Édition du 24 septembre 2024

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Europe

Amiens : énième dérive à droite de la gauche au pouvoir

Dénonçant les déclarations « sécuritaires » de François Hollande et Manuel Valls après les émeutes d’Amiens, Salvatore Palidda, professeur de sociologie à l’université de Gênes (Italie), reproche à la gauche au pouvoir de ne pas s’attaquer aux « véritables insécurités », c’est-à-dire « les injustices économiques et sociales ».

Tiré du site de Mediapart

Les banlieues ne cessent de brûler. On le sait depuis les années 1980 ; mais la droite et la gauche, tour à tour au pouvoir, ont cherché à saboter toute information. Voilà qu’Amiens explose cent jours après l’élection de François Hollande. Et le nouveau ministre de l’intérieur, Manuel Valls, apparaît comme le parfait prototype du socialiste converti à la « raison d’Etat », si proche de la vision la plus conservatrice que certains ne voient plus de différences entre lui et Sarkozy.

Pourquoi des jeunes, déchaînés, ont-ils blessé seize policiers, détruit quasiment trois bâtiments publics, incendié des voitures, etc.? Encore une fois, cette explosion de colère semble avoir été provoquée suite à un contrôle routier jugé excessif par certains riverains. A cela s’ajoute des jeunes et des riverains exaspérés depuis longtemps contre les excès de zèle de certains policiers dans le quartier. Une partie des habitants n’a pas appelé la police ; au contraire, une grande partie des riverains a crié haut et fort : « les policiers nous traitent comme des animaux. Ils nous ont gazés, caillassés. C’est pour ça que les jeunes du quartier sont en colère. Et, çà, il (Valls) n’en parle pas. Il ne fait que condamner les violences ». C’est ce qu’affirme la mère du jeune mort dans un accident de moto, relayant les propos des jeunes, mais aussi ceux de très nombreux habitants présents dans le quartier. Pour la plupart, les policiers, ou plus précisément les CRS, ont « provoqué » les violences. (voir les articles de Libéation et sur Le Monde). Pourtant, face à cet évènement, le Président de la République n’a fait que rappeler cette maxime : la sécurité est une « obligation » pour l’Etat, tandis que le premier ministre promettait la plus grande fermeté à l’égard des auteurs des violences. De même, Manuel Valls a catégoriquement refusé d’écouter les critiques vis-à-vis des pratiques policières. Ainsi, le gouvernement socialiste, et le Président en tête, ont promis de mettre en œuvre « tous les moyens de l’Etat » pour lutter contre les violences. Pas un mot sur les causes économiques et sociales qui ont généré cette énième explosion de colère des jeunes.

Comment se fait-il que les socialistes ont si vite « oublié » qu’il y a bel et bien de graves problèmes d’appauvrissement et de discrimination qui condamnent les jeunes à ne pas avoir de futur acceptable ? Comment, une fois au pouvoir, deviennent-ils incapables de voir que, depuis des années, les gouvernements français et les pouvoirs financiers du monde entier ne réservent rien à la postérité (au futur de la société : les jeunes) et ne pensent qu’à la prospérité des plus forts ? Et comment peuvent-ils persister à négliger ce qu’Aristote soulignait déjà : « si on ne s’occupe pas de satisfaire les attentes des jeunes, on aura de la peine à les empêcher de faire des révolutions » ?

En effet, au triomphe du néo-libéralisme correspond la multiplication des révoltes des jeunes, qui surviennent partout en Europe et ailleurs. Et, à chaque fois que la gauche arrive au pouvoir, elle ne fait que s’aligner sur les choix, les pratiques de politiques de répression de ces révoltes, sans se différencier de la droite.

