusqu’à maintenant (le scorbut, le choléra, la variole, la tuberculose, l’influenza, la grippe H1N1, le SRAS, la bactérie C. difficile, l’Ebola, etc…) et qu’allons-nous réellement tirer comme leçon de la présente crise sociosanitaire ? Car, dans l’histoire de l’humanité, une fois les grandes épidémies et les grandes pandémies disparues, les personnes qui ont vu le jour, après ces catastrophes, ont montré une capacité d’oubli ou d’ignorance troublante. Il y a même des dirigeants politiques, en ce premier trimestre de 2020, qui se sont permis de nier le potentiel d’anéantissement de la vie humaine par le Coronavirus. La pensée magique ne disparaît pas comme par enchantement. Il faut croire que les sceptiques ont la vie aussi dure que certains virus.
Pour affronter la crise de la pandémie de la COVID-19 les gouvernements empruntent en ce moment des milliards de dollars, les Banques centrales impriment une quantité pharaonique de « billets verts », selon l’expression consacrée. Cet argent sert à adopter diverses mesures d’urgence destinées à freiner la propagation de la COVID-19 et pour contrer la crise. Tôt ou tard, une question va surgir : qui va rembourser cet argent emprunté pour éviter que la présente crise économico-sanitaire tue davantage de personnes et se permute en dépression économique ? Une fois la crise derrière nous, comment les divers gouvernements voudront-ils rembourser la dette qu’ils créent pour affronter les affres de la présente catastrophe. Par des mesures fiscales en lien avec un impôt dit progressif ou via de nouvelles mesures de rigueur budgétaire, c’est-à-dire des mesures d’austérité ? Bref, en adoptant des mesures progressistes ou en nous plongeant une nouvelle fois dans un monde de coupures qui nous mettra de nouveau dans une position de grande vulnérabilité face à une nouvelle épidémie ou une nouvelle pandémie ? Tôt ou tard, les voix des sirènes du rétrolibéralisme se feront entendre et les dirigeantEs politiques de droite écouteront très sérieusement les avis des agences de notation. Vous savez ces agences qui ont le pouvoir de fixer la cote de crédit des gouvernements. Pourquoi risque-t-il d’en être ainsi ? Tout simplement parce que c’est « dans l’ordre »…
« - C’est fini maintenant, dit Rieux.
Tarrou murmura que ce n’était jamais fini et qu’il y aurait encore des victimes, parce que c’était dans l’ordre (p. 230). »
Alors, devant certaines calamités et devant certains fléaux il faut toujours se poser les questions suivantes : qu’est-ce que l’humanité a réellement retenu de sa condition d’existence ? Qu’en est-il de la prise de conscience de notre grande vulnérabilité devant ces nanomicrobes qui ont une capacité d’anéantissement déstabilisante ? À ce sujet, certaines personnes ont trop souvent affiché une assurance arrogante, tout comme d’ailleurs elles croient dans la capacité du mode de production productiviste capitaliste de créer de manière illimitée des richesses. Odile Tremblay (Le Devoir, les samedi 21 et dimanche 22 mars 2020, page 7) a raison. Il faut « relire La peste de Camus ». Cet ouvrage est important parce que la peste (ou autres calamités du genre) reste tapie dans l’ombre et peut éventuellement resurgir, autant au niveau bactériologique qu’au niveau politique, sans crier « Gare ! »… Pourquoi en est-il ainsi ? Tout simplement, parce que c’est « dans l’ordre ». Et, comme l’écrivait Paul Valéry, « (l’)ordre suppose un certain désordre qu’il vient réduire. »
Yvan Perrier
12 avril 2020
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com
Notes
Je reproduis ci-dessous des extraits d’une lettre d’Albert Camus à Roland Barthes. Dans cette missive, Camus est clair, il affirme avec force que son roman « a cependant comme contenu évident la lutte de la résistance européenne contre le nazisme » :
« Paris le 11 janvier 1955 »
« Cher Monsieur, »
« 10 La Peste, dont j’ai voulu qu’elle se lise sur plusieurs portées, a cependant comme contenu évident la lutte de la résistance européenne contre le nazisme. La preuve en est que cet ennemi qui n’est pas nommé, tout le monde l’a reconnu, et dans tous les pays d’Europe. Ajoutons qu’un long passage de La Peste a été publié sous l’Occupation dans un recueil de combat et que cette circonstance à elle seule justifierait la transposition que j’ai opérée. La Peste, dans un sens, est plus qu’une chronique de la résistance. Mais assurément, elle n’est pas moins » […]
« 40 La Peste se termine, de surcroît, par l’annonce, et l’acceptation, des luttes à venir. Elle est un témoignage de « ce qu’il avait fallu accomplir et que sans doute (les hommes) devraient encore accomplir contre la terreur et son arme inlassable, malgré leurs déchirements perpétuels… » […]
« Ce que ces combattants, dont j’ai traduit un peu de l’expérience, ont fait, ils l’ont fait justement contre les hommes, et à un prix que vous connaissez. Ils le referont sans doute, devant toute terreur et quel que soit son visage, car la terreur en a plusieurs, ce qui justifie encore que je n’en aie nommé précisément aucun pour pouvoir mieux les frapper tous. Sans doute est-ce là ce qu’on me reproche, que La Peste puisse servir à toutes les résistances contre toutes les tyrannies. Mais on ne peut me le reprocher, on ne peut surtout m’accuser de refuser l’histoire, qu’à condition de déclarer que la seule manière d’entrer dans l’histoire est de légitimer une tyrannie ».
Albert Camus
Source :https://etlettera.wordpress.com/2015/01/15/1s-es-l-lettre-dalbert-camus-a-roland-barthes-sur-la-peste-janvier-1955/ .Consulté le 9 avril 2020.
2.## La postmodernité est une période historique qui débute après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Elle coïncide avec l’effondrement de certains grands courants interprétatifs (le freudisme, le marxisme, etc.) et la montée du structuralisme. Elle s’accompagne également d’une perte de confiance dans les valeurs de la modernité (progrès, émancipation, perfection sans fin, etc.) qui se sont imposées en Occident à partir du courant philosophique des Lumières du XVIIIe siècle.
3.# « Patience à supporter les souffrances morales. […] Patience à supporter ce qu’on aurait le pouvoir de réprimer, de punir. » © 2019 Dictionnaires Le Robert - Le Petit Robert de la langue française https://petitrobert.lerobert.com/robert.asp . Consulté le 6 avril 2020
4.# Au sens de « fait religieux troublant ».
5.« Établissement où s’effectue le contrôle sanitaire, l’isolement des malades contagieux, dans un port, une station frontière, un aérodrome. »
© 2019 Dictionnaires Le Robert - Le Petit Robert de la langue française
6.« Prophylactique : Qui prévient une maladie. »
© 2019 Dictionnaires Le Robert - Le Petit Robert de la langue française https://petitrobert.lerobert.com/robert.asp Consulté le 11 avril 2020.
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