Tiré de Médiapart.
La France va-t-elle finir par rapatrier ses quelque 1 500 soldats présents au Niger et par fermer l’une de ses dernières bases au Sahel ? La question est posée depuis que, dans un communiqué publié le 3 août, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), le nom que s’est donné la junte après le coup d’État du 26 juillet, a dénoncé les cinq accords de coopération militaire qui lient les deux pays – le plus ancien remontant à 1977 – et a exigé le départ des troupes françaises.
Longtemps, le gouvernement français, qui ne reconnaît pas les putschistes, a fait comme si de rien n’était. « Les seules autorités du Niger que nous reconnaissons, comme l’ensemble de la communauté internationale, sont le président Mohamed Bazoum et son gouvernement », a encore rappelé Catherine Colonna, ministre des affaires étrangères, le 3 septembre dans Le Monde.
Mais le principe de réalité a fini par rattraper les autorités françaises, qui refusent également de rappeler leur ambassadeur, Sylvain Itté, déclaré persona non grata à Niamey. Et la réalité, aujourd’hui, c’est que la junte est solidement accrochée au pouvoir, en dépit de la résistance de Mohamed Bazoum, qui refuse toujours de signer sa lettre de démission depuis sa résidence officielle où il est séquestré, et de la mobilisation de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), qui continue de brandir la menace d’une intervention militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel. « La position de la France est intenable », admet, en off, un officier ayant participé à l’opération Barkhane.
Le 4 septembre, le premier ministre du gouvernement de transition, Ali Mahamane Lamine Zeine (un civil), a vendu la mèche après avoir qualifié la présence de la force française d’« illégale » : « Je pense que les échanges qui sont en cours devraient permettre très rapidement que ces forces se retirent de notre territoire », a-t-il déclaré au cours d’une conférence de presse.
Le lendemain, le cabinet du ministre français des armées, Sébastien Lecornu, a fait savoir au Monde que des « échanges de coordination » étaient effectivement menés afin de « faciliter les mouvements de moyens militaires immobilisés depuis la suspension de la coopération antiterroriste », mais qu’ils se faisaient uniquement au niveau des militaires – un moyen d’éviter de reconnaître officiellement la junte.
- Ces derniers jours, des centaines de manifestants se sont relayés jour et nuit devant la base.
Depuis le coup d’État, la coopération militaire a été suspendue. Les soldats français sont cantonnés dans la base principale de Niamey, ainsi que dans les deux postes avancés d’Ouallam et d’Ayorou, et les aéronefs (drones et avions de chasse) sont cloués au sol. « Les laisser sur place alors qu’ils pourraient servir ailleurs n’a pas de sens », souffle l’officier cité plus haut.
Pour l’heure, le ministère ne parle que d’un retrait partiel des troupes et du matériel, et refuse d’évoquer la fermeture de la base de Niamey, que l’armée française occupe depuis près de dix ans. On ignore également les modalités et le calendrier de ce retrait. « C’est l’objet des discussions actuelles », indique une source nigérienne. Mais il ne fait guère de doute que l’armée devra bien finir par quitter le pays. « La junte ne changera pas d’avis », souligne un diplomate nigérien ayant requis l’anonymat.
Pour le CNSP, le départ des militaires français est une question de souveraineté, de popularité, car cette exigence lui a permis de gagner de nombreux partisans, dans la capitale notamment, mais aussi de survie : échaudés par la tentative d’une partie de l’armée, le 26 juillet, de libérer Bazoum par la force avec l’aide des militaires et des aéronefs français, ils craignent que ces derniers n’apportent un soutien opérationnel à la Cédéao en cas d’offensive.
« Et même si la junte devait quitter le pouvoir, même si Bazoum était rétabli dans ses fonctions – ce qui semble fort peu probable –, on ne voit pas comment la France pourrait rester, poursuit le diplomate. La pression populaire est trop forte. »
La présence militaire française était déjà mal perçue par une partie des Nigérien·nes depuis plusieurs années. En novembre 2021, des manifestants avaient tenté de stopper un convoi de la force Barkhane. Trois d’entre eux avaient perdu la vie, probablement tués par des balles françaises. Mais depuis le coup d’État, cette présence au cœur de la capitale est source d’une indignation massive.
