Édition du 17 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Afghanistan : des durs et des très durs composent le premier gouvernement taliban

Aucune femme ne figure parmi les 33 ministres du nouvel exécutif de Kaboul, composé presque exclusivement de religieux et dans lequel la présence du Pakistan et des réseaux Haqqani se fait lourdement sentir.

Tiré de Médiapart.

Sur la page des personnes recherchées, le FBI promet désormais une récompense de dix millions de dollars à quiconque lui fournira des informations permettant d’arrêter celui qui est devenu mardi le nouveau ministre de l’intérieur des talibans [1]. Chef des réseaux qui portent son nom et celui de son défunt père, qui les a créés, et sont surnommés « les réseaux de la terreur », Sirajuddin Haqqani est notamment suspecté de plusieurs des pires attentats suicides commis à Kaboul, dont celui contre l’ambassade de l’Inde qui avait fait 41 morts en juillet 2008.

L’avis de recherche du FBI concernant Sirajuddin Haqqani.

À présent, il occupe l’un des postes les plus importants dans le gouvernement provisoire des talibans. Sa nomination est la seule véritable surprise de cette nouvelle « administration » – les talibans se refusent à parler de gouvernement, un terme qu’ils jugent non islamique.

Les autres ministres sont des personnalités connues du mouvement et certains figuraient déjà dans le précédent gouvernement, entre 1996 et 2001. Sur les 33 membres qui le composent, on compte au minimum 23 religieux mais aucune femme. À l’exception de deux Tadjiks et un Ouzbek, nommés à des postes sans grande importance, tous les ministres sont des Pachtounes (les Pachtounes représentent entre 35 % et 38 % de la population), contrairement aux promesses qui avaient été faites d’un exécutif « inclusif ».

Le porte-parole des « étudiants en théologie » a cependant indiqué que tous les ministres n’avaient pas encore été nommés et que son mouvement allait essayer de « prendre des gens d’autres régions du pays » (sic) et même des femmes, dans les limites de ce que permet la loi islamique.

La tête du gouvernement revient à Mohammad Hassan Akhound, un homme de Kandahar, le cœur historique du mouvement. Il en est d’ailleurs l’un des fondateurs. Engagé à la fois sur le front des affaires religieuses et militaires – il a été un commandant important au sein de la guérilla –, il dirige aussi la Choura de Quetta (la capitale du Baloutchistan pakistanais), l’une des deux grandes « assemblées » des responsables du mouvement, avec celle, rivale, de Peshawar, pendant la durée de l’occupation américaine. Il fut aussi ministre des affaires étrangères dans le gouvernement de 1996. Depuis 2001, il figure sur une liste de sanctions pour terrorisme établie par les Nations unies, qui l’ont classé comme « l’un des plus redoutables commandants des talibans ».

Un autre cofondateur des talibans, Abdul Ghani Baradar, devient le numéro deux du nouvel exécutif. C’est l’homme du consensus au sein des différentes factions des talibans. En principe, toutes l’écoutent car elles lui reconnaissent d’avoir réussi les négociations de Doha (Qatar) qui ont abouti à la débâcle américaine et au retrait de toutes les forces étrangères. Mollah Yaqoub, l’un des fils du mollah Omar, devient ministre de la défense. Il avait la réputation d’être un responsable militaire pur et dur lorsqu’il était chargé de l’ouest du pays. Amir Khan Muttaqi, le principal négociateur taliban à Doha, a été nommé à la tête du ministère des affaires étrangères.

C’est donc un gouvernement composé de chefs talibans durs et très durs qui s’installe à Kaboul. Une seule personnalité apparaît un peu plus pragmatique : Cher Mohammad Abbas Stanekzai, qui fut l’envoyé diplomatique des talibans et devient vice-ministre des affaires étrangères, mais son importance est dérisoire.

« On prend les mêmes et on recommence, souligne, de son côté, le spécialiste de l’Afghanistan Karim Pakzad, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Ce gouvernement est la copie conforme de celui de 1996. Les fonctions des uns et des autres ont simplement changé. La différence, cependant, c’est la présence de Sirajuddin Haqqani comme ministre de l’intérieur, ce qui ne manque pas d’inquiéter. Sinon, on voit un partage du pouvoir entre les Kandahari et les autres tribus et clans pachtounes, même si les premiers gardent la main, avec un peu plus de la moitié des postes. »

Le guide suprême invisible

Au-dessus de ce gouvernement, sur le modèle de la république islamique d’Iran, dont les dirigeants talibans ont reconnu s’inspirer même s’ils refusent la seule idée d’une république, fût-elle cléricale, trône un Amir al-muminin, un « commandeur des croyants ». L’équivalent du Guide suprême iranien Ali Khamenei. Le maulavi (religieux d’un rang supérieur) Haibatullah Akhundzada a été confirmé à ce titre. Ancien responsable de la justice dans les zones contrôlées par les talibans, il aura dorénavant le dernier mot dans les affaires politiques, religieuses, judiciaires et même militaires – alors qu’il n’a jamais fait partie de l’insurrection armée.

