Ron Seifert, expliquez-nous ce que vous planifiez pour aujourd’hui et racontez-nous ce qui se passe à Winnsboro en ce moment.
R.S. : À Winnsboro, les protestataires occupent la canopée, la cime des arbres d’une forêt mature, depuis trois semaines ; la quatrième commence maintenant. Il y a eu de multiples actions d’obstruction où des gens ont pris des risques personnels pour arrêter la construction. Ça a marché pendant plusieurs jours. Des incidents ont eu lieu un peu partout sur les chantiers. Ce n’est pas seulement dans le conté de Wood mais partout au Texas. La construction de l’oléoduc bat son plein par ici.
Nous avons tenu une fin de semaine très productive d’entrainement pour des actions de soutient aux protestataires. Aujourd’hui, nous avons fait une manifestation et ils sont venus vers nous. Ils vont faire la plus grande manifestation de protestation contre sa construction, dans l’histoire de l’oléoduc Keystone XL. Environ trente manifestantEs vont se rendre directement sur un des chantiers et quelques unEs vont initier des actions pour paralyser la construction, nous espérons, pendant une journée entière.
A.G. : Pouvez-vous nous expliquer comment l’expropriation est utilisée et ce que les changements climatiques ont à faire dans cette histoire ?
R.S. : Bien sûr ! Pour que TransCanada puisse construire son oléoduc exactement où il le voulait, elle devait être reconnue comme « service d’intérêt public » de façon à pouvoir utiliser l’expropriation unilatéralement. Cela lui évite de tortiller son chemin sur le territoire à travers le Texas et l’Oklahoma. Pour obtenir cet avantage elle a pour ainsi dire mentit à l’État du Texas. Elle a soutenu qu’elle n’était qu’un oléoduc ordinaire qui allait transporter du pétrole conventionnel qui allait être utilisé comme un bien public et dans les intérêts du public. Nous savons que ce n’est pas le cas. C’est une compagnie privée à but lucratif et il n’y a pas de bien public attaché à ses activités ni service public dans ses objectifs. Donc, à un moment donné, TransCanada a obtenu sa reconnaissance de « service d’intérêt public » du Texas, sans aucune vérification sur le bien fondé de cette prétention. Personne n’a jamais demandé à TransCanada de prouver ce qui ferait qu’elle soit un « bien commun ». Au contraire ! La compagnie a pu, dans les années qui ont suivi, dire aux propriétaires terriens qu’en vertu de ce privilège elle allait exproprier une partie de leurs terres qu’ils soient d’accord ou non, qu’elle allait négocier un prix avec eux mais que s’il n’arrivaient pas à s’entendre, elle allait les poursuivre, les traîner en cours et qu’ils auraient à se battre contre ses avocats et devraient ainsi lutter pour chaque dollar qu’ils pouvaient espérer avoir pour leur propriété. C’est une méthode digne de la mafia. Les propriétaires n’avaient aucun choix. Ils devaient approuver et accepter un prix dérisoire comparativement à ce que vaut leur terre. Il se peut qu’au point de départ beaucoup aient été d’accord avec la construction de l’oléoduc, mais maintenant, ceux et celles qui sont directement affectéEs déchantent.
A.G. : Nous allons maintenant nous entretenir avec Daryl Hannah. Elle lutte depuis un bon moment contre l’installation de cet oléoduc et au cours des dernières semaines elle s’est rendue à Winnsboro. Elle y a été arrêtée parce qu’elle protestait publiquement. (…) Pourquoi ce problème est-il important pour vous ?
D.H. : Nous pouvons choisir d’ignorer les ramifications qui composent les effets des changements climatiques. Mais nous ne pouvons pas nier la sécheresse extrême qui nous affecte dans ce pays. Plus de 64% du territoire a été ravagé par la sécheresse cette année. Les effets sur l’agriculture, sur l’alimentation et sur les réserve en eau sont un problème de sécurité nationale en ce moment, pas simplement un problème de sécurité énergétique. Mais, même s’il ne s’agissait que de cela, l’oléoduc KXL a été faussement présenté. Il ne contribue pas à régler nos problèmes d’énergie. C’est un instrument d’exportation qui transportera le pétrole des sables bitumineux. Mais même le House&Ways Committee a déclaré clairement que ce n’était pas le cas, qu’il n’y y aurait pas de pétrole de cette source ni celui extrait du shiste.
A.G. : Alors qu’est-il arrivé quand vous vous êtes rendue (au Texas) début octobre ?
