10 avril 2024 | tiré de regards.fr
https://regards.fr/bruno-le-maire-ce-heros-qui-protege-les-impots-des-ultra-riches/
Dans une tribune publiée le 3 avril dans Les Échos, Bruno Le Maire est vent debout contre tout débat sur une hausse des impôts. Le ministre de l’Économie a une obsession : que la crise des finances publiques débouche bien sur une casse de la protection sociale à la française.
Et « BLM » s’inquiète : chaque jour, des politiques, des économistes, des spécialistes avancent l’idée qu’il faudrait en passer par des impôts… Ils ont l’incroyable culot, non seulement de ne pas être tous des extrémistes de gauche, mais en plus de mettre sur la table des propositions qui admettent que les ultra-riches et le capital dominant n’en payent pas assez.
Selon ce sondage commandé par Les Échos début avril, les Français doutent à 61% que le durcissement de l’assurance chômage soit efficace pour réduire le déficit public. Ils sont très massivement opposés à une désindexation des retraites et à une hausse générale des impôts. Mais ils sont tout aussi massivement favorables à une taxation des super-profits et à une augmentation des impôts ciblée sur les plus riches.
Bref, TINA – il n’y a pas d’alternative– prend tous les jours des plombs dans l’aile. Rien ne serait pire pour le ministre, son Président et les forces sociales qu’ils représentent, qu’un autre possible que leur politique devienne crédible.
Cela vaut donc la peine de décortiquer l’argumentaire « lemairien », une compilation des contes à dormir debout.
Le contexte : « Sans surprise, le débat sur la hausse des impôts a repris de plus belle en France »
Mais pourquoi diable ce débat a-t-il « repris de plus belle » ? Parce que, selon Bruno Le Maire, « à chaque difficulté de finances publiques », les politiques n’ont que cela en tête contrairement aux Français qui n’en voudraient pas.
« Difficulté de finances publiques » ? L’écrivain/homme politique a le sens de l’euphémisme !
- Le déficit des finances publiques pour 2023 a été de 5,5% du PIB et non de 4,9% comme prévu par le gouvernement. Ce n’est pas la conséquence d’un dépassement soudain des dépenses mais de recettes fiscales moindres que prévues. La TVA a été pénalisée par la faiblesse de la consommation et l’impôt sur les bénéfices est moins rentré que prévu, notamment dans le secteur bancaire alors que les profits ont continué d’y augmenter. À quoi s’ajoute le poids de la dette (110% du PIB) et la politique monétaire de la BCE qui ont fait monter les taux d’intérêt sur les emprunts publics. Moins qu’il n’y parait cependant, puisque l’inflation diminue la dette.
- Monsieur Le Maire et le gouvernement ont signé une nouvelle mouture du pacte de stabilité européen très proche de l’ancien. Il impose à la France un retour à 3% de déficit au plus tard d’ici 2027. Selon les calculs de la Confédération européenne des syndicats, il faudra trouver au moins 26 milliards chaque année !
- Il y a un besoin annuel d’au moins 3% du PIB d’investissements publics supplémentaires pendant dix ans. Pour le climat, la bifurcation écologique, les infrastructures (numérique, transports, etc.), la santé, l’éducation, la formation, la justice et la culture. Et aussi, du moins cela mérite discussion, pour la défense. Des investissements pris au sens large du terme, c’est-à-dire non seulement des infrastructures et des équipements, mais aussi des emplois et des salaires. Des « investissements » que les entreprises et les capitaux privés ne feront pas parce qu’ils ne sont pas rentables.
Pourquoi dans ces conditions refuser d’augmenter les impôts ?
Argument 1 : parce que les riches payent déjà leur juste part. La preuve des mots du ministre : « 10% des contribuables paient les trois quarts de l’impôt sur le revenu […] Le taux marginal des prélèvements atteint 60% – record absolu en Europe ».
Dans la vraie vie, sous Emmanuel Macron :
- l’impôt sur le revenu – seule imposition progressive en fonction du revenu – occupe une place trop faible dans les impôts payés par les ménages : environ 95 milliards d’euros contre 160 pour la CSG et la CRDS, et plus de 200 pour la TVA, les taxes sur le tabac et sur les carburants. La CSG est proportionnelle au revenu et la TVA n’est payée que sur le revenu dépensé en biens de consommation. Comme plus on est riche plus on épargne, le poids de la TVA est d’autant plus faible.
