Édition du 18 juin 2024

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Aux États-Unis, les drags sont la nouvelle cible des conservateurs

Ces artistes, qui jouent avec les codes traditionnels du genre et se produisent sur scène ou lors de lectures pour enfants, sont devenus une obsession pour la droite américaine. Comme en France, ils sont menacés, voire attaqués au nom de la protection des mineurs.

8 mai 2023 | tiré de mediapart.fr | Photo : Manifestation contre le « Drag Story Hour » devant le centre LGBTQIA+ de New York le 19 mars 2023. © Photo Kena Betancur / AFP

New York (États-Unis).– En ce début de printemps, le calme est revenu à Manhattan autour de la bibliothèque Andrew Heiskell. Sur la vitrine de l’espace dédié aux tout-petits, qui donne directement sur la rue, des fleurs et des petites poules ont été dessinées par les enfants. Il y a quelques semaines, des protestants ultra-conservateurs y déversaient cependant leur colère. « Qui es-tu ? Un pédophile ? Tu te balades avec tes habits de merde ? Dégage put*** ! », hurlait l’un d’eux à un élu local, homosexuel.

« Tapette qui pleurniche », poursuivait un autre en faisant un bras d’honneur à l’élu. Sur les pancartes des manifestants, un même discours. « Stop grooming kids for sex » : arrêtez de conditionner les enfants au sexe. L’objet du courroux : la « Drag Story Hour », un moment de lecture organisé un peu plus tôt à la bibliothèque par des volontaires drag (queens le plus souvent, et parfois kings).

Depuis 2015, ce type d’événement se tient un peu partout aux États-Unis et a pour but d’apprendre aux plus jeunes « la diversité du monde qui les entoure ».

À New York, près de 250 lectures, faites par des artistes drag spécialement formé·es, ont eu lieu l’année dernière. Une popularité qui n’est pas passée inaperçue à droite. Ces rencontres suscitent régulièrement des protestations, voire des violences. Y compris en plein centre de Manhattan (et y compris en France).

En décembre dernier, lorsque la Drag Story Hour s’est terminée à la bibliothèque Andrew Heiskell, les manifestants ultra-conservateurs ont pourchassé l’artiste drag venu lire ce jour-là et ont encerclé sa voiture, l’empêchant de démarrer. Jusqu’à ce qu’ils soient dispersés par des policiers. Interrogée par Mediapart, la libraire qui supervise la plupart de ces lectures à la bibliothèque semblait, en cette mi-avril, encore affectée. « Je ne veux pas en parler. »

L’incident n’est pas un cas isolé. Selon le dernier rapport publié par l’organisation Glaad, consacrée à la défense des droits LGBTQI+, il y a eu en 2022 au moins 141 manifestations ou « menaces significatives » contre des événements incluant la présence d’interprètes drag. Celles-ci s’inscrivent dans un contexte de violences plus larges contre la communauté LGBTQI+.

« Ils nous accusent d’être des pédophiles. Cela fait partie de la théorie conspirationniste QAnon. Lorsque je faisais du lobbying pour les droits des homosexuels dans les années 1980, je parlais aux législateurs à Washington et me promenais littéralement avec une documentation du FBI dans ma mallette, disant que la plupart des pédophiles étaient hétéros et non gays », confie à Mediapart Arline Isaacson, militante LGBTQI+ et consultante en politiques publiques.

« La droite a toujours utilisé cette accusation de pédophilie, poursuit-elle, comme une raison pour nous priver des mêmes droits. Elle insistait sur l’idée que nous étions mauvais, que nous recrutions des enfants, des choses comme ça. Il y a maintenant une résurgence d’attaques venant de la droite et de l’extrême droite qui s’en prend ouvertement aux événements tels que les Drag Story Hours ou même simplement aux livres », ceux dont les récits comportent des personnages ou une thématique LGBTQI+.

La seule différence, conclut Arline Isaacson, est que dans les années 1980 ou 1990, ces militants se cachaient. Pour se faire élire à des postes clés, à des petits échelons à l’instar des fédérations de parents d’élèves, la droite passait par des candidats en apparence lisses, mais qui en réalité « dissimulaient leur radicalité ». Désormais, elle est « très explicite, très claire à ce sujet ».