D.H. : (…) J’y ai rencontré des fermiers-ères et des propriétaires de ranches affectés par l’abus d’expropriation. Ils et elles ont été isoléEs, intimidéEs, persécutéEs. Je les ai écoutéEs. J’ai discuté avec Eleonor Fairchild dont le mari a travaillé cinquante ans dans l’industrie du pétrole. Elle en connaît un bout sur le pétrole. Elle ne s’élève même pas contre cela et les oléoducs. Elle en a contre le pétrole des sables bitumineux. Nous entendions les bulldozers et pouvions voir la fumée s’élever au-dessus de sa forêt qui était abattue. Ils avaient promis de lui réserver les troncs des plus grands arbres matures pour qu’elle puisse les utiliser de quelque manière mais, ils les brûlaient. Alors nous sommes allées nous poster devant la machinerie lourde pour arrêter le chantier, pour nous montrer solidaires des autres protestataires qui en faisaient autant ailleurs. Pour arrêter l’installation rapide de cet « équipement ».
Manifestant impliqué dans le blocus : « Voici la situation mais je suis sûr que vous la connaissez bien. Il y a là, une jeune femme installée sur une plateforme à quarante pieds dans les airs exactement dans le couloir dégagé par KXL. Elle affirme qu’elle n’a aucune intention d’en descendre. Ceux et celles qui l’entourent confirment. Or, les aliments et l’eau vont bientôt lui manquer. Vos effectifs sur place empêchent qui que ce soit de la ravitailler. Je vous appelle pour voir s’il n’y aurait pas quelque moyen de lui assurer le nécessaire ».
Le shérif de Wood County : « C’est tout ce que vous avez à dire » ?
Manifestant : « Oui monsieur. Mais je serais intéressé à ce que nous puissions discuter plus avant pour pouvoir donner de la nourriture et de l’eau à un être humain ».
Shérif : « J’ai déjà répondu à cela. Et nous ne faisons pas de commentaires sur la situation ; spécialement à quelqu’un qui n’y est pas impliqué. Bonne journée ».
A.G. : Je m’adresse maintenant à Ron Seifert à nouveau. Je (vous rapporte ici) une conversation entre un protestataire et le shérif de Wood County qui refuse qu’on apporte du ravitaillement à une manifestante (isolée).
R.S. : Vous savez, ce genre d’indifférence à l’égard de la santé et de la sécurité de ceux et celles qui sont impliquéEs, ou qui gravitent autour des chantiers de construction, est caractéristique de l’histoire de KXL. Leurs superviseurs sont présents et surveillent la manière dont se comportent la police et les agents de sécurité privés avec les manifestantEs, des manifestantEs pacifiques.
Il y a eu un cas exemplaire de brutalité. Deux manifestants non-violents s’étaient attaché l’un à l’autre, par un bras à une pièce d’équipement lourd. Les superviseurs de TransCanada se sont entendus avec la police qui, dans un effort pour retirer ces manifestants de leur position ont menotté leur bras libre dans une position douloureuse dans le dos. Et alors qu’ils étaient ainsi retenus, la police leur a appliqué une prise d’étranglement. Ils se sont organisés pour que leurs instruments de retenue égratignent la peau des manifestants. Et ils ont utilisé le poivre de Cayenne contre eux, en plus. Et selon le témoignage de ces deux personnes, ils sont restés ainsi jusqu’à ce qu’on les attaque au Teaser à de multiples reprises. Tout cela se passait sous les yeux des superviseurs de la compagnie du début à la fin. Et quand les manifestants ont été retirés de leur fâcheuse position ils sont allés féliciter les policiers : « Beau travail » ! Et ils leur faisaient des suggestions pour l’avenir.
Donc, cela illustre leurs pratiques. C’est une entreprise, une entreprise multinationale qui passe sur des terres volées. Et, alors qu’elle se présente comme une bonne voisine, elle se soucie peu de la santé et de la sécurité de ceux et celles qui défendent leurs terres, de tous ces individuEs qui se lèvent pour défendre leur maisons ici au Texas.
A.G. : Il y a eu un article intéressant à ce sujet, dans le New York Times la fin de semaine dernière. Mais ce qui n’est pas mentionné, c’est que l’auteur, Dan Frosch a aussi été menotté ainsi qu’un autre journaliste de ce quotidien en reportage à propos des manifestations.