- le taux marginal des prélèvements a été de facto abaissé depuis 2018 et l’instauration par Emmanuel Macron du Prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30% sur les revenus financiers des ménages. Et comme on le sait, plus on est riche et plus la part des revenus financiers est élevée. 1% des foyers fiscaux (400 000 foyers sur 40 millions en 2021) concentrent 96% des montants totaux déclarés à l’impôt sur le revenu. 62% de dividendes sont déclarés par 0,1% des foyers fiscaux (soit 40 000 foyers) et 33% par 0,01% des foyers fiscaux (4000 foyers), selon un rapport du très officiel France Stratégie ;
- loin d’être progressive en fonction du revenu, le taux d’imposition diminue tout en haut de l’échelle. Comme le rappelle Christian Chavagneux dans Alternatives économiques, citant une étude du très officiel Institut des Politiques Publiques, « le taux d’imposition des revenus (y compris l’impôt sur les sociétés, supposé taxer les dividendes correspondant au capital détenu) passe progressivement de 46% pour les 0,1% les plus riches à 26% pour le top 0,0002%, autrement dit les 75 foyers du sommet de la distribution, pour qui la richesse se compte en milliards ». Si on fait abstraction de l’impôt sur les sociétés considéré ici comme un impôt sur le revenu (en rose sur le graphique ci-dessous), le taux d’imposition à l’entrée des 10% des plus hauts revenus est de 30% environ. Il augmente jusqu’à 36%. Mais diminue pour les 0,5% les plus riches (non compris les impôts sur la consommation) jusqu’à ne plus représenter que 2% du revenu des milliardaires en France.
(graphique page 6)
Argument 2. Parce que nous avons déjà agi. « La contribution exceptionnelle sur les hauts revenus de 2011 est toujours en place treize ans plus tard » ; « Avec la majorité, nous avons mis en place la taxe sur les géants du numérique » ; « Nous avons mis en place l’impôt minimum mondial, qui va permettre de taxer à 15 % au moins les grandes multinationales », dixit Bruno Le Maire.
Dans la vraie vie, sous Emmanuel Macron :
- la contribution exceptionnelle sur les très hauts revenus est payée par 0,1 à 0,2% des ménages les plus riches (revenu fiscal supérieur à 250 000 euros pour un célibataire et 500 000 euros pour un couple). Le taux est de 3%. Le montant moyen est de 30 000 euros. Cela ne corrige pas du tout la dégressivité de l’impôt dont bénéficient en réalité les ménages les plus riches (voir ci-dessus).
- La taxe « GAFA » instituée en 2019 a été un petit pas en avant : elle devrait rapporter 800 millions en 2024. Elle ne cible que la publicité numérique et ne règle pas la sous-déclaration des activités en France et l’évasion fiscale massive des GAFA.
- L’impôt minimum mondial doit plus aux batailles des sociétés civiles qu’à l’acharnement du gouvernement français. On leur doit d’autres progrès comme un recul de l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux, grâce à l’échange automatique d’informations bancaires. Mais on est encore très loin du compte. Et la taxe mondiale de 15% minimum sur les bénéfices des multinationales a été considérablement affaiblie, comme l’analyse l’Observatoire européen de la fiscalité. Les trous dans la raquette ne cessent de grossir. Le rendement prévu initialement est déjà divisé par deux. Les pays en développement n’en bénéficieront pratiquement pas. S’ajoute le risque d’une nouvelle course à l’alignement du taux d’imposition vers le bas. Y compris en France où Bruno Le Maire a déjà fait passer le taux normal de 33 à 25%.
Argument 3. Parce qu’on va continuer. On cite toujours Bruno Le Maire : « Nous sommes déterminés à mettre en place un impôt minimum sur le revenu, pour contrer l’optimisation fiscale des plus riches » ; « Nous sommes disposés à durcir la contribution sur la rente des énergéticiens, dont le rendement a été trop faible en 2023 » ; « Avec le Premier ministre, nous voulons lutter contre toutes les rentes ».
Attention, manœuvre extrêmement dangereuse, réservée aux professionnels… dès la phrase suivante, le ministre avertit : « En revanche, nous n’augmenterons pas les impôts en France ».
C’est clair : l’impôt minimum sur le revenu contre l’optimisation fiscale des plus riches, la fiscalité pour lutter contre les rentes, c’est de la frime. Et le « durcissement » de la contribution des énergéticiens aura sans doute à peu près le même rendement qu’avant : 300 millions au lieu de 4,3 milliards espérés en 2023.
S’agissant de l’impôt minimum sur les plus riches, c’est d’autant plus du vent que la bataille en cours menée en Europe, et jusqu’au niveau du G20 par le Président du Brésil, vise à créer non pas un impôt minimum sur leur revenu mais un impôt minimum de 2% sur leur fortune. Selon Gabriel Zucman, l’un des initiateurs de cette lutte, les recettes fiscales supplémentaires pourraient atteindre 1 point de PIB (soit près de 30 milliards pour la France).
Pour Bruno Le Maire, la question ne sera même pas posée.
Bernard Marx
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