Ces derniers jours, des centaines de manifestant·es se sont relayé·es jour et nuit devant la base, située dans l’enceinte de l’aéroport international, pour exiger le départ des troupes françaises. « C’est notre “Nuit debout” à nous », souffle un activiste, en référence au mouvement de protestation spontané de 2016 en France.
Une colère bien réelle
Le 2 septembre, ils étaient des dizaines de milliers sur place à scander : « La France dégage ». « Je n’avais jamais vu ça, témoigne Ali Idrissa, une figure de la société civile qui a participé à cette immense manifestation. Même durant les mobilisations contre la vie chère en 2005 et en 2018, on n’avait pas réussi à attirer autant de monde. Les gens venaient de toutes parts. Il y avait des jeunes, des vieux. Et tous n’ont pas été payés, comme on peut l’entendre dans les médias français. On ne peut pas payer autant de monde. »
Membre du collectif prodémocratie Tournons la page, Ali Idrissa a condamné le coup d’État, mais il soutient la junte dans sa volonté de faire partir les soldats français. Il explique la forte mobilisation par « l’incapacité de la force Barkhane à résoudre la crise sécuritaire » dans le pays, qui a suscité « une forme d’incompréhension » par une « soif de souveraineté », mais aussi par la crainte d’une intervention armée de la Cédéao.
« La plupart des Nigériens ne veulent pas d’une guerre. Quand ils ont appris que la France avait envisagé de bombarder la présidence pour libérer Bazoum, ils ont été très choqués. » La multiplication des thèses conspirationnistes hostiles à la France sur les réseaux sociaux ne sert, selon lui, qu’à alimenter une colère bien réelle.
- La France doit tirer les leçons de la contestation populaire à laquelle elle fait face.
- - Thomas Borrel, porte-parole de l’association Survie
Le retrait du Niger réduirait en cendres le dispositif mis en place au Sahel ces dernières années, et qui s’est écroulé en moins d’un an. L’armée française serait contrainte de quitter le dernier des trois pays dans lesquels la force Barkhane intervenait, après avoir été chassée du Mali en août 2022 et du Burkina Faso en février 2023. Ce serait une « humiliation », estime le chercheur Thierry Vircoulon, interrogé par Ouest-France.
Reste à connaître la destination des soldats qui quitteront le Niger. Certains pourraient être rapatriés en France. Mais d’autres pourraient être redéployés ailleurs sur le continent, notamment à N’Djamena au Tchad, où la France dispose d’une base depuis plusieurs décennies. Elle compte aujourd’hui un millier d’hommes et de femmes, censé·es combattre les groupes djihadistes qui opèrent à 2 000 kilomètres de là, au Mali, au Burkina Faso et au Niger, dans un cadre légal très flou.
« Une énième réarticulation serait une faute politique, estime Thomas Borrel, porte-parole de l’association Survie, qui milite pour une refonte des relations franco-africaines. La France doit tirer les leçons de la contestation populaire à laquelle elle fait face et annoncer un agenda de retrait total des militaires français, y compris les coopérants militaires, sur l’ensemble du continent. »
Même au Tchad, où les soldats français se croient souvent en terrain conquis, cette présence irrite. Le 5 septembre, à Faya-Largeau, une oasis située au nord du pays dans laquelle l’armée française dispose d’un petit contingent depuis plus de trente ans, un incident a suscité une vague de colère : un infirmier militaire français qui soignait un soldat tchadien l’a tué avec son arme.
Selon les premiers éléments rendus publics, le patient aurait agressé le Français et celui-ci n’aurait eu d’autre choix que de tirer. Une enquête conjointe des armées française et tchadienne a été annoncée. Mais très vite, des centaines de personnes se sont réunies devant le camp français et ont scandé des slogans hostiles, pendant que, sur les réseaux sociaux, des internautes appelaient au départ des « Blancs ».
Rémi Carayol
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