« L’Inde va essuyer les larmes du Népal », a déclaré le premier ministre indien Narendra Modi, quelques heures après la catastrophe. Voisins ou pas, les Etats ont été si nombreux à vouloir porter secours aux victimes du désastre, que le petit aéroport de Katmandou a été vite saturé, ralentissant l’acheminement des vivres et du matériel médical.
Au bord de l’unique piste d’atterrissage, les équipes de secouristes de plus d’une trentaine de nationalités, étaient rassemblées sous des tentes avec parfois des drapeaux hissés au-dessus de leurs têtes. Mais sur les tas de ruines, les Hollandais étaient vite confondus avec les Pakistanais, et les Allemands avec les Turcs. Sauf peut-être pour les secouristes chinois qui, méthodiques, distribuaient des tentes bleu ciel arborées du drapeau chinois et plantaient leur étendard après chaque inspection d’un immeuble en ruines.
Médiatisation
Dans cette diplomatie d’un nouveau genre, il y a des perdants. La France a eu la malchance d’arriver plus tard que la Chine et l’Inde, après que son avion chargé d’aide a fait demi-tour au-dessus de l’aéroport congestionné de Katmandou. Elle a aussi été critiquée lorsque son ambassade a refusé d’accueillir dans son vaste jardin les victimes du séisme.
L’un des atouts de la diplomatie du désastre humanitaire, c’est que les médias sont présents en grand nombre. Et quel plus beau succès diplomatique, pour un pays, que d’avoir un de ses secouristes sortant un bébé des décombres, devant les télévisions du monde entier ? Au milieu des ruines, un soldat de l’armée népalaise confiait son amertume. Pas une chaîne de télévision ne s’était intéressée à lui. Lui, qui était pourtant sans nouvelle de sa famille mais qui devait travailler sans relâche pour secourir les victimes.
Un journaliste étranger lui avait même demandé de garder son trépied et son matériel, afin qu’il puisse suivre, caméra à l’épaule, un secouriste de son pays arrivé il y a quelques heures seulement. Sur place, certaines équipes étrangères, arrivées en grand nombre, ont pourtant dû passer leurs journées ailleurs que sur les ruines, à leur grand désarroi. A faire du shopping touristique, par exemple, et attendre qu’un hélicoptère se libère pour les emmener quelque part dans des villages isolés.
La surexposition médiatique est, cependant, risquée. Dans les conférences du G20, ou dans les couloirs de l’ONU, les diplomates ont peut-être la mine sombre et les journalistes se font rares, mais la communication est maîtrisée. Sur les ruines de Katmandou, quelques jours seulement après le séisme, il était plus difficile de cacher les vieilles rivalités entre nations. Ce 30 avril, le quotidien indien Daily Mail tenait son scoop, photos à l’appui : l’envoi de viande de bœuf par le Pakistan dans un pays en majorité hindou, où l’abattage de cet animal est interdit ! Sacrilège…
« Propagande »
Les médias indiens s’emparèrent de la question et le Népal, qui avait pourtant bien d’autres choses à faire ce jour-là, fut bien obligé de lancer une enquête. Islamabad fut innocenté. « Les médias indiens ont transformé cette question en propagande visant à faire dérailler les relations entre le Pakistan et le Népal », s’est agacé le quotidien pakistanais The Express Tribune. Accueillir la générosité du monde entier tout en gérant ses rivalités n’est pas une tâche aisée.
Cette générosité hypermédiatisée a d’ailleurs fini par agacer certains Népalais. Une semaine après le désastre, le mot-clé #IndianMediaGoHome (« Médias indiens rentrez chez vous ») s’est répandu comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. Des Népalais ont reproché aux médias indiens de ne s’intéresser qu’aux secouristes indiens et à leur bravoure, de dramatiser à outrance leurs reportages, et même de gêner l’acheminement de l’aide en montant dans les rares hélicoptères disponibles.
Il faut dire que l’aide mobilisée par l’Inde est impressionnante avec près de 700 soldats et plus d’une dizaine d’hélicoptères mobilisés, au point qu’un ministre indien évoqua devant le Parlement, le 29 avril, l’émergence de l’Inde comme une des nations leaders en matière de réponse aux catastrophes naturelles. Mais à trop vouloir étreindre un pays de sa générosité, on peut l’étouffer. Surtout lorsque dans la lumière médiatique, cette générosité fait de l’ombre aux victimes et à la tragédie.