De Paul Beaucage
Évidemment, une telle lutte peut paraître stupéfiante, compte tenu de ce que l’on sait, de nos jours, au sujet de la pollution atmosphérique et du fait que Limoilou est un quartier très peuplé de la capitale nationale. Toutefois, l’activité industrielle majeure que l’on exerce depuis longtemps dans l’enceinte du Port de Québec, alliée à la quête effrénée de profits de plusieurs dirigeants (tes) d’entreprises et à la complicité de politiciens (ciennes) opportunistes, a entraîné une absence de respect de règles environnementales fondamentales de la part de certains individus.
Une démarche audacieuse
Il faut reconnaître qu’a priori, les frères Seaborn ne disposaient que de peu d’éléments pour construire leur narration. Ainsi, ils n’avaient pas l’assurance que les doléances formulées par Louis et Véronique étaient fondées, sur le plan scientifique. Cependant, la conscience écologique aiguë des deux documentaristes les poussait à croire fermement que Véronique et son conjoint leur disaient la vérité lorsqu’ils affirmaient que les activités industrielles effectuées dans le Port de Québec étaient pernicieuses pour leur famille et pour l’ensemble des habitants de Limoilou. En outre, la recherche méthodique que Louis, un scientifique de formation, a effectuée au sujet d’une poudre rouge malodorante et suspecte que l’on répandait dans le quartier de Limoilou a renforcé la conviction des cinéastes à l’effet que le couple de contestataires n’était pas illuminé ou bassement intéressé par un gain financier exorbitant qui découlerait d’une poursuite civile menée contre un gouvernement ou une compagnie privée…
Le combat de Louis et Véronique contre les autorités politiques
De façon générale, il apparaît clair que les résidants (tes) de Limoilou ne recevront aucune collaboration diligente de la part des autorités municipales, provinciales et fédérales par rapport au dossier de la protection environnementale qui les touche. N’empêche que, loin de baisser les bras face à l’adversité, Louis et Véronique alertent différents médias de Québec et réussissent à mobiliser une impressionnante contestation citoyenne grâce à la collaboration des résidants (tes) de leur quartier. Évidemment, divers citadins (dines) de l’arrondissement qu’ils (elles) habitent savent pertinemment que la pollution qu’ils (elles) subissent pourrait se révéler fort nocive pour leur santé. Dès lors, certains (nes) d’entre eux (elles) appuient-ils (elles) fermement Véronique et Louis dans leur entreprise et manifestent-ils (elles) un vif mécontentement face au laisser-aller des responsables politiques en matière écologique. Encouragés par ce soutien significatif, les deux contestataires mènent une lutte particulièrement ardente pour se faire entendre. Néanmoins, leur démarche se heurte bientôt à l’opposition du maire de Québec, Régis Labeaume, qui s’érige en grand défenseur de l’activité économique tous azimuts que l’on exerce au sein du Port de la capitale nationale. Manifestant sa démagogie et son opportunisme caractéristiques, le maire Labeaume ne se gêne pas pour qualifier la démarche entreprise par le couple Duchesne-Lalande d’« irrationnelle ». Et pourtant, Labeaume ne s’appuie sur aucun argument solide lorsqu’il formule ce jugement de valeur péremptoire. Sans surprise, le politicien tient son propos avec beaucoup d’assurance. Toutefois, les résultats d’une enquête menée par des représentants du Ministère de l’Environnement du Québec au sujet des récriminations formulées par Véronique Lalande et son conjoint obligeront le maire de Québec à faire volte-face publiquement... Il reste que Régis Labeaume ne change pas de credo politique pour autant, loin s’en faut !
La personnalité emblématique de Véronique Lalande
Assez promptement, lors du tournage de Bras de fer, les deux cinéastes ont constaté que Véronique Lalande avait un exceptionnel potentiel de communication narrative par rapport à celui de son conjoint, Louis Duchesne, un homme très posé, mais laconique. Aussi, ont-ils focalisé leur attention sur la personne de la volubile Véronique et ont-ils accordé une grande importance à l’essentiel de ses propos. Incontestablement, celle-ci s’impose comme un témoin hors pair, voire comme une éloquente représentante des citoyens (ennes) québécois (es), qui revendiquent, en toute justice, le droit de vivre dans un environnement sain, exempt d’une pollution pouvant leur causer des problèmes de santé. Avec adresse, les frères Seaborn posent à Véronique de multiples questions auxquelles cette dernière répond avec aplomb, cohérence et sincérité. Dès lors, leur long métrage met en relief son interprétation des faits, ses préoccupations, son combat face à des représentants (tes) gouvernementaux (tales) et à des dirigeants (tes) d’entreprises qui refusent de reconnaître le sens de la démarche de la persévérante résidente de Limoilou. De façon naturelle, les deux documentaristes appréhendent les arguments rationnels sur lesquels s’appuie la jeune femme pour dénoncer l’irresponsabilité de certains chefs d’entreprises actives dans l’enceinte du Port de Québec. En outre, les frères Seaborn se montrent sensibles aux inquiétudes de la protagoniste face à l’avenir de sa propre famille et à celui des autres résidents (tes) vivant dans le quartier précité. Certes, le point de vue de Véronique aurait pu aisément verser dans la complaisance ou la sensiblerie. Mais, fort heureusement, il n’en est rien.
