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Europe

Au Royaume-Uni, le premier ministre Rishi Sunak hérite d’un Parti conservateur déchiré

Malgré l’éviction de Liz Truss, la première ministre qui avait remporté les suffrages des membres du parti, les tensions entre les députés conservateurs restent vives.

27 octobre 2022 | tiré du site de mediapart.fr

Une semaine après avoir défenestré leur deuxième premier ministre en moins de six mois, les députés conservateurs ont arboré une unité farouche lors de la première séance de questions au gouvernement de Rishi Sunak. « Acclamez tant que vous voulez, mais n’abîmez pas le mobilier »,a imploré le président de la Chambre des communes.

Ils ont lancé des « yeah yeah ! » tonitruants, hoché la tête à s’en décrocher la nuque et tapé vigoureusement sur le bois des bancs de la salle de débat. Mais les décibels n’étouffaient pas le son d’une passe d’armes fratricide qui s’est déroulée la veille en ce lieu.

Rishi Sunak venait d’être officiellement nommé premier ministre. Les députés entamaient l’étude d’un texte visant à « révoquer ou réformer les lois européennes », que le Royaume-Uni a adopté d’office en quittant l’UE. Jacob Rees-Mogg était celui qui devait présenter le projet de loi, mais il avait quitté le gouvernement juste avant que Rishi Sunak ne le congédie : le nouvel occupant du 10 Downing Street n’a pas ses faveurs.

Jacob Rees-Mogg était le principal promoteur du retour de Boris Johnson, utilisant le mot-clic #BorisorBust (« #BorisouBoum »). Un choix très critiqué par son collègue conservateur, le député Tim Loughton, sur Twitter : « Jacob, comment peux-tu penser que ce slogan est utile pour le parti ? […] Je n’utiliserais pas la formule #BorisandBust. Tu devrais vraiment réfléchir un peu plus dans l’intérêt de l’unité du parti. »

Mardi, au Parlement, Jacob Rees-Mogg, redevenu un simple député, a répondu par l’attaque à une question qui ne lui était plus adressée, posée par un de ses collègues conservateurs. Richard Graham demandait comment il serait possible d’intégrer 2 400 lois européennes dans l’arsenal législatif britannique en quatorze mois.

« J’ai bien peur que mon noble ami n’ait jamais aimé la décision de quitter l’Union européenne, rétorque Jacob Rees-Mogg. Tout ce qu’il dit doit donc être interprété dans ce contexte. » Une remarque cinglante que Richard Graham a réfutée en demandant à son collègue de la retirer, en vain.

« La plus grande ligne de faille au sein du Parti conservateur n’est plus le Brexit », analyse cependant Paul Webb, professeur à l’université du Sussex. Les élections de 2019 en ont convaincu beaucoup de se rallier au Brexit et ont évincé de la vie politique les plus europhiles. Mais, selon l’universitaire, « les divisions sont, comme au début de l’ère Thatcher, autour des questions sociales et économiques ».

Margaret Thatcher était très contestée en interne au début de son mandat, mais elle avait un avantage : sa base électorale était classique. Rishi Sunak a hérité du mandat gagné par Boris Johnson en 2019 grâce à deux promesses : faire le Brexit et réaliser le « levelling up » (« l’égalité des chances »).

« BoJo » a remporté une majorité de 80 sièges grâce au soutien d’électrices et électeurs traditionnellement travaillistes convaincu·es par sa personnalité et ses engagements. Rishi Sunak a fait campagne pour le Brexit, mais il se retrouve avec une situation économique très compliquée. Le ministre des finances Jeremy Hunt a promis de prendre des décisions qui feront « monter les larmes aux yeux ».

Or ces « nouveaux électeurs ont voté conservateur parce qu’ils voulaient les investissements promis dans le levelling up », explique Alan Finlayson, professeur à l’université d’East Anglia. « Ils auront du mal à accepter que ce n’est plus possible, surtout si la décision vient d’une personne si riche. » Rishi Sunak est multimillionnaire.

Le poids des radicaux

Selon certains sondages, les conservateurs pourraient donc perdre jusqu’à 300 sièges. Craignant pour leur jeune carrière, les élus appelés « bébés Boris » seront donc ceux qui donneront le plus de fil à retordre à Rishi Sunak s’il poursuit un agenda de rigueur budgétaire. Un choix qui lui vaudrait cependant le soutien de la frange historique du parti.

« L’un des grands principes du Parti conservateur reste la responsabilité budgétaire, explique Nicolas Barr, professeur d’économie à la London School of Economics. Surtout après l’interrègne catastrophe de Liz Truss. »

Mais cette frange compte dans ses rangs les députés les plus radicaux, renforcés par la purge des modérés de 2019. Le début de l’ère Sunak est déjà assombri par un compromis qu’il a dû faire pour garder leur faveur en renommant au poste de ministre de l’intérieur Suella Braverman.

Six jours plus tôt, elle avait été poussée à la démission à la suite d’une erreur dite « technique », quand elle a envoyé des informations sensibles via sa boîte mail privée. Mais cette bévue administrative semble être une illusion masquant une situation très délicate pour Rishi Sunak.

Sur le plan politique, Suella Braverman, farouchement anti-immigration, s’oppose au premier ministre qui, moins idéologique, serait favorable à une augmentation du nombre de visas de travail pour remplir les postes à pourvoir dans certains secteurs. Les radicaux auraient forcé le premier ministre à réinstaller au ministère l’une des leurs pour contrecarrer ses plans. Et ce retour en grâce de Suella Braverman est un véritable problème politique pour celui qui a fait vœu d’« intégrité ».

Elle a commis « plusieurs entorses […] très sérieuses au code ministériel », a expliqué à Talk TV le député Jake Berry. Pour voler au secours de l’unité du parti, Tim Loughton n’hésite pas à invectiver un autre collègue en public, estimant bizarre que cette critique vienne de celui qui a perdu la présidence du parti lors du remaniement. Quand il était encore en poste, Jake Berry disait sur Twitter que « le temps des débats internes est véritablement terminé ».

Il serait « naïf de penser qu’un nid de vipères pourrait devenir un nid d’oiseaux gazouillants », ne s’étonne pas le quotidien pro-Parti conservateur Daily Telegraph.

Les dramatiques appels à l’unité, comme celui de l’ex-ministre des finances Sajid Javid, sont déjà datés : « Nous devons mettre nos différends de côté. Si nous ne pouvons pas le faire, notre parti tel qu’il est est au bord de l’extinction. »

Cela n’empêche pas certains de faire tanguer la barque délibérément, comme l’ex-ministre Nadine Dorries, critiquant le parti le jour de l’élection de Sunak : « Cette une du Times est embarrassante, #ClubdeGarçons », juge-t-elle, dénonçant le peu de femmes sur les marches du QG des tories accueillant leur nouveau chef.

Elle fait partie des conservateurs estimant qu’une élection nationale est nécessaire. Rishi Sunak « n’a absolument aucun mandat pour être premier ministre de ce pays », a-t-elle ditsur LBC. Un scrutin est « moralement inévitable », estime lord Zac Goldsmith. Le parti est « ingouvernable », ajoute sir Christopher Chope.

C’est un appel au « suicide électoral », concède le Daily Telegraph. « Je pense qu’une période dans l’opposition ne nous ferait pas de mal », estime un membre du Parti conservateur, Florian Bay, disant tout haut ce que les professionnels de la politique murmurent tout bas.

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