Édition du 17 décembre 2024

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Syndicalisme

Au sujet du conflit syndical qui oppose la direction de l’Université McGill et ses professeur·es en droit

Le 7 novembre 2022, malgré la contestation judiciaire de la direction de l’Université McGill, l’Association McGillienne des professeur·es de droit (AMPD) obtenait une accréditation syndicale du Tribunal administratif du travail (TAT).

Les quelques 45 membres de l’AMPD devenaient ainsi les premier·ers professeur·es syndiqué·es de l’Université McGill qui était alors, quant à elle, la seule université québécoise dépourvue de syndicat de professeur·es. Le 6 décembre 2022 l’Université contestait par voie de pourvoi en contrôle judiciaire la décision d’accréditation du Tribunal. Il lui a fallu six mois pour déposer son mémoire, le 20 juin 2023 et le pourvoi ne sera pas entendu avant la mi-décembre 2024.

Pour motiver son opposition à la syndicalisation de ses professeur.es de droit, l’administration n’a jusqu’à présent avancé que des arguments éculés et passablement confus, lesquels ont d’ailleurs été rejetés en bloc par le TAT, sans aucune exception. Au nombre de ces arguments tels qu’on peut les repérer dans le jugement, on retrouve des classiques du patronat : le syndicat menacerait la paix industrielle, il serait inefficace et non-représentatif. Plus singulier, l’administration soutient qu’il serait illogique de créer un syndicat exclusivement réservé à la Faculté de droit. Lorsqu’elle évoque « la balkanisation indue des unités pour la négociation d’une convention collective », on pourrait presque croire qu’elle souhaite finalement syndiquer l’ensemble du corps professoral. Mais plutôt que d’entamer des procédures dans ce sens, l’administration a préféré engager de nouveaux fonds publics pour contester judiciairement les demandes d’accréditation syndicales déposées depuis par les professeur·es de deux autres Facultés de McGill : l’Association McGillienne des professeur·es d’éducation (AMPE – septembre 2023) et l’Association McGillienne des professeur·es en Arts (AMPFA – avril 2024).

Entre l’AMPD et l’Université, les négociations visant la rédaction d’une première convention collective ont été entamées en décembre 2022. En décembre 2023, soit un an plus tard, constatant le blocage des négociations, les membres de l’AMPD adoptaient à 85% un premier mandat de grève à déclencher au moment jugé opportun et pouvant aller jusqu’à 5 jours. Une première journée de grève a été déclenchée le 13 février 2024. Deux mois plus tard, les négociations n’ayant pas avancé, les membres de l’AMPD votaient (à 75%) un second mandat de grève illimitée cette fois-ci. Déclenchée le 24 avril 2024, cette grève fut suspendue le 20 juin, sa poursuite ne servant à rien pendant les vacances universitaires, sachant que le mandat de grève illimitée demeurait pour sa part en vigueur et que la grève pourrait être reprise à la rentrée d’automne. Le 19 juillet, l’administration demande et obtient un arbitrage de la part du Ministre du travail contre l’avis de l’AMPD, dont les membres sont bien au fait que la procédure d’arbitrage peut entrainer « la fin des moyens de pression de l’Association, notamment celui de faire grève » et que l’arbitre peut imposer les conditions de travail (art.93.1 C.tr.).

Finalement, le 23 août 2024, les membres de l’AMPD décident par consensus de reprendre la grève suspendue à partir du 26 août 2024 : jour de la rentrée universitaire.

Depuis le début des négociations, « les relations sont tendues » selon la formule du Tribunal administratif du travail lui-même qui en veut notamment pour preuve « les nombreuses plaintes pour entrave et mesures de représailles pour activités syndicales déposées au Tribunal par le syndicat » (para.53). On sait par exemple que la direction de la Faculté de droit n’a pas hésité à convoquer un dirigeant syndical ainsi qu’un membre actif dans la mobilisation pour leur parler « d’enjeux de performance ». On sait aussi que ces tentatives d’intimidation ou de représailles, ont donné lieu au dépôt de plusieurs plaintes syndicales. Deux d’entre elles ont déjà été réglées à la satisfaction du syndicat, « les mesures contestées ont été renversées et (…) l’employeur a payé des dommages au syndicat » (Ordonnance provisoire, 30 août 2024). D’autres n’ont pas encore été réglées à ce jour. Elles concernent des entraves (envoie de courriels dénigrants le syndicat, convocation des membres du corps professoral à une réunion sur les conditions de travail sans passer par le syndicat, refus de donner accès à la liste des courriels des enseignant·es), des représailles et d’autres violations du Code du travail visant les professeur·es engagé·es (refus d’accorder la permanence (tenure), avis disciplinaires, évaluation négative de la « performance », note de rendement négatif).

Ce qui est judiciairement établi à ce jour et ce depuis une ordonnance provisoire du 30 août 2024 (voir document joint), c’est que l’administration poursuit ses attaques antisyndicales, toujours à l’aide de services d’avocats très coûteux, dont on apprend au passage qu’ils ne sont pas même en mesure de se présenter au tribunal et de communiquer correctement les documents requis, comme le dénoncera accessoirement la juge du tribunal administratif chargée du dossier.

Plus fondamentalement, la lecture de l’ordonnance révèle que juste avant l’Assemblée générale d’août 2024, au cours de laquelle les membres du syndicat devaient se prononcer sur la reprise ou non de la grève, l’administration a envoyé plusieurs courriels à l’ensemble du corps professoral, au contenu « critique » à l’égard de la direction syndicale. Il est question de « propos tendancieux, sinon directs, qui cherche à miner la crédibilité du syndicat » (para.82), qui le fait « paraître incohérent dans son désir de poursuivre la conciliation et l’accuse de faire de fausses représentations quant au régime de retraite » (para.83).

Comme le rappelle avec force le tribunal, « la liberté d’expression de l’employeur ne peut s’exercer en contravention de la liberté d’association ». Le syndicat a quant à lui fait la preuve d’une « apparence d’entrave aux activités syndicales », que l’attitude de l’employeur « fragilise le rapport de forces au détriment de l’association accréditée » et qu’il subit un « préjudice sérieux et irréparable ». Finalement, le tribunal a ordonné à l’Université et à ses représentants de « cesser toute forme d’entrave et de ne plus faire d’ingérence dans les affaires syndicales, et ce, d’aucune façon ».

Le 8 septembre 2024, nous en sommes là. Les professeur·es de droit entament une dixième semaine de grève afin d’obtenir une première convention collective. Les semaines qui viennent seront sans doute décisives et la suite des choses nous en dira beaucoup sur la solidarité syndicale, la capacité de mobilisation des professeur.e.s d’université et de leur étudiant.e.s comme sur les priorités de la direction de McGill.

En attendant, on aimerait connaitre le montant des frais judiciaires engagés par l’administration de McGill dans ce conflit qui dure depuis 2022. Sachant que 50% du budget de McGill est financé par l’État, il s’agit là d’une question d’intérêt public. Si les risques de représailles à l’encontre des membres de l’AMPD font qu’il est difficile de traiter de ce conflit, on peut peut-être exiger une certaine transparence en matière de budget.

Martin Gallié
8 septembre 2024

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Martin Gallié

Martin Gallié, Montréal, militant internationaliste, professeur à l’UQAM.

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