Édition du 19 novembre 2024

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Afrique

Afrique du Sud : donner à manger aux plus vulnérables et imaginer l’après

La première réponse pour lutter contre l’expansion du Covid19 a été l’urgence sanitaire, la seconde mesure annoncée par le Président Ramaphosa est d’ordre social pour porter secours à ceux qui ont faim, la troisième mesure est d’ordre économique. Sauver des vies, atténuer les souffrances du moment et imaginer un après, un programme politique ambitieux.

Tiré du blogue de l’auteure.

Le confinement, et les mesures drastiques, qui l’ont accompagné se sont vite heurtés à une détresse sociale insupportable : rester confiné voulait dire pour des milliers de Sud-Africains mourir de faim. Dans un pays où le chômage touchent presque la moitié de la population active, où 18 millions de personnes n’ont que l’aide sociale pour survivre, où 3 millions vivent de petits boulots au jour le jour « le secteur informel » de l’économie, le confinement devenait un cauchemar.

L’annonce par le Président Ramaphosa d’un plan de mesures économiques de 24 milliards d’euros a été bien accueilli par l’ensemble des acteurs économiques et politiques, et soulagement pour les plus pauvres qui vont recevoir des aides financières plus substantielles pendant six mois et la distribution rapide de colis alimentaires, qui s’ajouteront à ceux déjà distribués par de nombreuses associations caritatives.

Les deux alliés de l’ANC, le COSATU et le SACP ont approuvé le plan économique d’aide aux entreprises, en particulier pour les PME et les tout petits commerçants, les « spaza shops » qui sont souvent tenus par des femmes, et les chauffeurs de taxi particulièrement affectés par la crise sanitaire. Le Cosatu demande que le Fonds d’indemnité chômage (UIF), qui a déjà aidé 37000 entreprises et 600 000 chômeurs soit plus rapide et plus efficace.

Tout en approuvant le plan gouvernemental, le SACP émet des réserves sur le recours à un emprunt auprès du FMI et de la Banque mondiale. Echaudés par les ajustements structurels exigés par ces organismes précédemment dans les autres pays africains, les dirigeants communistes plaident pour une annulation de la dette et une aide sans conditions. L’Afrique du Sud continue à payer la dette du régime d’apartheid, cela faisant partie des négociations de 1994.

Le Président Ramaphosa en conclusion de son discours a affirmé « Notre pays et le monde dans lequel nous vivons ne seront plus jamais les mêmes. Nous sommes résolus, non pas à un simple retour à la normale, mais à établir une nouvelle économie dans une réalité mondiale nouvelle ».

La crise du Covid 19 n’a fait que révéler d’une manière brutale la situation de l’économie sud –africaine : perte d’emplois ; chômage massif ; pillage des ressources par la corruption généralisée ; faillite des entreprises nationales ; stagnation de la croissance ; fuite des capitaux. Des économistes voient dans cette crise inédite une occasion à ne pas manquer pour revoir toute la politique économique loin des dogmes et idéologies et penchent pour des réformes plutôt qu’un changement radical. Ce qu’ils appellent un « capitalisme progressiste » https://www.dailymaverick.co.za/article/2020-04-24-turning-crisis-into-opportunity-choices-for-a-better-south-african-future-after-covid

Le Cosatu, lui, rappelle que pour sortir la majorité de la population de la pauvreté, en 2002 une Commission d’enquête pour un système global de sécurité social faisait cette remarque « les derniers vestiges de la discrimination raciale d’Etat ont été supprimés de manière importante, mais un principe fondamental du système reste en place – l’hypothèse que ceux qui sont dans la vie active peuvent subvenir à leurs besoins par leur travail et que le chômage est une situation temporaire. En réalité, ceux qui ne peuvent pas trouver de travail (et qui n’en trouvent pas, ou ne bénéficient plus d’allocations chômage) tombent dans le grand trou du filet de sécurité social ». Et de préconiser un revenu universel de base ou Basic Income Grant, soit l’acronyme BIG.

Ce trou dans lequel tombent les plus vulnérables de la société sud-africaine n’a toujours pas été comblé, pire il s’est élargi avec le chômage massif des jeunes. La réponse à cette situation serait pour The Southern Social Research Institute de donner à ceux qui n’ont rien, ni aide, ni travail un revenu universel de base ou Basic Income Grant (BIG) et de maintenir ce BIG au-delà de la situation d’urgence dans laquelle est plongée l’Afrique du Sud. Ce BIG est évalué aujourd’hui à 561 rands, revenu indispensable pour assurer la nourriture et les besoins de base. L’argent pour financer ce revenu proviendrait des impôts sur la richesse, la propriété foncière et les transactions financières. Pour l’économiste Viviene Taylor « Un revenu de base est le moyen le plus efficace d’arriver à une redistribution des revenus. Les bénéfices sont immédiats. La consommation des plus pauvres augmenterait. Cet argent circulerait dans l’économie locale, y compris dans les spazas shops, ce qui amorcerait des bénéfices pour le développement économique. Les gens pourraient utiliser cet argent pour rechercher un emploi ou l’investir dans des micro-entreprises. Un revenu de base est un moyen plus pérenne de soutenir nos communautés et les personnes que d’investir dans de grandes compagnies » https://www.newframe.com/now-is-the-time-for-better-basic-income-grants/

L’Afrique du Sud est au bord du gouffre et doit agir vite pour sauver des vies d’abord, mais aussi réfléchir et faire des choix cruciaux pour l’après, si elle veut refermer les déchirures de son tissu social, raviver l’espoir d’un avenir où stabilité sociale et politique permettraient à tous ses citoyens de partager équitablement les fruits d’une économie responsable. Les choix seront déterminants pour un après comme avant ou à peu près, ou un après vraiment novateur.

Jacqueline Dérens

Blogueuse sur le site de Mediapart (France). Ancienne militante contre l’apartheid, fondatrice de l’association RENAPAS - Rencontre nationale avec le peuple d’Afrique du Sud.

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