Tiré de Entre les lignes et les mots
Publié le 14 février 2022
Biden donne des raisons, les siennes, à cette manière de faire. Elles ressortent plutôt d’une pratique de gangstérisme international. Certes, la prédation fait partie des paramètres appartenant à toute forme d’impérialisme et aux modes de gestion des politiques de puissance. Ce n’est pas, loin de là, une nouveauté. Mais on atteint ici un summum du cynisme et du moralement inacceptable.
L’Afghanistan est au bord du précipice économique, social et politique. L’aide humanitaire, grâce aux nations-unies et aux ong, pourra aider à faire face aux urgences humaines les plus absolues. Mais cela ne suffira pas comme je l’ai précédemment expliqué dans des articles figurant sur mon blog jfi, et sur le site des « cahiers de santé publique et de protection sociale ». En dépit du régime des talibans, il faut à ce pays des moyens pour sortir d’une crise majeure. La croix rouge internationale et d’autres organisations considèrent que cette crise a atteint un seuil critique. C’est en effet plus de la moitié de la population (environ 25 millions de personnes) qui a besoin d’aide. Maintenant. Et dans la durée. La situation est si économiquement et socialement périlleuse que l’Afghanistan ne s’en sortira pas sans que l’on puisse s’attaquer aux causes structurelles des problèmes. Par exemple des aides à l’agriculture, à la survie et au fonctionnement du système de santé, de l’éducation, de la justice… les besoins sont colossaux.
Mais Biden vient de prendre sans vergogne une décision totalement contraire : s’emparer de 7 milliards de dollars de la banque centrale afghane pour payer l’aide humanitaire ($ 3,5 milliards), et pour financer des indemnisations aux victimes du 11 septembre ($ 3,5 milliards). Quel est le sens véritable d’un tel choix ? Il s’agit d’abord de faire payer par les afghans eux-mêmes l’aide humanitaire dont ils ont un besoin urgent… tout en les dépossédant de moyens financiers importants pour un pays comme l’Afghanistan, un des plus pauvres du monde. Et cela alors que l’actuel menace d’effondrement économique et social total, dans un contexte d’état déliquescent, provient largement des conséquences de 20 ans de guerre américaine, de corruption systémique, de pauvreté massive et de sous-développement.
Et puis, faire payer ainsi des indemnisations aux victimes du 11 septembre… voilà qui ressort aussi de l’inacceptable. Ce n’est pas l’Afghanistan, et ce ne sont pas des afghans qui ont tué 3000 personnes ce 11 septembre 2001 à New York. Ce sont 15 saoudiens sur 19 terroristes. Les autres venant du Yémen, du Liban, d’Egypte et des Emirats arabes unis. On sait comment nombre d’individus, de riches personnalités et des « religieux » ou cheikh saoudiens ont participé au financement d’un djihadisme ayant trouvé ainsi un moteur financier et idéologique pour leur visées politiques. Le régime des princes saoudiens a d’ailleurs une solide réputation dans les coups tordus criminels (voir par exemple l’affaire Khashoggi en octobre 2018). Cependant, il n’a jamais été prouvé que ce royaume, allié privilégié des puissances occidentales, est l’acteur responsable du complot et de l’attaque du 11 septembre… mais en matière d’indemnisation, c’est plutôt rRyad qui devrait et pourrait financer. Et certainement pas Kaboul.
L’Afghanistan, en effet, a suffisamment et illégitimement payé avec 20 années de guerre meurtrière et destructrices. Avoir hébergé Oussama ben Laden, chef d’al qaïda, ne peut justifier ni 20 ans de guerre, ni l’arrogante stratégie de « regime change » et de domination américaine dont on mesure aujourd’hui la vaine prétention dans un échec politique, stratégique et militaire complet. Biden, à l’évidence, cherche à se refaire une crédibilité vis à vis de cette totale bérézina couronnée par l’inénarrable chaos ayant présidé à la retraite des troupes de Washington et de l’Otan. En réalité, ces 3,5 milliards de dollars d’indemnisation à des victimes du 11 septembre ne représentent pas grand-chose au regard de ce que les Etats-unis ont dépensé (plus de 2300 milliards de dollars) pour cette guerre ingagnable… qu’ils ont effectivement perdue. Mais Biden choisit ainsi de préserver les plus riches et d’écraser les plus faibles.
Certes, le régime des talibans n’est pas un partenaire fiable, démocratique, respectueux des valeurs humaines universelles. C’est le moins que l’on puisse dire. Mais il y a des limites à ne pas franchir. Il y a un peuple afghan. Oui, un peuple, et pas seulement un régime de facto autoritaire, brutal, hostiles aux femmes, aux libertés, à l’éducation, à la culture…un régime qui, précisément, tient son pouvoir de l’échec américain. Ce peuple afghan doit être aidé et respecté. En vérité, Biden, en difficulté politique, instrumentalise le 11 septembre. Il utilise une vulgaire démagogie populiste pour essayer de se refaire une santé dans son électorat. Cette sordide manœuvre est aussi moralement repoussante que politiquement illégitime.
On croyait avoir atteint un palier dans l’inacceptable avec Guantánamo, avec Abou Ghraïb et bien d’autres exactions criminelles que Washington doit assumer. Mais Biden vient de faire faire aux états-unis un pas supplémentaire dans l’ignominie… nous allons voir qui osera le dire clairement.
Jacques Fath (12 02 22)
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