Édition du 1er avril 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Politique d’austérité

3e incongruité, les dommages déjà occasionnés par le privé

Les incongruités d’une société (3e partie)

Nous avons un merveilleux système de santé au Québec. Malheureusement, le néolibéralisme et le vent d’austérité mondial sont en train de nous en déposséder. Tout le monde le sait, cet enjeu représente le plus gros poste budgétaire de notre gouvernement provincial. Dernièrement, j’ai rencontré mon médecin de famille (eh oui, je suis chanceux, mais... elle prend sa retraite en septembre 2015). De ce rendez-vous plutôt banal (c’était un suivi annuel), plusieurs réflexions me sont venues en tête. Je me suis interrogé sur la place du privé dans le milieu de la santé. Ça fait longtemps que j’y réfléchis, mais cette rencontre m’a permis de mieux organiser mes idées.

Troisième incongruité

Lors de celle-ci, j’en ai profité pour demander à mon médecin de me faire un papier (je ne sais pas trop si c’est une prescription) dans le but de subir une vasectomie. Est-ce que j’avais vraiment besoin du papier en question, est-ce que j’aurais pu me rendre directement à la clinique d’urologie, je ne le sais pas. En tous les cas, c’est un geste qui est fréquent chez les hommes de mon âge qui ont suffisamment procréé à leur goût. Et franchement, avons-nous vraiment besoin de voir notre médecin pour cela ?

J’ai plusieurs amis qui l’ont déjà subie, mais en deux vagues différentes. La première vague, c’était il y a 4-5 ans. Ils ont tous utilisé le système public avec un délai d’attente raisonnable (moins de 6 mois pour la plupart). Ça ne leur a rien coûté, ils ont eu mal une journée ou deux. Ceux de la deuxième vague ont subi l’opération l’an passé. Lorsque je leur ai dit que c’était mon tour, que j’allais en parler à mon médecin, immédiatement ils m’ont conseillé d’aller au privé. « Tu vas voir, tu vas avoir ton rendez-vous tout de suite, ils vont t’opérer avec la nouvelle technique. T’auras pu mal comme les gars dans le temps, seulement 1 jour ou 2. Pis en plus, c’est juste 150 $, pourquoi attendre pendant 6 mois ? »

Ce que je vois comme différence entre les 2 vagues, c’est que ça a coûté 150 $ de plus et qu’ils n’ont pas attendu. Mais le pire, c’est qu’aux yeux de ces amis, j’étais borné et presque idiot d’attendre pour passer au public. Ils ont tenté de me convaincre pendant une bonne vingtaine de minutes. Je me demandais presque s’ils n’avaient pas une ristourne de la clinique. Des citoyens, qui paient déjà pour le système de santé par leurs impôts acceptent de payer en double, en utilisant le privé. Le pire, c’est qu’ils font la promotion de ce système à deux vitesses. On s’entend que ce ne soit pas un cas de vie ou de mort. On m’offrirait un test de dépistage en oncologie, j’y réfléchirais. Par contre, une fois le dépistage fait, la clinique privée me référerait au public. Le suivi d’un cancer, ça, ce n’est pas payant !

En sortant du bureau de mon médecin, je me suis dit que je pourrais aller porter mon papier immédiatement, pour réduire le temps d’attente. C’est vrai que ça faisait 3 mois que j’attendais de voir mon médecin pour avoir mon papier. Donc, pourquoi éterniser encore plus les choses ? Je remets ce papier à la secrétaire de la clinique. Celle-ci me dit d’un ton plutôt inintéressant et trop fort selon moi : « Pour une vasectomie, ça va se passer à l’hôpital pis c’est 6 mois minimum avant la première consultation, voulez-vous avoir le numéro pour faire affaire avec le privé ? »

Qu’est-ce que ça va prendre pour qu’un gars se fasse couper le canal-famille au public ? Mais bon, rendu là, c’est vrai que je dois être borné, j’ai dit à la madame que je voulais le faire au public. Elle m’a regardé d’un drôle d’air, comme si je venais d’une autre planète. J’ai attendu 3 mois pour demander un papier à mon médecin qu’est-ce que ça peut changer si j’attends 6 mois supplémentaires ?

L’affaire Chaoulli1 (jugement de la Cour suprême du Canada permettant le recours à des assurances privées pour payer des frais médicaux administré par le secteur privé), en 2005, a ouvert une brèche dans notre système. Le gouvernement de Jean Charest aurait pu se soustraire à ce jugement en utilisant la clause dérogatoire (aussi appelée nonobstant). Mais Philippe Couillard (alors ministre de la Santé) et ses collègues ont préféré laisser la brèche ouverte. Un des arguments qu’ils ont utilisés à l’époque est que ça désengorgerait le système. Il y a quelqu’un qui ne joue pas franc jeu ici.

Pour la vasectomie, c’était 6 mois il y a 4-5 ans, c’est 6 mois aujourd’hui. Combien de temps est-ce qu’on attend à l’urgence aujourd’hui ? Ce qui est évident c’est que l’attente au public n’est pas plus courte. Par contre, tous ceux qui paient y ont accès plus rapidement. En 2005, on nous vantait le privé. Le système irait beaucoup mieux si l’on entrait dans un partenariat public-privé. 9 ans plus tard, il n’y a que ceux qui en ont les moyens qui récoltent les fruits de cette brèche. Ça doit être ça un système à deux vitesses. Qu’est-ce qui me prouve que si l’on en ajoute, là ça va vraiment faire une différence ?

On a un système de santé qui, somme toute, fonctionne. Je me trouve chanceux de n’être qu’à 18 ou 24 heures d’attente d’entrer dans un système qui, au bout du compte, sera gratuit. Il y a évidemment plusieurs améliorations qui doivent être faites. Il ne faut toutefois pas tomber dans le piège du privé.

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