R.S. : C’est exact. Le fait que ça n’ait pas été mentionné est intéressant. Non seulement le journaliste et son photographe ont été menottés mais ils l’ont été sur un terrain privé. Ils n’étaient absolument pas sur ceux de la compagnie ni sur aucun de ses chantiers. Ils étaient sur une propriété privée avec la permission de s’y tenir. La police travaille comme gardes de sécurité privés pour TransCanada. J’insiste sur ceci : ce sont des policiers, ils portent l’uniforme et les armes fournies par l’État, mais sont au service de la compagnie. Ce sont ces officiers qui se sont déplacés sur la propriété privée pour menotter les journalistes, les arrêter, les détenir, de telle sorte qu’ils ne puissent avoir aucun contact avec les manifestantEs. Qu’ils n’aient aucune communication, ne puisse prendre aucune photo de ce qui se passait.
La veille deux autres journalistes avec leurs cartes de presse ont aussi été menottés comme vous l’avez dit dans votre présentation. Ils ont été arrêtés, détenus pendant une nuit et relâchés sans accusation le lendemain matin. Lors de d’autres incidents, la police a saisi les appareils photo de gens qui regardaient les manifestantEs depuis la grande route et qui se tenaient aussi sur des propriétés privées. Nous sommes donc dans cet environnement et cette culture de répression de nos droits constitutionnels, de nos droits de propriété, de la presse libre et de notre droit de parole. Cela se passe ici, au Texas et c’est TransCanada qui dirige ces attaques.
A.G. : Parlons maintenant de l’enjeu du réchauffement climatique. Comment l’oléoduc pour le pétrole des sables bitumineux y est-il lié ?
R.S. : On peut dire que c’est la partie la plus importante de nos actions de blocage. Cet oléoduc, ouvre la porte au plus grand réservoir de carbone d’Amérique du Nord. Ces sables bitumineux en Alberta sont le plus grand bassin d’hydrocarbures en dehors de l’Arabie Saoudite. L’industrie prévoit détruire 53,000 milles carrés en y exterminant la végétation et en y forant. C’est une zone forestière de la taille de l’État de New York. Alors vous pouvez imaginer la totalité de cet État éliminé, complètement détruit.
Alors, si tout le pétrole que l’industrie espère y pomper est brulé et renvoyé dans l’atmosphère s’en est fini du climat. La science le confirme. Nous n’avons pas les budgets pour contrer le carbone de ces sables. Donc il faut arrêter tout ça. Nous ne pouvons pas permettre quelqu’extension que ce soit de cette exploitation. Donc, arrêter la construction de l’oléoduc est la condition nécessaire pour ce programme, je dirais même pour notre avenir collectif. S’il est en service ce sont 800,000 barils par jour de ce pétrole sale, incroyablement énergivore qui se rendra dans les raffineries du Golfe (du Mexique). Cela ne fait pas un avenir viable pour la planète.
A.G. : Daryl Hannah, en mai dernier, le directeur de l’institut Goddard pour les études sur l’espace de la NASA, M. James Hansen, à déclaré au New York Times : « Si le Canada va de l’avant et que nous ne faisons rien, s’en est fini du climat ». Vous avez été arrêtée à plusieurs reprises dont récemment à Winnsboro. Pensez-vous vraiment que les actions qui se font en ce moment peuvent arrêter la construction de l’oléoduc ? Qu’est-ce qui est arrivé jusqu’ici ? Plus de 1,200 personnes ont été arrêtées lorsqu’elles ont encerclé le Rose Garden (de la Maison Blanche) il y a un an. Le président a déclaré qu’il arrêtait la construction mais peu après il autorisait celle de la partie sud du projet qui traverse le Texas.
D.H. : C’est vrai. La construction de la partie sud a été autorisée mais en catimini en quelque sorte. Après cette annonce, le projet a reçu peu d’attention dans la presse. La plupart des gens ont pris pour acquis que le projet était différé jusqu’à ce qu’il ait été examiné par des experts en environnement et bien sûr jusqu’après les élections. Mais il ne faut savoir que le lobbyiste en chef de TransCanada est largement impliqué dans la campagne électorale aux côtés du Président et de Mme Clinton, la secrétaire d’État. Vous devez savoir que le directeur de campagne de M. Obama a été, pendant un certain temps, le lobbyiste de TransCanada. Et le directeur délégué de celle de Mme Clinton est maintenant leur lobbyiste en chef. On est donc dans un rapport très proche. En fait, peu de gens pensent que la construction de la totalité de l’oléoduc ne va pas être approuvée. Et je pense qu’il est important que nous nous levions pour défendre nos milieux naturels, nos systèmes d’approvisionnements sains et que nous rendions public la situation de façon à ce que la population sache ce qui se passe et que nos droits sont mis à mal.