Édition du 12 novembre 2024

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Planète

Avec le changement climatique, la Russie colonise l’Arctique

À l’occasion du Forum Arctique à Saint-Pétersbourg, la Russie a présenté un programme très ambitieux de développement de ports et d’infrastructures le long de la nouvelle « route maritime du Nord ». Une région stratégique, riche de ressources naturelles mais aussi écologiquement fragile et préservée, rendue accessible à cause du changement climatique.

Tiré de Reporterre.

Vladimir Poutine avait annoncé en 2018 son objectif : multiplier par quatre, d’ici à 2025, le volume du trafic de fret transitant par la voie maritime du Nord pour atteindre 80 millions de tonnes par an. Le président russe a confirmé l’objectif lors du Forum international arctique à Saint-Pétersbourg, qui a réuni les 9 et 10 avril responsables politiques, chercheurs, scientifiques et environ 350 entreprises privées.

C’est « un objectif réaliste, calculé et concret », a-t-il affirmé lors de la session plénière en présence de ses homologues finlandais, islandais, norvégien et suédois, venus discuter coopération, occasions de développement et protection de l’environnement dans la région arctique. « Il y a encore 10, 15 ans, ce chiffre semblait totalement inatteignable », a ajouté Vladimir Poutine.

Conséquence du réchauffement climatique, deux fois plus rapide au pôle Nord qu’ailleurs, la situation en Arctique a changé. La fonte de la banquise ouvre de nouvelles voies de navigation par le passage du Nord-Est, le plus court chemin reliant l’Europe à l’Asie. La « route maritime du Nord » — comme l’appellent les Russes — permet de gagner plusieurs milliers de kilomètres dans l’acheminement des hydrocarbures vers les marchés asiatiques — la Chine notamment — en évitant d’emprunter la route du canal de Suez.

La Russie assure vouloir trouver « un équilibre entre le développement économique et la conservation de la nature arctique »

Or, ce passage, qui rejoint le détroit de Béring, longe les côtes septentrionales de la Sibérie. Et la Russie entend bien en profiter pour exploiter ses énormes richesses locales en pétrole et en gaz, mais aussi en minerais, tels que le nickel ou le cobalt.

Mikka Mered, expert en géopolitique des pôles et professeur à l’Ileri (Institut libre d’étude des relations internationales), a participé au Forum de Saint-Pétersbourg. Pour lui, la fonte des glaces n’est qu’un « facteur facilitant » de la conquête russe de l’Arctique, mue avant tout par des raisons économiques. « Le système russe est fondé sur sa rente pétrolière. Or, ses ressources d’hydrocarbures, exploitées dans le sud-ouest de son territoire depuis l’ère soviétique, se tarissent petit à petit et perdent en rendement. Pour maintenir son système, le pays doit trouver des relais de croissance, c’est pourquoi il exploite l’Arctique. » Il précise que 80 % du gaz russe provient déjà de cette zone.

Le développement économique de l’Arctique est en effet une priorité nationale. « Aujourd’hui, la part de l’Arctique représente plus de 10 % de tous les investissements en Fédération de Russie, a déclaré Vladimir Poutine. Et je suis convaincu que l’importance du facteur arctique dans l’économie du pays ne fera que croître. »

Quant aux conséquences de l’extraction sur l’environnement particulièrement fragile de la zone arctique, la Russie assure vouloir trouver « un équilibre entre le développement économique et la conservation de la nature arctique, la préservation de ses biosystèmes uniques et fragiles ». Pour cela, elle propose un aménagement du territoire avec des réserves naturelles protégées cohabitant avec des zones d’exploitation.

Mikka Mered note que, sur la question du réchauffement climatique, le discours de Vladimir Poutine a changé. « Désormais, le président russe dit qu’il faut s’en prémunir et s’en sert pour justifier sa stratégie de développement en Arctique. En étant très compétitive sur le marché du gaz naturel liquéfié [GNL], la Russie se positionne en soutien d’une transition énergétique douce », explique l’expert. Vladimir Poutine a rappelé que le gaz produisait beaucoup moins de CO2 que le charbon.

Construction navale, installations portuaires, bases pétrolières, réseaux de communication, système de navigation sécurisé, stations météo… la conquête de l’Arctique demande l’installation de nombreuses infrastructures logistiques dans des conditions climatiques qui restent extrêmes. Le Forum Arctique était l’occasion pour la Russie d’afficher ses réalisations et d’affirmer ses ambitions. Il visait aussi à attirer les investisseurs. Dans son allocution, Vladimir Poutine a insisté sur le « besoin de coopération », de « création d’équipes de recherche internationales » et « d’alliances d’entreprises de haute technologie ». Pour séduire les partenaires potentiels, il a annoncé la mise en place de conditions financières préférentielles sous la forme par exemple des réductions de taxes. Un projet de loi fédérale est aussi à l’étude pour créer un système d’avantages spécifiques pour les investissements en Arctique.

Trois nouveaux brise-glace à propulsion nucléaire sont en cours de construction

Dans cette région, la Fédération de Russie a déjà initié une centaine de projets, dont le plus impressionnant est sans doute l’élaboration en un temps record du site de production de gaz naturel liquéfié Yamal LNG, au-delà du cercle arctique à 2.500 kilomètres de Moscou. Mené par un consortium international, dont le groupe russe privé Novatek, le Français Total et le Chinois Chinese National Petroleum Corporation, le projet, d’un montant de 27 milliards de dollars — parmi les plus gros investissements réalisés dans le secteur —, comprenait la construction de l’aéroport et du port de Sabetta. Deux autres tranches de travaux sont prévues jusqu’en 2030. Novatek a également un projet similaire dans le Grand Nord, sur la péninsule de Gydan. Baptisé « Arctique-2 », il devrait débuter en 2022-2023, avec, à nouveau, Total comme associé.

Le programme d’expansion russe prévoit également la construction ou la rénovation de 16 ports tout au long de la côte arctique, avec deux ports principaux aux extrémités de la route maritime du Nord, à Mourmansk et à Petropavlovsk-Kamchatski. Plus une ligne de chemin de fer reliant la péninsule de Yamal.

Pour « développer la science fondamentale et résoudre les problèmes pratiques et appliqués du développement de l’Arctique », un centre de recherches scientifiques et technologiques devrait aussi voir le jour.

La flotte de brise-glace va être élargie. Trois nouveaux brise-glace à propulsion nucléaire sont en cours de construction à Saint-Pétersbourg. D’ici 2035, la Russie en comptera 9, contre 4 actuellement. Elle renforce également sa présence militaire avec la construction de nouvelles bases ou la réhabilitation d’anciennes bases soviétiques. Au total, 6.000 hommes y seraient déployés.

Interrogé lors du Forum Arctique sur cette « militarisation », le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a affirmé « ne menacer personne ». « Nous ne faisons rien d’autre que défendre la sécurité de notre pays (…). Nous préservons nos capacités de défense en tenant compte de la situation qui entoure notre pays ».

Estelle Levresse

Collaboratrice au site de Reporterre.

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