Tiré du site de Rue89 et originalement paru sur le site www.dumdum.fr
Militer, organiser des grèves, bref, tout le précis de l’activiste, il connaît. Il faut avoir un sérieux grain ou n’avoir peur de rien pour, aux Etats-Unis, sortir une chanson qui liste différentes manières d’éliminer un PDG.
Ou pour assumer cette pochette qui met en scène l’attaque du World Trade Center, et dont l’album « Party Music » est sorti... quelques semaines avant le 11 Septembre.
Son raisonnement est affûté, son argumentaire est béton. Et surtout, son espoir en l’avenir inébranlable. Rencontre avec un militant américain. Un vrai.
DumDum.fr : Vous vous considérez comme un musicien, comme un activiste, ou les deux ?
Boots Riley : Je pense que je suis un peu des deux car ce que je fais est politique. Encore que, d’après moi, le terme « activiste » n’est pas adapté à mon cas. Ce mot laisse entendre qu’on participe à des événements, des rassemblements ou des manifestations. Ce qui n’est pas la même chose que de militer et faire campagne. Ça n’est peut-être que de la sémantique, mais je m’efforce d’être le plus souvent dans une démarche de militant, engagé sur le long terme, que de simple activiste.
A quand remonte cet engagement politique ?
J’avais 14 ans je crois. Un jour, un jeune militant s’est arrêté devant chez moi. Il conduisait un van rempli de jeunes militantes de mon âge. Il m’a abordé en me disant : « Hé mec ! Tu veux faire un tour à la plage avec nous ? » Forcément, j’ai dit oui. Mais il a posé ses conditions juste après : « Génial mec ! Mais d’abord, on va aller soutenir la grève des ouvriers de la conserverie. » [Il tire un large sourire malicieux] C’est comme ça que j’ai fait mon entrée en politique.
Votre environnement familial était également politisé.
Oui, mon père surtout. Dans les années 50, quand il était adolescent, il a fait partie du NAACP (National association for the advancement of colored people). Plus tard, pendant les années 60, il a participé à diverses organisations qui militaient pour l’égalité des droits civiques. Ensuite, il a déménagé à San Francisco et s’est radicalisé. Il s’est rapproché du Progressive Labor Party [parti politique fondé en 1961 suite à un schisme entre le Parti communiste des Etats-Unis et certains de ses membres qui estimaient que l’Union soviétique avait trahi les principes de l’idéologie communiste, ndlr]. Et puis, il est devenu militant du parti à temps plein à Detroit.
Au bout d’un temps, il a quitté tout ça pour devenir avocat, toujours à défendre des causes, mais d’une manière différente. Il est toujours très engagé aujourd’hui, dans le mouvement « Occupy » par exemple. Il est probablement plus engagé que moi !
Quel est votre niveau d’engagement alors ?
Bah... Moi j’ai enregistré un album et actuellement, je suis en tournée. Pas lui. Mais le reste du temps, je milite. Dernièrement, j’étais dans beaucoup de mouvements, contre les saisies immobilières qui se sont accentuées depuis la crise, ou encore en soutien à des syndicats de salariés des fast-foods... Concrètement, pour moi, faire des albums, partir en tournée, c’est comme ça que je gagne ma vie. J’adore ça, mais c’est aussi ce qui me permet à la fois de payer les factures, et de continuer à militer.
On vous colle facilement une étiquette de communiste. Pour vous, ça veut dire quoi être communiste aux Etats-Unis ?
Il n’y a pas de communisme aux Etats-Unis. Cela n’aurait aucun sens. Mais le mouvement « Occupy » est révélateur d’un changement concret. Les gens en ont marre d’être exploités.
Ce que je demande, ce pour quoi je me bats, et qui obtiendrait le soutien de plein de monde, c’est que la population puisse exercer un contrôle démocratique sur la richesse créée par leur propre travail. Peu de gens aujourd’hui seraient contre.
Techniquement, c’est du communisme ou du socialisme... Certains vont dire que c’est de l’anarcho-socialisme, mais peu importe ! Tu peux appeler ça cookie si ça te fait plaisir ! Toujours est-il qu’actuellement, avec ce qui se passe aux Etats-Unis, on a une chance qu’une telle société puisse se mettre en place.
