25 octobre 2007
C’est le sixième anniversaire de la guerre américaine en Afghanistan, que beaucoup considèrent comme la « bonne » bataille de la « guerre contre le terrorisme », contrairement à l’Iraq. Est-ce vrai ?
J’ai toujours défendu qu’il s’agit essentiellement d’une guerre revancharde brutale qui visait à riposter le plus rapidement possible aux attentats du 11 septembre. Pour les dirigeants politiques, il s’agissait de prouver à la population américaine qu’ils étaient préoccupés de leur défense. Cette guerre n’avait pas d’autre but significatif pour eux que de se venger et d’appliquer la loi du Talion : « œil pour œil, dent pour dent ».
Le second objectif de cette guerre, comme Bush l’a répété, était de capturer Oussama ben Laden « mort ou vivant ». Tels sont ses mots exacts, que nous ne devrions pas oublier. En dehors de cela, il n’y a pas eu d’objectifs de guerre clairement définis.
Il n’a jamais été question qu’ils allaient s’emparer du pays. Pour les uns, l’Alliance du Nord n’allait pas résister - si ce n’était de la présence très forte des Iraniens dans l’Ouest afghan. Les dirigeants iraniens étaient hostiles aux Talibans pour leurs propres raisons opportunistes, de sorte qu’ils s’associèrent à l’offensive impériale et ont affirmé : « Bien, nous ne pouvons pas nous débarrasser de ces gens, si les Américains le font, nous verrons bien comment la situation va évoluer . »
Puis il y avait le régime militaire pakistanais, sans lequel les Talibans n’auraient jamais été au pouvoir, et qui fournissait un soutien logistique, militaire et autre à ces derniers.
Étant donné que les États-Unis allaient utiliser les bases militaires pakistanaises, le régime a demandé quelques semaines pour retirer leur personnel militaire de l’Afghanistan avant que les États-Unis ne l’envahissent. Durant ces deux semaines cruciales, bien sûr, Oussama ben Laden et la direction d’Al-Qaeda ont quitté l’Afghanistan. Il n’allait pas attendre d’y être piégé.
Ainsi, les États-Unis ont pris Kaboul avec l’aide de l’OTAN, mais cela n’a pas été difficile, car il n’y a eu aucune résistance. Ensuite, la question s’est posée : qu’est-ce qu’ils allaient faire avec ce pays ?
Ils ne pouvaient pas trouver Oussama. Il y a eu une période de deux semaines d’hystérie médiatique sur la conquête des grottes de Tora Bora et une inflation de propagande. Ils ont largué les bombes et qu’est-ce qui s’est passé ? Rien. Ils ont détruit les grottes, voilà tout.
Alors qu’est-ce qu’ils allaient faire ensuite ? Il est évident que Ben Laden avait quitté le pays pour se rendre dans des zones tribales entre le Pakistan et l’Afghanistan, où les traditions d’hospitalité sont très fortes, et où il serait en sécurité.
Les États-Unis ont ensuite implanté un régime fantoche en Afghanistan. Permettez-moi de rappeler que Zalmay Khalilzad était le principal conseiller de Bush sur l’Afghanistan à l’époque, et qu’il lui a présenté l’un de ses acolytes qui avait jadis travaillé pour la compagnie pétrolière Unocal, Hamid Karzaï, qui deviendra président de l’Afghanistan. Et tout à coup, nous avions un pays.
Il est devenu très vite évident pour les Occidentaux que cet arrangement n’arriverait pas vraiment à s’étendre au-delà de Kaboul et de Kandahar, les deux grandes villes du Sud. D’ailleurs des forces pro-iraniennes contrôlaient l’ouest du pays. Et dans le Nord, les anciennes républiques soviétiques, encore fortement influencées par Moscou, contrôlaient la région. Alors qu’est-ce qu’ils feraient donc de ce pays ? La réponse est rien.
Est-ce que les États-Unis ont un appui réel au sein de l’Afghanistan ?
