Le Bloc québécois : un parti marqué par un long travail d’opposition dans les institutions fédérales.
Pour réellement comprendre ce récent épisode il faut revenir sur les origines et l’histoire de ce parti.
Le Bloc québécois a été fondé par Lucien Bouchard suite à l’échec de l’entente du Lac Meech sur la réforme de la constitution canadienne. Lucien Bouchard était alors député conservateur. Il avait participé à la tentative de Brian Mulroney de réintégrer le Québec dans la constitution canadienne « dans l’honneur et la dignité » selon la formule que Lucien Bouchard avait lui-même forgée. Le Bloc québécois a été fondé en juin 1991 au moment d’une forte montée des sentiments indépendantistes provoquée par l’échec de l’accord du Lac Meech. S’appuyant sur cette montée des sentiments indépendantistes dans la population, Jacques Parizeau promettait de parler de référendum sur la souveraineté avant, pendant et après les élections d’un gouvernement péquiste. C’est sur cette orientation qu’il prend le pouvoir en 1994 et qu’il conduira le PQ à tenir un référendum en 1995. Durant toute cette période pré-référendaire, le Bloc est présenté comme un parti « éphémère » voué à accompagner la lutte référendaire et à disparaître après la victoire de ce dernier. Il devait entretemps démontrer que les partis fédéralistes n’avaient plus qu’une légitimité marginale au Québec.
La défaite du référendum de 1995 devait nullement déboucher sur la remise en question de l’existence du Bloc québécois. D’autant plus que de 1993 à 2011, dans six élections fédérales, le Bloc remporte une majorité des 75 sièges du Québec. En 1993, avec 54 sièges, il devint même l’opposition officielle à la Chambre des communes. De 1997 à 2011, Gilles Duceppe en est le chef incontesté.
Mais le mouvement souverainiste dirigé par le PQ ne parvient pas à se relever de l’échec référendaire. En 2003, il perd le pouvoir. En 2007, le PQ devient la deuxième opposition. En 2008, Charest parvient à former un gouvernement majoritaire et le PQ se hisse au rang de l’opposition officielle. La perspective de la tenue d’un référendum est toujours remise au lendemain. La victoire de 2012 se fait encore une fois sur la perspective d’un bon gouvernement, d’autant plus qu’il ne parvient à ne former qu’un gouvernement minoritaire. La perspective d’une lutte concrète pour la souveraineté semble s’inscrire dans un horizon de plus en plus lointain. 2014, c’est une défaite majeure. 2015, le PQ se cherche un chef. 2016, il y a une autre course à la chefferie.
C’est dans ce contexte de recul du bloc souverainiste pendant près de deux décennies, que la pertinence du Bloc québécois à Ottawa est remise en question. L’indépendance n’est plus à l’ordre du jour dans le bloc souverainiste dirigé par le PQ. Sous la direction de Gilles Duceppe, le Bloc québécois a une pratique essentiellement définie par une stratégie de défense des intérêts québécois à la Chambre des communes. Le Bloc apparaît de plus en plus comme un parti qui ne prendra jamais le pouvoir et qui ne promet rien d’autre que des postures d’opposition perpétuelle. Face à la férocité des politiques néolibérales menées par le gouvernement Harper, il n’apparait plus comme un instrument permettant d’en finir avec les politiques néolibérales de ce parti conservateur. Le recul de sa pertinence, lié également à la crise du mouvement souverainiste dans son ensemble, va être sanctionné en 2011, par la montée du NPD au Québec, la vague orange, qui réduit le Bloc québécois à 4 députés. L’essentiel de l’expérience historique du Bloc québécois est celle d’une opposition à la Chambre des communes qui a construit une culture politique et des expertises précises, celles de parlementaires d’opposition.
