Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

La révolution arabe

Bahreïn, Oman, Yémen, Jordanie... Le point sur les mouvements de contestation

Notre attention tournée vers la Libye, l’Égypte ou la Tunisie, il est important de noter que les mouvements de contestation arabes sont contagieux dans toute la région. Tour d’horizon de l’état des mouvements populaires dans les pays environnants.

Lorsque les révolutions ont éclaté, la plupart des monarchies du Golfe ont pu acheter provisoirement la paix sociale grâce à la richesse qu’elles tirent du pétrole. Mais cette possibilité n’existait pas à Barheïn où les ressources en hydrocarbures s’épuisent. Pendant quatre semaines, la place de la Perle au cœur de la capitale est devenue le centre de la contestation qui a donné lieu à une répression sans merci. À Oman, des mouvements sociaux et démocratiques ont éclaté dès le 17 janvier et, en mars, les travailleurs du pétrole ont déclenché une grève.

L’armée a investi la ville de Sohar interrompant très provisoirement le mouvement. La Jordanie a connu plusieurs mois de manifestations qui ont débouché sur un changement de Premier ministre et des réformes. Ce qui n’a pas empêché une manifestation massive le 15 juillet. Au Yémen, pays pauvre de la région et principalement agricole, le mouvement a commencé dès le 16 janvier et, le 27, des dizaines de milliers de manifestants demandaient le départ du président Saleh au pouvoir depuis 33 ans. Le 16 juillet, les forces de l’opposition ont créé un Conseil de transition pour construire l’alternative à Saleh qui, blessé, s’est réfugié en Arabie saoudite mais annonce régulièrement son retour.

L’épicentre du mouvement de révolte dans la région du Golfe arabo- persique était situé dans l’État insulaire du Bahreïn. Les premières manifestations y ont commencé le 14 février 2011, trois jours après la démission forcée du président égyptien Hosni Moubarak.

Au moment des révoltes de masse dans d’autres pays arabes, les monarchies du Golfe ont pu déverser de très fortes sommes d’argent pour «  acheter  » temporairement la paix sociale, ces dépenses étant toutefois toujours accompagnées de mesures de répression. Ainsi le roi d’Arabie saoudite a-t-il augmenté, fin février et mi-mars 2011, les dépenses publiques de 67 milliards de dollars  ; en faveur de besoins sociaux par exemple le logement, mais aussi pour renforcer la police, l’armée et la «  police des mœurs  ».

L’émirat du Koweït a fait offrir, fin janvier 2011, une somme d’environ 3 500 dollars à titre de «  cadeau  » à chaque ménage koweïtien (à l’exclusion des habitants n’ayant pas la nationalité koweïtienne qui représentent 70 % de la population totale de ce pays riche en pétrole mais ne comptant qu’un million de sujets-citoyens). Pendant un an, les aliments de base ont été rendus gratuits pour ces mêmes ménages. Ce qui n’a pas empêché des milliers de jeunes Koweïtiens de manifester à plusieurs reprises, le 8 mars, puis fin mai et début juin 2011.

Barheïn, une terrible répression

Au Bahreïn, la situation est très différente. Ici, les ressources pétrolières sont déjà sur le point de se tarir. Par ailleurs, 70 % de la population appartiennent à la confession chiite, alors que la monarchie régnante (au pouvoir depuis 1783) est sunnite. Sur le plan social, des sunnites – originaires du Bahreïn ou encore d’autres pays de la région – sont systématiquement favorisés, notamment sur le plan de l’emploi.

Le clivage principal au sein de la société n’est ainsi pas de nature théologique, mais la différence d’appartenance religieuse débouche sur une discrimination sociale, matérielle. Des membres de la population chiite participaient aux protestations avec des sunnites progressistes (le parti Alliance démocratique nationale, notamment). La confédération des syndicats, la General Federation for Bahrain Trade Unions (GFBTU, dirigée par Salman Jaffar Al-Mahfoodh), soutenait également le mouvement de protestation, dont une partie demandait des «  réformes  » politiques et sociales alors qu’une autre allait jusqu’à mettre en question ouvertement la monarchie.

Après quatre semaines de manifestations et rassemblements incessants, dont le centre était la désormais célèbre place de la Perle de la capitale Manama, le pouvoir décide de mater la révolte par la répression. Le 14 mars, des troupes du Conseil de coopération du Golfe (réunissant six monarchies conservatrices et réactionnaires), surtout d’Arabie saoudite, entrent à Bahreïn sur demande du pouvoir royal.

