Depuis deux semaines, nous sommes tout un peu forcés de suivre la couverture des événements relatifs à l’attentat en Norvège. Si vous êtes comme moi, vous devez commencer à avoir plus que votre dose de cette fascination maladive pour les pensées du tueur, pour la recherche des détails sur la préparation de son acte dément et pour la recherche constante de « LA cause » de l’événement.
Si une opinion vaut la peine d’être entendu sur cet événement, c’est celle de Johan Galtung. Le professeur Galtung est considéré comme l’initiateur du domaine de l’irénologie, la recherche pour la paix (Peace Research). Fondateur de l’organisme Transcend International, il a agi comme médiateur, et spécialiste en résolution des conflits dans nombreuses confrontations internationales.
Ce texte est composé d’extraits d’une entrevue qui a été publiée une semaine après les dramatiques attentats d’Oslo par les journalistes du site internet Democracy Now. Le spécialiste, encore ébranlé, y expose sa vision « à froid », on apprend que sa propre petite fille était sur l’île d’Utoeya au moment des événements. Il trace un parallèle troublant entre les idéologies d’extrême droite qui ont inspiré le tueur et qui circule actuellement en Europe ; et l’idéologie Nazie qui a conduit à l’holocauste au cours de la seconde guerre mondiale. Le chercheur est particulièrement bien placé pour tracer ce lien, son propre père ayant été détenus dans les camps de concentration. Une perspective unique.
Le choc !
Vous pouvez imaginer le choc quand j’ai appris que ma petite-fille était arrivée sur l’île, non seulement le jour du massacre, mais sur le même bateau que l’assassin. ll portait une arme imposante, selon Ida qui est membre de cette organisation de jeunesse travailliste réunie sur l’île d’Utoeya. J’ai moi aussi été membre de cette organisation jeunesse il y a plusieurs années. Lorsque la fusillade a commencée elle a alors compris que la situation était sérieuse. Ida s’est alors échappée avec une amie, sa copine Johanna. Après s’être débarrassé d’une veste imperméable rouge, elles ont pu se camoufler derrière une pierre, sous sa propre veste imperméable verte.
De l’autre côté de la pierre, l’assassin était debout et tirait. Ses amis tombaient, et pleuraient, pleuraient et pleuraient. Il y avait une large mare de sang. Mais, elle et son amie s’en sont échappées indemnes. Vous pouvez imaginer que lorsque, après une heure ou près d’une heure, un bateau est venu. Elles n’ont pas osées sortir. Mais vint un plus grand bateau qui, sans équivoque, apportait des secours. A ce moment elles se sont échappées.
L’événement nous touche tous de près. Vous savez, c’est une toute petite communauté ? Nous les Norvégiens, le moins qu’on puisse dire c’est que nous ne sommes sont pas habitués à ce genre de chose. Ce seul événement, a tué 76 personnes en un jour. Avec notre taux annuel de meurtre s’élevant à 40, c’est le taux national de deux ans en une seule journée. Je n’utiliserai pas le mot « terroriste ». C’est un vocabulaire américain, dont l’usage est beaucoup trop étendu. Ce terme est devenu un symbole signifiant : "Cessez de penser. C’est tout simplement l’action du mal."
La Norvège ?
Il me semble inutile de tenter d’expliquer l’événement dans une perspective spécifiquement norvégienne. Je dois affirmer pour commencer que notre parti de droite populiste est très loin des idées que je défends. Il y a une ou deux décennies, il exprimait des idées fortement anti-islamiques et racistes. Dans une très large mesure, il s’est libéré de ces perspectives. Sont-ils opposés à l’immigration ? Oui, bien entendu.
Mais ils ne sont pas seuls à partager ces vues en Norvège. Le meurtrier n’était pas le reflet de ce parti. Il en a été membre, et a quitté. Il est parti parce qu’il trouvait que les idées portées par ces partis étaient beaucoup trop à gauche, ou au centre, pour les siennes. Dans le paysage politique en Norvège maintenant, bien sûr qu’il y a des islamophobes, et bien sûr qu’il y a des gens d’extrême droite qui ne sont pas organisés sous l’égide d’un parti. Nous avons notre juste part de ce racisme.
Mais il y a une autre réalité. Dix pour cent des Norvégiens sont nés à l’étranger. Une part importante d’entre eux sont musulmans. En général ils sont parfaitement intégrés et parlent un norvégien de qualité. Il y a maintenant une deuxième génération. Je dis parfois aux membres de famille que je suis préparé au moment où il y aura dans ma famille un Galtung nommé Mohammed et ou une Galtung nommée Fatima. Galtung est unes des plus anciennes familles de la Norvège, le nom date de l’époque des Vikings.