Les résultats révélateurs d’une enquête menée par le Ministère de l’Environnement du Québec
Selon nous, l’enquête qu’ont menée des employés (ées) du Ministère de l’environnement du Québec, au sujet de la pollution atmosphérique et de la poussière rouge qui se sont manifestées dans le quartier de Limoilou, constitue, sans contredit, un tournant significatif du documentaire écologique et sociopolitique des frères Seaborn. En l’occurrence, il importe de préciser que c’est le gouvernement minoritaire du Parti québécois de Pauline Marois (2012-2014) qui a ordonné que l’on procède à une étude scientifique approfondie en cette matière, dans le but de paraître plus écologiste que le dernier gouvernement libéral de Jean Charest (2008-2012). Or, l’étude concernée a démontré que la compagnie Arrimage Québec, en activité dans l’enceinte du Port de la capitale nationale, a violé à plusieurs reprises des règles environnementales élémentaires en émettant des substances polluantes nocives pour l’être humain, à Limoilou, au cours de l’année 2012. Bien entendu, les représentants (tes) de l’entreprise fautive nient toute forme de responsabilité, sur ce plan, et les dirigeants (tes) du Port de Québec en font de même. Voilà pourquoi le gouvernement québécois, dirigé par Pauline Marois, établit qu’une investigation du Ministère de la Santé s’avère nécessaire pour déterminer si la pollution que subissent les résidants (tes) de Limoilou peut entraîner des conséquences néfastes sur leur santé.
La décision décevante du Ministère de la Santé du Québec
De manière déplorable, on constate que les responsables de différents organismes de l’appareil étatique québécois prennent des décisions contradictoires afin d’éviter de contraindre des dirigeants (tes) d’entreprises à modifier leurs pratiques industrielles, qui ont pour effet de polluer indûment les quartiers situés à proximité de leurs champs d’opérations respectifs. Dans le cas auquel nous nous sommes référés, même si les fonctionnaires du Ministère de l’Environnement québécois ont reconnu explicitement qu’une compagnie établie dans le Port de Québec avait déversé des produits toxiques dans le quartier de Limoilou, les représentants (tes) du Ministère de la Santé du Québec en viennent à affirmer publiquement que rien ne prouve, hors de tout doute raisonnable, que cette pollution excessive et illicite met réellement en péril la santé des habitants (tes) du secteur concerné. Comme Véronique l’expliquera, avec sagacité, aux frères Seaborn, cela signifie notamment que les hauts responsables du Ministère de la Santé québécois refusent catégoriquement de favoriser l’application d’un salutaire principe de précaution, qui consisterait à exiger que des compagnies suspendent des activités industrielles portuaires pouvant engendrer des émanations toxiques dans des quartiers résidentiels de la capitale nationale. Par conséquent, on peut affirmer que les dirigeants (tes) dudit Ministère permettent éhontément à des entreprises actives dans l’enceinte du Port de Québec de mettre en péril la santé des habitants (tes) du quartier de Limoilou, en toute impunité.
Malgré l’extraordinaire détermination manifestée par Véronique Lalande et Louis Duchesne pour faire valoir leurs droits, malgré la collaboration soutenue que leur ont apportée de nombreux (ses) concitoyens (yennes), les deux conjoints se rendent à l’évidence qu’ils ne seront pas en mesure d’empêcher une ou des compagnies établies dans le port de Québec de continuer à polluer démesurément le quartier qu’ils habitent. Aussi, choisissent-ils, à contrecoeur, de déménager dans une autre région québécoise afin d’éviter de mettre en danger leur santé et celle de leur fils. Cependant, Véronique et Louis ne renoncent pas à poursuivre, dans le domaine du droit civil, la compagnie qui est responsable du fait qu’ils ne peuvent pas vivre à Limoilou ainsi qu’ils le souhaiteraient… De façon incontestable, on peut soutenir que les coréalisateurs du documentaire ont cherché à démontrer que la lutte citoyenne engendre des résultats phénoménaux, alors que son incidence réelle se révèle, à la lumière de l’exemple qu’ils ont traité, assez limitée. Or, en dépit de cette contradiction de fond, force est d’admettre que Bras de fer s’impose comme un long métrage prégnant, qui souligne avec finesse, sans sectarisme, la pertinence de la lutte à dimension écologique et sociopolitique. Somme toute, la réussite de ce film, ainsi que les qualités inhérentes à Pas de piquerie dans mon quartier (2012), nous porte à croire que les frères Jean-Laurence et Jonathan Seaborn sont voués à un avenir cinématographique prometteur, au Québec.
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