Ce dernier décrète l’état d’urgence à partir du 15 mars, et fait évacuer la place de la Perle, le 16 mars. Le fameux monument d’une hauteur de cent mètres, au bout duquel se trouvait une boule représentant une perle, fut d’ailleurs détruit par des bulldozers, le 18 mars  : il fallait surtout ne laisser aucune trace de la rébellion de masse  ! Dans un pays qui compte 1, 2 million d’habitants (dont 650 000 de nationaux), les manifestations dans la capitale s’étiraient, quelques jours plus tôt, sur plus de trois kilomètres de long.

Depuis, c’est une répression terrible. 24 manifestants ont été tués pendant les mois de février et mars (dont vingt dans la rue, et quatre probablement sous la torture). 2 000 personnes ont été licenciées, après le 15 mars, pour avoir participé aux rassemblements de protestations. Le 19 mai dernier, neuf opposants ont été condamnés à vingt ans de prison, puis huit autres – le 22 juin – à la prison à vie. Des dizaines de médecins et infirmières ont été traduits en justice, pour avoir soigné des manifestants blessés et «  exagéré leurs blessures face aux médias internationaux  ».

Mais le 1er juin, le roi a officiellement levé l’état d’urgence, mesure qui fut tout de suite suivie de tentatives de manifester (vite étouffées). Le 2 juillet, la monarchie a ouvert un «  dialogue national  » auquel le plus grand parti d’opposition chiite (le Bloc Wefaq) a d’abord participé. Or, le 17 juillet, ce parti, revendiquant des réformes politiques, s’est retiré de ce pseudo-dialogue. L’avant-veille, plusieurs dizaines de milliers de partisans de l’opposition avait de nouveau manifesté à Manama.

Oman, grèves des pétroliers

Un autre pays du Golfe, le sultanat d’Oman (qui compte environ trois millions d’habitants), a connu de forts mouvements sociaux et démocratiques, à partir du 17 janvier 2011. Les mobilisations (grèves et sit-in) ont surtout concerné la fonction publique et les sociétés nationales. Elles ont été accompagnées de rassemblements et sit-ins de plusieurs centaines de chômeurs et d’intellectuels – manifestant pour l’emploi et pour les libertés d’expression et d’information et contre la corruption dans plusieurs villes – et, du 15 au 20 mars, la première grève de travailleurs du pétrole est déclenchée dans le Golfe pendant le «  printemps arabe  ».

L’armée a fini par investir la ville de Sohar, épicentre industriel de la contestation qui s’est provisoirement interrompue. À la suite de procès où des manifestants ont été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement, les manifestations pour exiger leur libération ont repris en juillet, vite réprimées.

Les concessions obtenues (salaire minimum mensuel porté de 364 à 520 dollars, instauration d’une allocation de chômage de 390 dollars mensuels, remaniement ministériel, annonce de la création de milliers d’emplois dans le public et le privé, distribution de terres constructibles aux foyers, annonce d’une féminisation relative de l’assemblée consultative qui serait dotée de pouvoirs législatifs et dont le renouvellement est prévu à l’automne, etc.) ne sont toutefois pas parvenues à endiguer la révolte des travailleurs du privé exigeant d’être traités à égalité avec ceux du public ou des chômeurs oubliés des mesures.

Jordanie, des réformes insuffisantes

La Jordanie, pays voisin d’Israël, de la Syrie et de l’Irak, compte environ 6, 5 millions d’habitants. Son pouvoir monarchique est étroitement lié aux États-Unis. Notons que le Conseil de coopération du Golfe a décidé de s’étendre à la fois à la Jordanie et au Maroc  ; deux pays situés loin du Golfe arabo-persique, mais qui partagent cette caractéristique d’être gouvernés par des monarchies conservatrices.

Le pays a connu pendant plusieurs mois des manifestations massives. Elles ont commencé, le 16 janvier 2011, dans la capitale Amman, rassemblant plusieurs milliers de personnes venant de trois pôles politiques  : la gauche, les syndicats et le Parti d’action islamique (proche des Frères musulmans). À partir de la mi-mai, ces différentes forces ont d’ailleurs formé un Front national pour la réforme, une sorte de coordination commune.

À plusieurs reprises, le 15 février (en journée) puis dans la nuit du 24 au 25 mars 2011 à Amman, des rassemblements et campements d’opposants ont été attaqués par des nervis pro-régime en civil. À l’instar des attaques des «  baltagyas  » en Égypte, ou plus récemment des milices de civils pro- pouvoir au Maroc.