Après 2011, une migration d’indépendantistes dans l’appareil du Bloc québécois
Après l’échec au référendum de 1995 et la démission de Jacques Parizeau, Lucien Bouchard prend la direction du PQ. Il ne replacera jamais au coeur de sa politique la reprise de la lutte pour l’indépendance. Il fera de la lutte au déficit le centre des préoccupations du gouvernement péquiste. En 2003, le PQ, sous la direction de Bernard Landry, perd ses élections. Depuis ce temps, le Parti québécois s’est avéré incapable d’élaborer une véritable stratégie de lutte pour l’indépendance. Les directions Landry, Boisclair, Marois, Péladeau ont construit un parti essentiellement voué à l’administration d’un gouvernement provincial. Jean-François Lisée en reportant en 2022, l’éventuelle tenue d’un référendum… a poussé encore plus loin cette orientation. Le PQ est devenu un parti vieillissant, sans perspective indépendantiste claire.
Durant les courses à la chefferie en 2015 et en 2016, Martine Ouellet s’était présentée sur un programme clairement indépendantiste. En 2015, elle recueille 13,2% des voix. En 2016, dans son discours de présentation de sa candidature, elle livre son analyse de la situation du mouvement indépendantiste : « Fondamentalement, le parti a deux routes devant lui : celle du bon gouvernement provincial, cette voie qui nous a menés aux résultats de 2014, ou la voie de l’indépendance, cette voie que nous avons trop longtemps mise de côté. .. : « Le temps de l’attente est terminé. Ça fait 20 ans que nous attendons et, à ce rythme, si nous ne donnons pas un sérieux coup de barre au mouvement indépendantiste, nous allons continuer à attendre longtemps comme les spectateurs de notre avenir. » Elle n’obtiendra que 16,4% des votes. La minceur de ces résultats montre un PQ complètement engoncé dans des pratiques de bonne opposition ou de bon gouvernement.
Après 2012, nombre d’indépendantistes, surtout parmi les jeunes, ont trouvé dans le Bloc québécois, un refuge où pouvait se tenir un discours plus clairement indépendantiste. L’élection de Mario Beaulieu à la présidence du Bloc québécois en 2014, illustrait bien cette migration d’un certain nombre d’indépendantistes vers le Bloc. La petitesse de l’aile parlementaire laissait de l’espace pour un travail d’élaboration par les militant-e-s du parti d’une perspective plus militante dans la lutte pour l’indépendance.
Mario Beaulieu ou l’art du slalom entre les naufrages appréhendés
Les élections fédérales de 2015 approchaient et les journalistes spéculaient sur l’éventuelle disparition du dernier carré de députés bloquistes. Mario Beaulieu affirmait-on souvent n’avait pas la notoriété pour permettre d’éviter cette éventualité. C’est pour faire face à ce naufrage appréhendé, que Mario Beaulieu invita Gilles Duceppe à se relancer dans l’arène et à reprendre la direction du Bloc. Duceppe réussit à faire élire 10 député-e-s, mais il échoua à se faire réélire dans son propre comté. Il démissionna aussitôt. Le Bloc n’est pas alors parvenu à avoir les 12 député-e-s nécessaire pour former un parti reconnu avec l’ensemble des privilèges liés à ce statut. Mais il avait tout de même dix élu-e-s.
La volonté de Mario Dumais de relancer le Bloc le conduisit à pousser Martine Ouellet à la direction du Bloc. Il partageait avec elle une conception de l’urgence de placer l’indépendance au centre du travail du parti. Martine Ouellet fut élue par acclamation.
L’affrontement de deux missions différentes, au coeur de la crise du Bloc
Aussitôt élue, Martine Ouellet dut faire face à la contestation de son aile parlementaire. Une longue tradition développée sous la direction de Gilles Duceppe avait amené la députation à définir le travail du Bloc comme parti voué à la défense des intérêts du Québec. Cette conception de la mission du Bloc était également au diapason de la politique du Parti québécois. La volonté de redressement du travail parlementaire du Bloc voulu par Martine Ouellet pour le centrer sur la promotion de l’indépendance dans tous les dossiers bouleversait bien des attitudes et remettait en cause la répartition des pouvoirs entre le parti et son aile parlementaire.