Pourquoi ?
Avant « Occupy Wall Street » et la propagation de la contestation comme un feu de paille, partout dans le pays, j’étais beaucoup plus pessimiste que maintenant.
Depuis, j’ai réalisé que les médias avaient menti et mentent quotidiennement aux gens. Ils prétendent que ceux qui soutiennent et participent à « Occupy » sont les seuls à ne pas aimer le système tel qu’il est, et que tous les autres sont individualistes, conservateurs et veulent le rester. La vérité, pour la connaître, il suffit de discuter autour de soi. Les gens n’aiment pas ce qui se passe dans le pays.
Vous avez participé à un mouvement « Occupy » ?
Les premiers mois, oui, jusqu’à ce que je commence à travailler sur mon album. J’y allais assez souvent pour manifester, mais je n’ai jamais fait partie des organisateurs.
C’était incroyable. J’y ai vu des gens qui, pour la première fois de leur vie, s’investissaient dans une lutte ou même venaient manifester. J’y ai vu des militants radicaux qui, pour la première fois de leur vie, réfléchissaient à un moyen de se mobiliser avec des personnes qui ont des idées différentes. Je n’avais jamais vu ça auparavant.
Mais ça reste pourtant des mouvements marginaux, non ?
C’est là que tu te trompes. D’abord, il y a bien plus de personnes participant à « Occupy » que tu ne sembles l’imaginer. Et puis, en dehors de ces mouvements, les choses ont bougé. Et je dois avouer que c’est tant mieux car, comme d’habitude, dans les mouvements de gauche et d’extrême gauche, il y a beaucoup de divisions qui polluent la contestation.
Aujourd’hui, les travailleurs de chez Walmart [multinationale américaine de la grande distribution, ndlr] se mobilisent partout dans le pays contre leurs conditions de travail. Il y a un an, ça ne serait jamais arrivé.
A Chicago, les syndicats d’enseignants ont fait grève et ont reçu le soutien de milliers de travailleurs d’autres branches. Il y a un an, on t’aurait dit : « Ça n’arrivera jamais ! »
Le 1er mai dernier, un nombre incroyable de personnes ne sont pas allées travailler pour afficher leur soutien aux travailleurs, et je ne parle pas de gens syndiqués ou militants... On n’a pas de 1er mai comme ça d’habitude chez nous !
Il était annoncé que le changement viendrait d’Obama. Est-ce que les choses ont bougé grâce à lui ?
Bien sûr que non. Le changement doit toujours venir des hommes politiques, mais en réalité, si tu remontes l’Histoire, les changements significatifs ne s’opèrent jamais en allant aux urnes. Le changement vient toujours d’un mouvement de contestation populaire assez important pour effrayer la classe dirigeante.
Vous n’avez donc pas voté aux dernières élections ?
Non, j’étais au Canada. Mais si j’avais été chez moi, ça n’aurait rien changé. Je ne vote pas pour des hommes politiques. Je vote aux référendums.
Qu’est-ce qui pourrait vous faire changer d’avis ?
Que la population puisse exercer un contrôle démocratique sur la richesse créée par leur propre travail. Il est dommage que toute l’énergie positive dépensée à faire élire un politique ne soit pas réutilisée pour qu’un mouvement de contestation de masse soit alimenté.
Un mouvement de masse, c’est la seule chose qu’il manque. Mais je suis sûr que ça va changer. Les grèves, les protestations, ce n’est que le début. Les gens vont rentrer dans une phase de lutte. Ils iront plus loin. Ils réquisitionneront leurs usines pour se les réapproprier. A partir de là, ils voudront réorganiser la société.
Et quel sera votre degré d’implication là-dedans ?
J’aime m’impliquer à un niveau local. Mais j’espère surtout que je ne serai pas en tournée, que je serai chez moi. Je dois payer les factures. Sans ma carrière musicale, je ne pourrais pas. Et je n’ai pas d’autres compétences que de faire de la musique. Heureusement, j’arrive à faire passer mes idées à travers ma musique. Car je ne sais pas faire un autre job ! [Il rigole] Et tu imagines si j’avais d’autres compétences ? Personne ne voudrait m’embaucher ! Les mecs auraient trop peur que j’organise une grève !