Le pouvoir monarchique a changé de Premier ministre et de gouvernement, le 1er février, mais a nettement refusé au cours des semaines suivantes les revendications de réformes politiques de l’opposition (dissolution du Parlement et système de vote plus démocratique). Le 13 juin, un convoi de voitures du roi Abdallah ii a été attaqué à Tafileh, à environ 150 km au sud de la capitale Amman, par une soixantaine de jeunes jetant des pierres et des projectiles.

Récemment, le 15 juillet, une nouvelle manifestation massive a eu lieu à Amman, au cours de laquelle au moins dix-sept personnes (dont neuf journalistes) ont été blessées.

Yémen, Saleh résiste

La situation au Yémen est différente, dans la mesure où le mouvement ouvrier est extrêmement faible dans ce pays le plus pauvre de tout le monde arabe, et encore largement agricole. L’agriculture représente 75 % de la population active, mais seulement 10 % du PIB  ; alors que les ressources pétrolières, en voie de s’épuiser, procurent un quart des recettes du pays mais 70 % des finances du gouvernement. Le pays compte par ailleurs l’une des populations les plus jeunes du monde, avec un âge moyen de 24 ans.

Au Yémen, la première mobilisation «  pour des réformes  » a commencé le 16 janvier 2011, au surlendemain du renversement de Ben Ali, en Tunisie, avec deux rassemblements successifs sur le campus de l’université de la capitale Sanaa. Ils étaient suivis, le 20 janvier, par un premier rassemblement dans la ville de Taëz. Mais c’est surtout l’arrestation, dans la nuit du 22 au 23 janvier, de la journaliste et militante Tawakel Karman qui a déclenché les protestations.

Madame Karman, membre de la direction du parti Islah («  Réforme  », de tendance islamiste modérée), anime par ailleurs une association, Journalistes sans chaînes, qui lutte pour la liberté de la presse. Elle avait été la principale animatrice d’un rassemblement «  de solidarité avec le peuple tunisien  ». Environ 200 journalistes ont manifesté, le 23 janvier, pour la libération de leur collègue (qui a d’ailleurs été relâchée le lendemain).

Dès lors, le processus était déclenché. Le 27 janvier 2011, pour la première fois, ils étaient des dizaines de milliers à se rassembler à Sanaa contre le régime du président Ali Abdallah Saleh. Au pouvoir depuis juillet 1978 – 33 ans  ! –, ce dernier s’appuyait jusqu’ici sur les structures tribales, encore extrêmement puissantes  ; les tribus soutiennent financièrement leurs membres en cas de maladie ou incapacité de travail, aucune protection sociale publique n’existant dans ces domaines.

Par ailleurs, le régime était soutenu par les États-Unis puisque le président Saleh agitait le chiffon rouge de la présence d’Al-Qaida dans le pays  ; même si l’administration américaine se méfiait de lui et était convaincue que Saleh jouait un jeu tactique avec cet argument. Or, au fur et à mesure que son pouvoir perdurait et montrait de l’usure, certaines structures tribales se sont détournées de Saleh.

Ainsi, il y a eu deux mobilisations en parallèle contre le régime de Saleh. D’un côté, un mouvement de masse, non armé, majoritairement jeune, misant sur les rassemblements publics et les manifestations, dans les centres urbains. Une mobilisation à laquelle le pouvoir tentait d’ailleurs de répondre par des contre-­manifestations de partisans du Congrès général du peuple (parti au pouvoir).

Mais ces dernières restaient nettement plus petites que les manifestations de l’opposition, soutenues par le parti Islah, le Parti socialiste (anciennement au pouvoir au Yémen du Sud avant 1990, ex-marxiste-léniniste) et des nationalistes arabes nasséristes. De l’autre côté, dans les zones rurales et montagnardes, les tribus entrées en «  dissidence  » mobilisaient des combattants armés contre le régime, venant parfois rejoindre les manifestants en ville. Mais les uns se méfiaient nettement des autres.

Le 3 juin 2011, le président Saleh est blessé dans son palais présidentiel, probablement par une bombe placée à l’intérieur (alors que des premières théories avaient porté sur des obus lancés sur le palais par les combattants de tribus, entrés fin mai à Sanaa). Depuis, il est soigné en Arabie saoudite, mais il a à plusieurs reprises annoncé son retour que l’opposition refuse fermement. Le 16 juillet, les forces de l’opposition ont annoncé avoir créé un Conseil de transition pour mettre sur pied une alternative au pouvoir de Saleh.

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