L’offensive fut lancée par la majorité de l’aile parlementaire. L’axe de cette offensive fut la stigmatisation de la personnalité de Martine Ouellet. Rigidité, autoritarisme, manque d’écoute : son incapacité à être une véritable cheffe de parti devint une véritable campagne. Ces député-e-s dissidents mobilisèrent d’ex-députés du Bloc. Gilles Duceppe et d’autres ex-dirigeants du Bloc prirent part à cet hallali. Cette chasse avait aussi des dimensions clairement sexistes. Ces députés allèrent jusqu’à démissionner du Bloc croyant provoquer ainsi la rapide démission de la présidente du parti. Mais Martine Ouellet s’accrocha. La réponse de la direction Ouellet fut de proposer la tenue d’un référendum sur la mission du parti et un vote de confiance.
Les dissident-e-s ont nié qu’il y ait un débat de fond réel sur la mission du Bloc. Et ils réussirent à imposer que le facteur essentiel de cette crise était le caractère dysfonctionnel d’une personnalité rigide. Cette interprétation de la crise était largement véhiculée dans les médias qui devinrent une caisse de résonance de la campagne contre la présidente. La député-e-s dissidents annoncèrent même la formation d’un nouveau parti, et ce même avant la tenue du vote de confiance.
Le climat ne cessant de se détériorer, les rumeurs sur la fin du Bloc ressurgirent chez les commentateurs des médias tant et si bien que cette perspective finit par convaincre nombre de supporters de la mission de placer au centre du travail du Bloc la promotion de l’indépendance, que le départ de Martine Ouellet était inévitable si on voulait casser la spirale destructrice dans lequel était entré le parti. Mario Beaulieu, encore une fois, voulant éviter un naufrage, devint le promoteur du vote en défaveur de la présidente du parti qu’il avait lui-même installée.
Tout était en place pour les résultats contradictoires de ce référendum : une majorité pour faire de l’indépendance l’axe central du travail du parti et seulement 32% des membres accordant sa confiance à Martine Ouellet. C’est ainsi que la démission de Martine Ouellet fut arrachée.
Quel avenir pour le Bloc québécois ?
Gilles Duceppe a clairement défini une orientation pour cet avenir. Il demande aux député-e-s dissidents de revenir au Bloc. Il faut, déclare-t-il que tous les gens reviennent ensemble. Il demande à l’équipe de direction actuelle du parti de démissionner. Il propose de mettre au pilon la proposition principale intitulée « Pour faire du Québec une République » qu’il définit comme un document ridicule et propose de réécrire la proposition principale.
Cet appel a eu peu d’écho. Deux des députés dissidents seulement vont retourner au Bloc. Cinq des sept dissidents qui avaient formé "Québec debout", le premier mai dernier, ont décidé maintenir ce nouveau parti. Ils affirment clairement que la tâche de "Québec debout" n’est pas de faire la promotion de l’indépendance, mais de défendre les intérêts du Québec, de se faire les porte-parole des consensus de l’Assemblée nationale et de défendre les compétences du Québec face aux ingérences du fédéral... Ces 5 dissidents ne se reconnaissent plus dans le Bloc Québécois.
Les personnes qui croient encore qu’il ne s’agissait pas dans cette crise d’une lutte de ligne au sein du Bloc québécois sont dans le déni. Les personnes qui ont élaboré la proposition principale Pour faire du Québec une république continueront-elles de défendre cette orientation. Quel sens faut-il accorder au vote de 64% en faveur de placer l’indépendance au centre du travail du Bloc québécois ?
Rien ne semble dénoué dans cette crise… car c’est la crise stratégique du bloc souverainiste sous direction péquiste qui a connu un nouvel épisode qui va continuer à faire sentir ses effets et connaître d’autres rebondissements. Les résultats des élections du premier octobre prochain seront sans doute déterminants à cet égard. L’orientation proposée par Gilles Duceppe, est loin, en dehors du retrait de Martine Ouellet, de s’être imposée. Le Bloc québécois est dans une impasse, car son existence est liée au PQ, parti en déclin qui a épuisé toute possibilité de conduire la lutte pour la souveraineté à la victoire. Le Bloc québécois a sans doute un passé, mais bien peu d’avenir.
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