Cela étant dit, j’ai l’impression que la rencontre de ces nouveaux arrivants avec le milieu social-démocrate en Norvège contribue à atténuer les choses. Par cette influence, leur islam est devenu, disons, moins axé vers la confrontation. J’en sais suffisamment sur l’Islam pour soutenir que le mot « confrontation » n’en est pas une constituante. Sauf quand son essence est bafouée par la quatrième étape du Jihad. En termes généraux, et à quelques exceptions près, les relations entre nos cultures sont bonnes. C’est très différent de ce que vous pouvez trouver dans d’autres pays, soit en Angleterre, aux Pays-Bas et bien sûr, en Hongrie. En Italie, un parlementaire a même affirmé être à 100 pour cent en accord avec la vision d’Anders Breivik, mais pas avec sa violence.
Mettre en contexte l’idéologie du Tueur. Trois éléments clé de sa pensée.
J’ai identifié trois éléments idéologiques qui me semblent significatifs. En premier lieu l’idée d’une guerre civile qui se déroulerait présentement en Europe entre le christianisme radical, essentiellement catholique, et l’islam. Une guerre civile, du passé, qui est toujours en cours. En second lieu, l’islam pénétrant l’occident sur une route pavée par le multiculturalisme et la tolérance. La route repose sur les assises construites par les principaux promoteurs de cette tolérance qui se trouve dans ce qu’il appelle « la culture du marxisme » et la social-démocratie. Puis, le troisième point, les échanges et le débat qui est selon lui impossible. Vous ne pouvez pas avoir un débat sur la question de vouloir mettre fin à la démocratie norvégienne, parce que les gens sont sourds et stupides. Les islamistes eux, comme il les appelle en référant à tous les musulmans, ne veulent pas entendre. Ils ne sont là que pour faire avancer leur cause. En d’autres termes, aussi horrible soit-elle, la seule voie possible c’est l’extrême mais nécessaire violence. Nous avons là les trois éléments de sa pensée qui me semblent significatifs.
Application d’une logique Nazie :
De ce constat émerge immédiatement une question, qu’est-ce que ces croyances me rappellent ? La réponse est simple, mais horrible. La réponse simple d’abord : elles me rappellent le nazisme. La vision d’une guerre civile en Europe entre Juifs et Aryens qui est un principe de base de l’hitlérisme nazi. Puis le fait que les Juifs sont de deux sortes : les Juifs bolcheviques de Moscou et les Juifs ayant de l’argent à Londres. Pour le second élément, la notion de pavage d’une voie pour eux. Jje fais immédiatement un lien avec le métissage, le croisement des races et les mariages entre Juifs et Aryens ; les pires crimes imaginables dénoncés par le National Socialisme Hitlerien. Puis en ce qui concerne le troisième élément maintenant, ces personnes ont leurs conception, et il n’y a pas de dialogue possible. La seule option c’est de les expulser. On devrait même les récompenser pour accepter les expulsions affirme-t-il. Autrement, l’alternative c’est de les exécuter. Ce dernier point du nazisme a été repris dans les écrits de Breivik. Je ne pense pas qu’il s’inspirait directement du nazisme, mais sa vision était que chaque famille musulmane en Norvège devrait recevoir € 25 000 pour quitter le pays, pour retourner dans leur propre pays. Si cette option est rejetée, l’alternative doit être l’exécution. C’est exactement la même logique que les nazis ont appliqués avec les tristement célèbres « Accord de transfert » au cours des années 1930. A cette époque, 60 000 juifs allemands ont non seulement reçu la permission, mais ont été encouragés à quitter pour la Palestine. Eh bien, on peut qualifier son idéologie de néo-fasciste, c’est une sorte d’inquiétante mise à jour. Cette similitude est troublante, au lieu d’être anti-sémite, elle est anti-islam. Au lieu de porter le métissage de la race comme fantasme, c’est le multiculturalisme. Ainsi Breivik parle de contamination de la culture, où les nazis parlaient de contamination de la pureté. Dans les grandes lignes, la similitude est évidente.
Renforcement par les politiques offensives de la Norvège et de l’occident.
Mais voyez-vous, ce qui inquiète le plus, c’est lorsqu’on pousse plus loin la réflexion : « A quoi nous fait penser cette façon de voir le monde ? La réponse à cette nouvelle interrogation est encore plus horrible, et elle pose un sérieux problème pour la Norvège. C’est exactement le même type d’idéologie qui sert à justifier les attaques répétitives de Washington, sur des pays musulmans. Il ya une guerre civile en Europe. C’est ce qu’on appelle le « choc des civilisations » ; une idée provenant de Bernard Lewis professeur de Princeton et qui a été reprise par les éditeurs de Samuel Huntington, et fut apposé comme titre de son livre, puis attribué à mon avis, à tort, à Sam. Mais ce n’est pas grave, ce n’est qu’un petit détail. La route de cette interprétation est tracée par les États défaillants et des groupes d’intérêt « terroristes islamistes » prenant le commandement des ces mêmes États en dégénérescence. Ces États en déroute, ou ces groupes locaux, qu’ils soient des talibans, le Hamas, le Hezbollah, Al-Qaïda ; peuvent lancer des attaques contre les continents chrétien occidental, et particulièrement l’État américain. C’est ainsi que plusieurs interprètent malheureusement les événements du 9 / 11. Le troisième élément de référence est aussi présent. Le dialogue n’a aucun sens. On ne peut pas parler à ces gens. Dangereux comme ils le sont, le seul langage qu’ils comprennent c’est la violence. Mon pays, la Norvège, contribue à la popularisation et renforcer cette dangereuse idéologie en déployant des tireurs d’élite en Afghanistan qui tuent des tout aussi dangereux talibans.
