Tiré de Médiapart.
Les poignées de mains chaleureuses entre Vladimir Poutine et Xi Jinping et leurs déclarations d’amitié, lundi 20 mars au Kremlin, rappellent une autre époque, celle de l’alliance entre Staline, puis Khrouchtchev, et Mao, tous deux unis contre les États-Unis.
En visite à Moscou en 1957, en pleine Guerre froide, pour rencontrer Nikita Khrouchtchev, qui a succédé à Staline décédé en 1953, le Grand Timonier avait décrit la confrontation entre les deux blocs, « le vent d’est et le vent d’ouest ». « Une expression chinoise dit que soit le vent d’est submerge le vent d’ouest, soit le vent d’ouest submerge le vent d’est, avait-il dit. Je pense que la situation actuelle est caractérisée par le vent d’est qui submerge le vent d’ouest, c’est-à-dire la domination écrasante des forces socialistes sur les forces impérialistes. »
La Russie n’est certes plus dans le camp du socialisme et le Parti communiste chinois a survécu grâce à son embrassement du capitalisme et revendique un « socialisme à caractéristiques chinoises ». Mais les deux régimes ont bâti leur légitimité sur le nationalisme et un sentiment de « forteresse assiégée » face aux forces hostiles occidentales. Et ils ont toujours en commun de s’opposer à un ordre international dominé par les États-Unis, un antagonisme accentué par l’invasion russe de l’Ukraine il y a plus d’un an.
Preuve de cette bonne entente, lundi, au premier jour de la visite officielle en Russie de Xi Jinping, les deux autocrates ont immédiatement eu un premier entretien informel, durant lequel, selon le compte rendu des médias officiels chinois, il a été question bien évidemment de l’Ukraine quelques semaines après un plan de paix chinois – plutôt une déclaration de principes, qui a été rejetée par les Occidentaux, car elle met sur le même plan l’agresseur et l’agressé.
Assis au côté de Poutine, toujours aussi marmoréen, Xi Jinping a relevé que « des voix pacifiques et rationnelles s’élèvent, la plupart des pays soutenant la désescalade des tensions, préconisant des pourparlers de paix et s’opposant à ce que l’on jette de l’huile sur le feu ».
Dans une critique implicite des États-Unis et de leurs alliés occidentaux, le dirigeant chinois a dénoncé « la mentalité de la guerre froide et les sanctions unilatérales ».
« Nous pensons que plus c’est difficile, plus il faut laisser de place à la paix ; plus les contradictions sont aiguës, moins nous pouvons renoncer aux efforts de dialogue. La Chine est prête à continuer à jouer un rôle constructif dans la promotion d’une solution politique à la question de l’Ukraine », a-t-il dit.
Poutine, de son côté, a loué la position de son allié, qualifiée d’« impartiale, objective et équilibrée sur les grandes questions internationales ». « La Russie a étudié attentivement le document de position de la Chine sur le règlement politique de la question ukrainienne, elle est ouverte aux pourparlers de paix et se félicite du rôle constructif de la Chine à cette fin », a-t-il ajouté.
Au même moment, à Washington, le chef de la diplomatie états-unienne, Antony Blinken, a estimé que « le monde ne doit pas être dupe d’une manœuvre tactique de la Russie – soutenue par la Chine ou tout autre pays – visant à geler la guerre selon ses propres conditions ».
Le secrétaire d’État a expliqué que « l’élément fondamental de tout plan visant à mettre fin à la guerre en Ukraine et à instaurer une paix juste et durable doit être le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, conformément à la Charte des Nations unies ».
Antony Blinken a aussi dénoncé un déplacement intervenant quelques jours après que la Cour pénale internationale a lancé un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine. Cela « suggère », a-t-il souligné, « que la Chine ne se sent pas obligée de demander des comptes au Kremlin pour les atrocités commises en Ukraine, et qu’au lieu de les condamner, elle préfère fournir une couverture diplomatique à la Russie pour qu’elle continue à commettre ces mêmes crimes ».
Offensive diplomatique
Mais, à l’occasion de sa visite à Moscou, la Chine, par l’entremise de Xi, se pose une nouvelle fois en faiseuse de paix, auréolée de son récent succès dans le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite.
La semaine dernière, lors d’une rencontre entre le Parti communiste chinois et des formations politiques du monde entier, Xi a remis sur le devant de la scène son « initiative de civilisation mondiale », qui revient essentiellement à mettre en avant le concept de modernisation à la chinoise, bien distinct de celui des Occidentaux et d’une démocratie libérale honnie.
Une fois refermée la parenthèse de la pandémie de Covid, Xi Jinping fait feu de tout bois et mène l’offensive sur la scène internationale, tout en dénonçant les manœuvres de Washington.
« Les pays occidentaux, sous la houlette des États-Unis, ont mis en œuvre des mesures d’endiguement, d’encerclement et de répression à notre encontre, posant des défis d’une gravité sans précédent au développement de notre pays », a-t-il déclaré au moment de la session parlementaire au début du mois.
Dans un document publié en février, le ministère chinois des affaires étrangères avait raillé l’« hégémonie américaine et ses périls », détaillant les hégémonies politique, militaire, économique, technologique et culturelle et concluant par : « Les États-Unis doivent faire un sérieux examen de conscience. Ils doivent examiner d’un œil critique ce qu’ils ont fait, renoncer à leur arrogance et à leurs préjugés, et abandonner leurs pratiques hégémoniques, dominatrices et intimidantes. »
Mardi, Poutine et Xi se sont retrouvés, escortés de leurs délégations, pour renforcer leur coopération économique, dans un contexte où Moscou est de plus en plus dépendant de Pékin. Les deux parties ont convenu de la construction d’un deuxième gazoduc entre la Sibérie et la Chine.
Cette frénésie diplomatique – à la fois chinoise et russe, car la semaine dernière Poutine recevait le dirigeant syrien Bachar al-Assad – vise surtout à gagner les faveurs de ce que l’on désigne comme le « Sud global », expression revenue en vogue pour désigner ces pays d’Asie, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Amérique latine au lieu de tiers-monde ou pays en développement.
Mi-février, à la conférence de Munich sur la sécurité, Emmanuel Macron s’était dit « frappé de voir combien nous [les Occidentaux – ndlr] avons perdu la confiance du “Sud global” », en raison d’un double langage et du soutien à l’Ukraine au détriment d’autres pays.
La saison des voyages va se poursuivre. Le premier ministre japonais, Fumio Kishida, s’est rendu mardi en Ukraine pour rencontrer Volodymyr Zelensky. Le président français est attendu à Pékin début avril. Mardi 21 mars, selon l’Agence France-Presse, le ministère français des affaires étrangères a estimé que la Chine pouvait jouer « un rôle utile pour convaincre la Russie d’accepter de bonne foi des négociations de paix » avec l’Ukraine, tout en estimant que Moscou ne semblait pas enclin, « à ce stade », à mettre fin à la guerre.
Quelques jours avant, le chef d’État brésilien Luiz Inácio Lula da Silva sera dans la capitale chinoise – lui aussi, fin janvier, a jugé que la Chine avait un rôle important à jouer dans la résolution de la guerre en Ukraine.
Au même moment, fin mars, Joe Biden organisera à la Maison Blanche son deuxième sommet pour la démocratie. Une manière pour le vent d’ouest de contrer le vent d’est.
François Bougon
Boîte noire
Le papier a été modifié vendredi 24 mars pour préciser que Mao Zedong avait rencontré en 1957 Nikita Khrouchtchev, le successeur de Staline, décédé en 1953.
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