Faut-il alors conclure, paraphrasant Boltanski, que l’avenir de notre monde n’a aucune chance d’être démocratique ? Blair, D’Alema, Valls ... se sont vite convertis à l’orientation et aux pratiques de la « governance » qui ont inspirés les discours sécuritaire ou ceux de la « tolérance zéro ». Rappelons que la première opération de ce genre fut l’oeuvre du maire communiste d’Ivry qui, le 24 décembre 1980, utilisa les bulldozers pour démolir les logements des immigrés. Il affirmait que la gauche était contre la concentration des ghettos, alors que la droite souhaitait les voir se multiplier dans les communes rouges. Depuis, on a vu les succès électoraux des Le Pen et de Sarkozy, et la fin de la « ceinture rouge » de Paris. En France comme dans toute l’Europe, la persécution des Roms, des immigrés, des marginaux et des jeunes de banlieues se poursuit. Les polices municipales sont armées, de plus en plus de tâches policières sont confiées à des polices privées. De fait, on a favorisé la dérive violente et raciste d’une partie des polices d’Etat. Le coût de la sécurité publique et privée a augmenté, enrichissant les entreprises qui vendent et gèrent les nouvelles technologies appliquées aux contrôles « postmodernes », comme par exemple la vidéosurveillance, ainsi que le commerce illicite de databases et autres violations de la vie privée. Les autorités internationales défendant les droits des Roms et des immigrés, et parfois aussi des taggeurs, ont fréquemment émis des condamnations. Mais cela n’a pas empêché la prolifération des violences policières dans les rues, dans les prisons tout comme les cas d’abus, de corruptions et mêmes de tortures.

Dulcis in fundo

Alors que les compétences des polices sont établies par les normes de l’Etat de droit démocratique, celles-ci s’affranchissent de ces règles.

Un peu partout en Europe, l’économie souterraine, la pollution, les dommages graves à la santé publique, ainsi que l’augmentation de la fraude fiscale, se multiplient. Une évolution due au travail des polices, qui ne s’occupent pas assez, voire pas de tout, du contrôle rigoureux des activités au noir pourvoyeuses de néo-esclavagisme, de pollution et d’évasion fiscale. Victimes des conséquences de ce laxisme policier et judiciaire, les caisses de l’Etat et des collectivités locales, et surtout des millions d’habitants privés de tutelle (i.e. les Roms, les immigrés, les populations des banlieues, les défavorisés, les travailleurs au noir) sont lésés. Voilà le délit le plus grave commis par le néo-libéralisme au cours de ces vingt-cinq dernières années. De ce point de vue, la guerre contre l’insécurité urbaine semble conçue comme la défense des intérêts des acteurs les plus forts. Et grâce à la conversion néo-libérale de la gauche, ce délit a pu être perpétré et réitéré.

Souvent, à ce propos, des diagnostics lapidaires fusent : « cela arrive parce que le pouvoir corrompt », « il est plus facile de gouverner comme la droite » ; « ils n’ont jamais été de gauche » ; « la gauche n’existe plus depuis longtemps » ; « il est impossible gouverner à gauche dans des pays dominants » ; « la majorité de l’électorat est sociologiquement de droite » ; « la diffusion et la pénétration du discours (au sens foucaldien) et des pratiques néo-libérales produisent -consciemment ou inconsciemment- la conversion à droite ».

Mais, vu la gravissime crise économique et financière actuelle, une question se pose : combien de temps les gouvernants s’entêteront encore à pratiquer les mêmes recettes, qui n’ont fait que reproduire et aggraver les véritables insécurités, c’est-à-dire les injustices économiques et sociales ? Comment ne pas se rendre compte qu’en faisant participer les populations, jusque-là ignorées, au processus politique, on gouvernera mieux et à des coûts inférieurs ?

La sécurité néo-libérale affaiblit la démocratie effective, accentue la défense des privilèges d’une minorité aux dépens de la majorité et, de fait, a transformé une bonne partie des polices publiques en une sorte de gardes prétoriennes susceptibles de glisser dans les abus, la corruption, les pratiques violentes et racistes. Cependant, la lutte pour se libérer de cette horrible héritage est ouverte. Peut-être il est encore possible de renverser le discours sur les insécurités en partant des vrais problèmes qui affligent une grande partie des habitants.

Salvatore Palidda

professeur de sociologie à l’université de Gênes (Italie)

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