Dupuis-Déri expose très clairement, dès le début, la position des auteurs du collectif en abordant chaque aspect déterminant de la répression, qu’elle soit policière, sociale, politique ou médiatique. Il explique également la notion de « répression », ce qu’elle sous-tend comme agissements et ses effets sur les différents mouvements sociaux. Dans un style direct et clair, Francis Dupuis-Déri expose sa réflexion de façon structurée et accumule les études, rapports, articles, témoignages, documents de justice et autres ouvrages qui appuient solidement les idées avancées. Le ton est rapidement donné et les chapitres qui suivront ne seront qu’une démonstration plus poussée du phénomène.
Depuis septembre 2001
Le collectif examine en quoi le 11 septembre 2001 qui, sans être le point de départ de l’attitude répressive des autorités, sera un point d’ancrage qui cristallisera le concept de « lutte contre le terrorisme » et comment les changements de culture professionnelle des institutions policières deviennent un frein à la mise en place de manifestations pacifiques. Les liens entre le système policier et politique sont soulevés, soulignant que « des policiers ne défendent pas seulement la loi [...], ils soutiennent l’État et son gouvernement ». Le phénomène de l’infiltration policière, les moyens employés pour la répression, les types de groupes sociaux, le processus d’étiquetage et de profilage politique, les conditions de détention, tout est passé au peigne fin. Enfin, l’ouvrage expose de façon très détaillée la répression policière au Canada en y présentant deux études de cas : le G20 de Toronto et le printemps érable.
Ces deux analyses sont particulièrement choquantes de tant d’injustice. Et force est de constater que la complicité des médias de masse inquiète. Sans qu’un chapitre ne leur soit exclusivement consacré, leur importance et leur influence dans les manifestations sont mentionnées tout au long de l’ouvrage. Les différents auteurs considèrent que les médias de masse participent à l’amalgame entre les mouvements altermondialiste, terroriste et anti-américaniste. Les médias contribuent à la « mise en récit de la police [qui] relève moins de l’explication des faits et des causes que d’une justification des actions de la police ».
L’ouvrage se termine par le récit du combat d’une centaine de manifestants dans le système judiciaire. Leur entêtement et leur solidarité transformeront les conséquences de la répression, passant de la criminalisation à la pénalisation, « ce qui n’est pas rien quand on connaît tous les inconvénients qu’un casier judiciaire peut causer ». Un témoignage captivant et stimulant.
Tout au long du livre, on alterne entre les cas à l’étranger et ceux d’ici en nous plongeant dans le mouvement de révolte des groupes antimondialisation et en situant ces associations dans une tendance mondiale, non pas tant par les revendications populaires que par les méthodes d’intervention des corps policiers : de l’armée, nous sommes passés à des policiers « militaires » disposant de tout un arsenal de répression.
D’un ton toujours neutre, nous avons droit au supplice de la goutte : les faits, implacables, s’accumulent les uns après les autres. On peut être agacé de ce martèlement intellectuel, de cette surenchère d’images. Le lecteur aura compris, il n’est pas dupe. Toutefois, cette succession d’exemples crée un sentiment d’aberration, de frustration face à des situations qui semblent absurdes dans une société comme la nôtre. Si le but de l’auteur est de soulever l’indignation et une certaine révolte intérieure, il y réussit haut la main.
À contre-courant
Ce livre fait contrepoids au discours ambiant, transmis et retransmis par une grande majorité de médias. Il permet une analyse plus profonde sur les liens entre les sphères politiques, policières, judiciaires, médiatiques et sociales. C’est un ouvrage détaillé sans être compliqué. Afin de poursuivre la réflexion, on sera tenté de lire (si ce n’est déjà fait) d’autres écrits de Francis Dupuis-Déri, dont Québec en mouvements : idées et pratiques militantes contemporaines afin de connaître les autres forces en présence.
En refermant le livre, on se demande si le droit de manifester est réellement en péril. Peut-on espérer un meilleur avenir pour la contestation populaire ? S’il jette un éclairage saisissant sur la situation des mouvements sociaux et le système en place, il laisse en ombrage la question : et ensuite ?