La guerre culturelle

Ces dernières années, la question du genre est plus largement la nouvelle obsession de la droite américaine – des médias tout comme des responsables politiques. Parmi leurs cibles : les drag-queens, mais aussi les personnes trans, notamment les mineur·es. Les thérapies hormonales de transition, par exemple, sont ainsi devenues l’un des étendards du Parti républicain. Elles ne concernent pourtant qu’une infime partie des adolescents trans (autour de 15 000 jeunes aux États-Unis depuis 2017).

« J’ai l’impression que l’administration Trump a vraiment ouvert les vannes, confie à Mediapart William, la cinquantaine, une drag-queen qui se produit sur la côte Est. Les gens pensent qu’ils peuvent tout dire maintenant sans aucune répercussion parce que Donald Trump le fait. »

Malgré les récents déboires de Donald Trump, son inculpation à New York entre autres, beaucoup de ses supporters continuent de « terroriser » la communauté LGBTQI+, regrette William. « Comme les Proud Boys », un groupuscule d’extrême droite. Dans l’Ohio, une cinquantaine d’entre eux se sont précisément déplacés – armés – afin de protester contre une Drag Story Hour qui se tenait dans une église.

En tout, entre 2021 et 2022, des milices d’extrême droite ont multiplié par trois leur présence lors de manifestations anti-LGBTQI+. Du côté des législateurs républicains, les projets de lois anti-trans ont également explosé. Près de 400 textes déposés, contre 150 l’année dernière, selon le décompte de l’ACLU, célèbre organisation de défense des droits civiques. Parmi ces textes, une dizaine vise désormais directement les interprètes drag.

Des lois répressives en pagaille

Ainsi, dans le sud du pays, à Nashville, un juge fédéral a suspendu fin mars une loi visant à interdire totalement les spectacles d’artistes drag. La loi en question, aux contours flous, adoptée par les législateurs républicains locaux, ne mentionnait pas explicitement les drags mais visait à proscrire les spectacles, entre autres, de « cabaret », destinés aux adultes.

Dans le Montana, un projet de loi pourrait quant à lui bientôt interdire les drag-shows aux mineur·es dans les écoles et bibliothèques percevant certains fonds publics. Idem en Arizona. En Virginie-Occidentale, ce sont les parents qui pourraient être ciblés. Du moins ceux qui permettraient à leurs enfants d’assister à des spectacles de cabaret.

Ces parents-là pourraient être tenus de suivre des cours de « parentalité », voire des ateliers de « prévention à la toxicomanie ». Mais c’est en Floride que les conservateurs se sont montrés les plus agressifs. Sur place, l’administration du gouverneur Ron DeSantis, potentiel candidat à la présidentielle de 2024, a demandé à des agents de l’État d’infiltrer un spectacle de Noël joué dans un petit théâtre par des artistes drag.

« À part certaines tenues provocantes (bikinis et shorts courts), les agents n’ont été témoins d’aucun acte obscène », indique le rapport des agents selon une enquête du quotidien local Tampa Bay. Cela n’a pourtant pas empêché les équipes du gouverneur DeSantis de poursuivre, sur des bases mensongères, ledit théâtre.

Dans la presse de gauche, outre-Atlantique, le phénomène inquiète. On tente de le décortiquer. « Jusqu’ici les spectacles de drag-queens n’inquiétaient pas, détaille notamment dans le New York Times Joe E. Jeffreys, un historien spécialisé dans l’évolution du mouvement drag. Ils étaient diffusés tard à la télévision ou dans les bars. Mais les Drag Story Hours en ont fait quelque chose de plus public, de plus commun. » Autrement dit, de plus accessible.

En face, sur la chaîne très conservatrice Fox News, la riposte s’est donc rapidement organisée. Dans son émission, l’ex-présentateur star Tucker Carlson va jusqu’à associer spectacles d’artistes drag et « agression sexuelle » sur mineur.

La rhétorique apparaît abondamment reprise sur les réseaux sociaux, notamment sur TikTok.

À la bibliothèque Andrew Heiskell, à New York, les Drag Story Hours ont néanmoins continué. À l’entrée de l’espace dédié aux plus jeunes, l’un des premiers livres disponibles sur les étagères s’intitule Call me Max. Il raconte l’histoire d’un enfant qui découvre son identité transgenre. Un livre, justement, que la droite cherche là aussi à bannir.

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