21 mars 2023 | tiré de la lettre de l’IRIS
Cadre financier et réduction de la dette : limiter la capacité d’intervention de l’État dans un Québec en crise
Bien que conscient de l’incertitude économique actuelle, le gouvernement choisit malgré tout de se donner de nouvelles cibles de réduction de la dette et vise l’atteinte d’un ratio de la dette nette au PIB de 30% d’ici 2037-2038.
« Le gouvernement aurait dû réviser en profondeur la Loi de réduction de la dette qui oblige les gouvernements à adopter une pratique budgétaire restrictive qui hypothèque leur capacite´ d’intervention. Face aux différentes crises auxquelles le Québec doit faire face, qu’il s’agisse de la crise du logement, de la crise climatique ou de la détérioration sans précédent des services publics, il est nécessaire de relâcher l’étau austéritaire et l’approche conservatrice en matière de finances publiques », soutient Guillaume Hébert, chercheur à l’IRIS.
Congés fiscaux : aider les mieux nantis et les entreprises pour stimuler la croissance économique
Sans surprise, le gouvernement maintient sa promesse de diminuer d’un point de pourcentage le taux d’imposition des deux premiers paliers de la table d’impôt. La mesure, maintenant présentée comme un incitatif au travail, risque d’avoir peu d’effet alors que le taux de chômage atteint un creux historique. Rappelons que cette baisse d’impôt profitera particulièrement aux personnes touchant un revenu entre 90 000 et 100 000 dollars. Toutefois, le gouvernement, qui a diminué à trois reprises les contributions fiscales depuis 2018, se prive désormais d’un montant total de $4,1G$ par année, des sommes qui auraient pu servir à l’amélioration des services publics et des programmes sociaux.
« Bien qu’il existe des manières plus équitables d’améliorer le revenu disponible des ménages, le gouvernement choisit d’augmenter le pouvoir d’achat des personnes qui n’en ont pas besoin. Une baisse de certains tarifs, comme les tarifs de garderie ou les frais de scolarité, permettrait d’augmenter le pouvoir d’achat d’un plus grand nombre de Québécois·es, et de cibler les personnes vulnérables pour qui la hausse du coût de la vie a un impact vital », signale Julia Posca, chercheuse à l’IRIS.
Quant à la décision d’accorder aux entreprises des congés fiscaux allant jusqu’à 25% pour la réalisation de grands projets d’investissement, elle étonne considérant la faible disponibilité actuelle de la main-d’œuvre, mais aussi le peu de garanties que ce type de mesure offre en termes de retombées économiques futures.
Environnement : la population québécoise ne pourra pas réduire sa dépendance à l’auto-solo
Si la CAQ nous a habitués à des mesures peu ambitieuses en matière de protection de l’environnement et de lutte contre les changements climatiques, elle se surpasse nettement dans ce budget en ajoutant un maigre 122,4M$ en 2023-2024. Le budget prévoit aussi 244M$ en 2023-2024 pour améliorer les services et les infrastructures en transport en commun, dont 200M$ pour assurer la relance du transport collectif,
« Il s’agit d’un montant dérisoire considérant le sous-financement des sociétés de transport public dans certaines municipalités, ce qui met à mal la capacité des citoyen·ne·s de réduire leur dépendance à l’automobile et de lutter efficacement contre les changements climatiques », souligne Julia Posca, chercheuse à l’IRIS.
En effet, les émissions de GES attribuables au transport léger ont bondi de 26 % au cours des trois dernièes décennies au Québec, ce qui vient annuler la moitié des diminutions d’émissions réalisées par les industries québécoises. Rappelons que dans une étude parue en septembre dernier, l’IRIS estimait que la mise en place de nouvelles mesures d’écofiscalité permettrait d’ajouter 1 milliard de dollars par an dans les coffres de l’État québécois.
« L’exercice budgétaire 2023-2024 prive l’État de leviers importants pour répondre rapidement au sous-financement des sociétés de transport collectif. Le gouvernement pourrait par exemple de´dier une partie des recettes de la TVQ sur le carburant au transport collectif, augmenter la contribution au transport en commun des camions légers ou bien hausser la taxe sur les véhicules dits de luxe », signale Julia Posca.
Pénurie de main-d’œuvre : les aîné·e·s incité·e·s à rester sur le marché du travail
En rendant facultative la cotisation au RRQ pour les travailleuses et les travailleurs âgés de 65 ans et plus et en repoussant l’âge d’admissibilité à une rente de retraite de 70 à 72 ans, le gouvernement affiche une volonté claire de faire du RRQ un outil pour encourager le maintien en emploi des personnes aînées. Rappelons que l’âge moyen de départ à la retraite et le taux d’activité de la population âgée de 65 ans et plus sont déjà en hausse depuis au moins vingt ans, et que plusieurs personnes âgées travaillent par nécessité, et non par choix.
« Le régime des rentes du Québec a été créé pour aider les personnes retraitées à subvenir à leur besoin après avoir quitté le marché du travail. En instrumentalisant le régime pour remédier à la pénurie de main-d’œuvre, et répondre aux besoins du marché du travail, le gouvernement Legault détourne le régime de sa mission première », souligne Guillaume Hébert.
« Le nombre élevé de postes vacants, qui affecte des secteurs clés de l’économie québécoise, constitue un frein indéniable au redressement des réseaux de la santé et de l’éducation. Le gouvernement Legault peut bien baisser les impôts et modifier le RRQ de manière à inciter les Québécois·es à travailler davantage et plus longtemps, mais en matière de pénurie de main-d’œuvre il n’y a pas de formule magique, il faut investir massivement pour intégrer dignement les personnes immigrantes, y compris celles qui ont un statut temporaire », conclut Julia Posca.
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À propos de l’IRIS
Depuis 20 ans, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques analyse les politiques publiques et l’économie du Québec. À but non lucratif et indépendant, l’Institut produit et diffuse des recherches sur les grands enjeux de l’heure, tels que la crise climatique et environnementale, la marchandisation de l’éducation ou de la santé et la croissance des inégalités.
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