J’ai défendu qu’il y a sans doute un assez grand nombre d’Afghans qui ont été soulagés d’avoir été libérés des Talibans - un bon nombre se sont dit : « Et bien, au moins maintenant, nous allons avoir la paix et la sécurité, et peut-être un peu de nourriture à manger ». C’était également l’avis de bon nombre de commentateurs libéraux au Pakistan.
Certains d’entre nous ont soutenu également le renversement des Talibans, mais que se passe-t-il maintenant ? Mais nous avions signalé que les infrastructures sociales ne seraient pas transformées pour la majorité des Afghans.
C’est exactement ce qui s’est passé dans ces six dernières années. Ce que certains sous-estimaient, c’est que sous une occupation impérialiste imposant une politique néolibérale les priorités du nouvel ordre capitaliste s’exprimeraient par la généralisation de la privatisation de tout le pays. Donc, ce qui s’est passé, c’est que l’argent qui a afflué en Afghanistan a été utilisé par Hamid Karzai et ses sbires pour construire une nouvelle élite dans ce pays.
Au cœur de Kaboul, sur les terres dont ils se sont emparés, les membres de cette élite se sont construits de grandes villas protégées par les troupes de l’OTAN contre l’ensemble de la population de la ville et du pays.
Il en coûte environ $ 5 000 à $ 6 000 pour construire une maison bon marché pour une famille de cinq ou six personnes, mais ils ne l’ont pas fait. Ils ont dépensé des millions de dollars pour la construction de grandes villas. C’est bien pourquoi ils ont besoin de la protection permanente de l’OTAN pour vivre dans ces résidences. Et ils vont en être chassés une fois que les armées occidentales se seront retirées.
Ils ont créé une énorme crise, et à cela s’est ajouté le fait que l’armée américaine a la gâchette facile et qu’elle a tué de nombreux innocents.
Là où les États-Unis entendent des coups de feu, ils déversent des bombes. Quelqu’un devrait leur dire que l’Afghanistan est une société tribale où les gens utilisent les coups de feu pour célébrer soit un mariage soit la naissance d’un enfant. S’ils avaient réfléchi, les Américains auraient été plus favorables à cette culture étant donné le culte des armes à feu aux États-Unis, mais ils n’ont pas apprécié cette culture en Afghanistan.
Ainsi, les États-Unis ont commencé les bombardements de populations. Des rapports sur le bombardement d’une cérémonie de mariage sont parvenus aux États-Unis.
Comment les Talibans ont-ils été en mesure de reprendre leurs activités ?
Les Talibans ont commencé à se regrouper, à se réarmer et à se battre, et ils ont connu quelques succès. Et des personnes ont commencé à se féliciter de leur retour puisque personne d’autres ne les défendaient.
Donc, des Afghans ont commencé à parler avec les Talibans et à leur dire ce qui se passait. Nombre de gens supposés travailler avec les États-Unis et l’OTAN vont donner aux Talibans des renseignements sur les déplacements des troupes d’occupation. Des opérations classiques de la guérilla ont commencé. Les États-Unis ont riposté en augmentant le nombre de leurs bombardements. Il s’agit d’un cercle vicieux.
Si vous regardez les journaux au cours de la dernière année, les rapports indiquent qu’il y a eu 60 Talibans tués ici, 80 Talibans tués là, 90 Talibans tués ailleurs. Ce sont donc des milliers de supposés "Talibans" qui ont été tués.
En d’autres termes, si l’on en croit ces rapports, ils auraient exterminé les trois quarts des Talibans, ce qui est loin de la vérité. En fait, les États-Unis sont gênés d’avoir tué tant de civils ; ils prétendent donc qu’ils ont tué des Talibans.
Vous avez une situation dans le pays où le frère de Hamid Karzai, Ahmed Wali Karzai, est bien connu comme le plus grand trafiquant d’armes et d’héroïne de la région. Il l’est devenu parce que son frère dirige le pays.