Haibatullah Akhundzada, dont le prénom signifie « le splendide effroi de Dieu », serait aujourd’hui à Kandahar. Mais il suscite déjà nombre de rumeurs puisqu’il n’est pas apparu en public ni n’a prononcé la moindre allocution depuis plusieurs années. Il ne s’est pas manifesté non plus après l’entrée des talibans à Kaboul, le 15 août, ni même après la débâcle de l’armée américaine et la formation du gouvernement.

Pour Wali Massoud, le frère du défunt commandant Ahmad Chah Massoud, et l’un des responsables du Front national de résistance (FNR), rencontré il y a quelques jours à Paris, « Haibatullah Akhundzada est mort depuis deux ans. Depuis cette date, on ne l’a même pas vu en photo, ou alors la photo avait été prise de très loin et on ne distinguait pas vraiment ses traits. Et il est anormal qu’il n’ait même pas annoncé la victoire des siens. » Certains spécialistes, en revanche, doutent qu’il soit décédé, estimant que les talibans ne prendraient pas le risque de cacher sa mort.

Cela faisait trois semaines que ce gouvernement était attendu. Apparemment, les discussions ont été rudes entre les différentes factions. Sans doute doit-on sa formation à la venue, samedi à Kaboul, du lieutenant général Faïz Hamid, chef des renseignements militaires pakistanais (l’Inter-Services Intelligence, ISI), venu pour rencontrer les hauts dirigeants des talibans et qui a été accueilli en grande pompe. « C’est lui qui a débloqué la situation », précise Karim Pakzad.

Sirajuddin Haqqani a obtenu de garder ses propres forces armées au sein du mouvement, ce qui lui garantit une autonomie certaine.

L’un des points de blocage semble avoir été précisément la nomination de Sirajuddin Haqqani, qui, comme l’avait été son père, est considéré comme l’homme des services secrets pakistanais sur l’échiquier afghan. Ancien responsable des opérations militaires des talibans dans l’est du pays, il est aussi très proche du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP), le mouvement ultra-radical des talibans pakistanais et, comme cette organisation, il a de longue date des relations étroites avec la direction d’Al-Qaïda, qui a des camps d’entraînement dans le Waziristan du Nord, l’une des sept agences tribales pakistanaises étagées de l’autre côté de la « ligne Durand », la frontière avec l’Afghanistan.

Ce Waziristan du Nord est son fief et lui-même y est né. Ce qui, pour Islamabad, fait de lui un citoyen pakistanais – mais, pour Kaboul, qui ne reconnaît pas la ligne Durand, il est évidemment afghan. Toujours selon Karim Pakzad, Sirajuddin Haqqani a obtenu de garder ses propres forces armées au sein du mouvement, ce qui lui garantit une autonomie certaine.

Avec les Haqqani – son frère Anas dirige la sécurité à Kaboul et on compte d’autres Haqqani à la direction de plusieurs autres ministères –, Islamabad a posé une main particulièrement lourde sur l’épaule du gouvernement taliban. D’où des réactions de colère à Kaboul, où des manifestants ont dénoncé les ingérences pakistanaises. Depuis lundi, toutes les manifestations ont été interdites et les talibans ont averti qu’ils ne toléreraient plus aucune contestation de leur pouvoir. Plusieurs journalistes qui couvraient les dernières manifestations ont été arrêtés, battus et leur matériel confisqué.


Dossier. Les talibans maîtres de l’Afghanistan Par La rédaction de Mediapart

La visite de Faïz Hamid, le chef de l’ISI, correspond aussi à la chute, dimanche, de la vallée du Pandjshir, qui n’aura tenu que trois semaines. Bozarak, la capitale de la province, est à présent entre les mains des talibans, qui se sont emparés de plusieurs hélicoptères américains et de blindés. La bataille n’est cependant pas terminée : une contre-offensive du Front national de résistance (FNR) s’est ainsi déroulée dans la nuit de lundi à mardi et ce parti semble contrôler encore la haute vallée d’Andarab, qui prolonge celle du Pandjshir.

Dans un tweet, Ahmad Massoud, le fils du « lion du Pandjshir » et chef du FNR, a d’ailleurs rendu un vibrant hommage aux guérilleros de la vallée d’Andarab, comparant leur combat à celui que leurs ancêtres avaient mené contre les envahisseurs arabes. Si l’on en croit certains de ses tweets, c’est une « trahison » de la part de certains habitants du Pandjshir qui a permis aux combattants fondamentalistes de pénétrer dans la vallée, dont l’entrée avait été en grande partie murée par son père et qui pouvait depuis lors sembler inexpugnable.

Jean-Pierre Perrin

Jean-Pierre Perrin

Journaliste pour le quotidien Libération (France).

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