J’ai pu parler à un certain nombre de talibans. Ces échanges m’ont profondément touché. Ce sont des êtres humains. Ils combattent pour leur pays. Certains sont ce que nous appellerions « extrémistes », mais la plupart ne sont pas. Pour simplifier, on pourrait encore une fois retenir trois points de leur pensée. Point un, ils résistent pour l’islam, je précise ici que je sais très bien qu’ils font fausse route, notamment en ce qui concerne la condition de la femme. Notre deuxième élément, ils détestent profondément Kaboul qu’ils voient comme le point de chute des envahisseurs étrangers. Puis ils détestent être envahis. Je n’ai aucune difficulté à accepter ces trois éléments qui me semblent important de leur perspective.
J’ai par contre une énorme difficulté. En fait, je ne peux pas comprendre et même, je rejette simplement l’idée du gouvernement norvégien. Celle d’endosser l’effort américain pour tenter d’éteindre ce qu’ils considèrent comme une rébellion ; face à des gens auxquels nos dirigeants ne peuvent même pas parler.
La Norvège applique aussi une logique similaire, en Libye. Nos F-16 ont effectués 535 sorties, jetant 501 bombes sur ce qu’ils appellent des cibles militaires. Si on accepte cette logique, Breivik pourrait affirmer : « Ma bombe a tué très peu de personnes, et elle était sur la cible." La cible était le centre de prise de décision du gouvernement norvégien. Effectivement, le parallèle est dégoûtant. Le cœur de cette question est que mon petit pays la Norvège devient, soudainement, une victime. Nous sommes tous dans le deuil aujourd’hui. Il ya de magnifiques cérémonies. Je dois communiquer à mon premier ministre le fait que ses paroles étaient particulièrement bien choisies. Il parle magnifiquement. Mais en même temps, la Norvège, sous la direction de Washington, nourri cette vision que Breivik porte du monde par ses actes, mais à une échelle beaucoup plus large : agresseur-victime, et agresseur.
Chercher de véritables solutions :
Pour terminer, j’aimerais apporter une précision. Je n’ai pas la permission de mes proches pour lire les détails de la lettre. Mais ma petite-fille termine sa lettre à tous ses proches par une phrase importante. « Je veux que vous sachiez tous que si je n’ai pas répondu à toutes vos expressions de compassion que j’ai reçues jusqu’à ce jour, c’est que j’ai essayé de réfléchir. J’ai essayé de penser à une seule chose : Comment peut-on prévenir des mouvements comme le mouvement auquel Breivik a participé ? Je trouve cela très sage. Quelles sont les réponses à cette question plus que pertinente ?
Laissez-moi tenter de donner une réponse préliminaire, car il faut approfondir les voies de prévention. Il faut défier ces personnes de l’extrême droite, les intégrer au débat de société. Propulsez-les dans l’espace public, créez l’ouverture. Il faut débattre de ces questions fondamentales. Mais permettez-moi une mise en garde. Si vous voulez les mettre au défi, vous devez être bien préparé. Ces gens convaincus sont bien préparés. Ne sous-estimez pas les capacités de ces idéologues. Cela doit se faire dans toute l’Europe. Ce n’est pas une question de simplement identifier les cellules. C’est une question d’aller à eux, d’établir un réel dialogue. Sortez-les. Invitez-les à confronter le meilleur de notre société, créez un débat libre et ouvert.
Mais ce n’est pas tout, voici la partie la plus difficile. Cet exercice sera impossible si vous n’êtes pas prêt à ouvrir les mêmes possibilités de dialogue et de débats avec les autres, vos ennemis, ceux qui nourrissent ces pensées les Talibans, le Hamas, le Hezbollah et Al-Qaïda. Je peux seulement vous le dire pour l’avoir fait, c’est très facile. Vous n’avez qu’à faire l’effort de comprendre. Cela ne signifie pas que vous avez à accepter les visions autres ou extrêmes, mais vous devez franchir la portion de votre voie. C’est le début de la solution, de la prévention.
J’espère que mon pays sera capable de bien gérer tout ça. Je pense qu’il n’y a qu’une seule voie pour bien faire face et prévenir une telle situation. Identifier les point d’ouverture positifs, tant en Norvège, qu’en Europe et dans le monde, puis ouvrir l’espace d’échange. En tant que médiateur, je travaillerai sur ces questions et apporterai ma modeste contribution.