Voici ce type qui était heureux de diriger un restaurant afghan à Baltimore et de vendre de la nourriture à fort prix à des étudiantEs de Johns Hopkins. Il est maintenant le deuxième dans la chaîne de commandement du pays et il fait fortune.
Symboliquement, cela a été un désastre. Ainsi, loin d’être une "bonne guerre", la guerre en Afghanistan s’avère être une sale et désagréable guerre et il n’existe aucun moyen pour les États-Unis ou pour les autres forces occidentales d’y demeurer longtemps.
Qu’est ce que les puissances régionales espèrent retirer de cette guerre en Afghanistan ?
Les militaires pakistanais espèrent que l’Occident va se retirer et qu’une sorte de gouvernement de coalition va se mettre en place regroupant Karzai et des secteurs Talibans.
Il vaut la peine de le souligner. Soutenu par l’Occident, le régime Karzai, alors même que nous nous parlons, a entrepris de sérieuses négociations avec les Talibans. Donc, les Talibans, qui ont été diabolisés comme le pire fléau qui n’ait jamais existé dans le monde, sont désormais soutenus par l’Occident - pour autant qu’ils concluent une entente avec Karzai.
La première réponse des Talibans à l’offre Karzai a été de dire, « Nous ne discuterons pas avec vous à moins que toutes les forces étrangères se retirent du pays. » Karzai, a répondu que ce n’était pas possible car il pense que sans les troupes étrangères, son régime ne tiendrait pas 48 heures.
Mais pour ce qui est des militaires pakistanais, ils savent qu’ils ne seront pas en mesure de tirer profit d’un accord entre les Talibans et Karzai tant que les troupes étrangères se trouvent dans la région. Les militaires pakistanais croient qu’une fois que les troupes occidentales auront quitté l’Afghanistan, ils pourront peut-être s’emparer de nouveau du pays, grâce à l’alliance entre les Talibans et Karzai.
Mais je pense que cette possibilité est désormais exclue, parce que l’OTAN a, par son occupation, créé un véritable chaos, et parce que, au cours de ces six dernières années, l’autonomie régionale est centrale dans la dynamique d’évolution du pays. L’Afghanistan a toujours été une confédération tribale, mais ce pays est plus divisé que jamais. De plus, les Iraniens et les Russes ne vont pas permettre à un gouvernement pro-américain soutenu par les Talibans de reprendre en mains le pays. Donc, les dirigeants militaires du Pakistan peuvent espérer diriger une partie de l’Afghanistan, mais ils ne seront pas en mesure de s’emparer de l’ensemble du pays.
J’ai milité au Pakistan et ailleurs pour le retrait total et immédiat de toutes les troupes et, simultanément, j’ai défendu la convocation d’une conférence de paix par les puissances régionales impliquées en Afghanistan - ce qui signifie le Pakistan, l’Iran, la Russie et l’Inde qui est la plus grande puissance de la région – pour mettre en place un gouvernement national, suite au retrait des troupes des puissances occidentales afin de fournir un répit à ce pays et de tenir des élections pour une assemblée constituante dans deux ou trois ans.
Dans l’intervalle, ces puissances régionales garantiraient qu’il n’y aurait ni combat et ni guerre civile. Les gens devraient être favorables à une telle idée parce que l’Afghanistan a été en guerre pratiquement sans arrêt depuis 1979. C’est horrible ce qui se passe dans ce pays.
Il est improbable que les Américains ou les Pakistanais acceptent cette solution. Dans cette éventualité, la situation ira de mal en pis, à mon avis.
Donc, pour résumer, la situation en Afghanistan, c’est un véritable chaos. Les États-Unis ne pourront jamais gagner cette guerre et la principale raison pour laquelle ils ne pourront jamais la gagner, c’est que les Afghans rejettent toute occupation. Les Afghans ont expulsé les Britanniques au 19ème siècle, les Russes au 20ème siècle, et maintenant ils mènent de nouveaux combats contre les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN.
* Articlé tiré du Socialist Worker