Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élection fédérale du 19 octobre 2015

Voter NPD ou campagne anti hydrocarbures et anti austérité ?

Québec solidaire, dans le sillage du « consensus » de voter pour le parti le plus apte à déloger les Conservateurs, se contente de les dénoncer tout en « n’endoss[ant] pas de parti ou de candidat-e-s »1. À son aile gauche, Presse-toi-à-gauche2 et le Réseau écosocialiste3, en toute lucidité à propos des multiples failles du NPD, invitent tous deux à un vote tactique pour le NPD comme c’est la tradition depuis belle lurette chez la gauche non nationaliste québécoise. Pourtant ce parti fédéraliste centralisateur ne s’oppose pas à l’exploitation des sables bitumineux et l’oléoduc Énergie-Est de Trans Canada Pipeline sans compter son sionisme larvé et un discours social-libéral non crédible car soumis à l’impératif de l’équilibre budgétaire en temps de récession économique.

Il est déjà assez pathétique que la gauche anticapitaliste et antilibérale, québécoise et canadienne, soit incapable d’intervenir par des candidatures dans la campagne électorale. La polarisation sociale, accentuée par la Grande récession depuis 2008 suivie de celle politique marquée par le mouvement des places en 2011 et surtout l’impuissance de la gauche parlementaire même radicale signalée à double trait par la tragédie grecque, le tout sur fond d’urgence écologique et économique, exige d’en finir avec ces votes tactiques et cyniques pour le moins pire dont le résultat le plus dommageable est la démobilisation de la jeunesse.

Faute de capacité d’intervenir directement sur le terrain électoral, la conjoncture invite à au moins faire une campagne contre les hydrocarbures dans la perspective du COP 21 à Paris en décembre à la suite de la mobilisation de 10 000 personnes à Toronto le 5 juillet dernier organisée par 350.org Toronto4. Au Québec, elle invite à revigorer la lutte contre l’austérité, après le départ raté de ce printemps5, en conjonction avec celle pour la convention collective du secteur public.

En ce qui concerne l’extraction du pétrole des sables bitumineux, le noyau dur en crise6 de la politique économique du gouvernement fédéral, il s’agirait de mettre tous les partis au pied du mur, y compris le Parti vert, qui pratique l’art de l’esquive à propos de l’oléoduc Énergie-Est7, et le Bloc québécois qui prétend être contre l’oléoduc alors que son alter ego péquiste l’a appuyé quand il était au gouvernement. Pour l’austérité, ce serait le temps de remettre en question à la fois la politique fiscale fédérale de drastiques réductions de transferts sociaux aux provinces, en particulier ceux pour la santé, le grand oublié de l’agitation de la campagne de réforme fiscale des 10 milliards de la Coalition mains rouges, ce qui a pour effet de déresponsabiliser le gouvernement fédéral face à l’austérité8.

Une différence de discours suffit-elle pour justifier un vote tactique ?

Malgré toutes ces politiques pro-pétrole et son appui à l’interventionnisme militaire, en autant qu’il soit béni par l’ONU… sous le contrôle des grandes puissances, un vote tactique pour le NPD serait quand même requis, selon ces organisations, parce ce que le NPD serait le « moins pire » des partis en liste susceptibles de former le gouvernement ou l’opposition officielle, son discours social-libéral en témoignant, et parce que ce serait un « parti bourgeois à base ouvrière et populaire »9. Les alter ego du NPD en Grande-Bretagne, en Allemagne, en France, en Espagne… et en Grèce (PASOK), sont loin d’avoir ralenti l’implantation des politiques néolibérales. Tout comme leurs vis-à-vis de droite et autant qu’eux sinon davantage dans certains pays (ex. Allemagne), ils ont férocement implanté les politiques néolibérales. Idem pour les gouvernements NPD provinciaux.10

De dire le chef NPD, son candidat vedette contre le ministre des finances des Conservateurs, ex ministre des finances en Saskatchewan, est responsable de davantage de budgets équilibrés que l’actuelle ministre des finances !11 On en déduit la démagogie des promesses du NPD lesquelles se noieront dans le dogme de l’équilibre budgétaire. Cet équilibre ne sera pas atteint par des hausses d’impôt des riches et des entreprises étant donné le contexte de stagnation économique, sinon de récession tout court dans lequel le Canada est déjà plongé12, le tout baignant dans une piscine de libre-échange obligeant à la compétitivité fiscale. Si Syriza, un parti non social-libéralisé comme le NPD, a capitulé sur toute la ligne pour accepter pire que les partis néolibéral et social-libéral qui l’avaient précédé, s’imagine-t-on que le NPD avancera d’un iota la cause populaire ?

Quant à la base « ouvrière » du NPD, le chef du NPD n’a eu aucun lien avec le mouvement syndical mais il en a eu de très forts avec Alliance Québec, champion du bilinguisme intégral au Québec, et avec le Parti libéral de Jean Charest dont il a été ministre. Il a ainsi assumé le projet de « ré-ingénierie » de ce gouvernement voulant démanteler les acquis de la Révolution tranquille de même que ses lois anti-syndicales de 2003, la répression de la longue grève étudiante de 2005 et la loi spéciale contre les syndicats du secteur public de 2005. Inquiet du taux d’impopularité du gouvernement et conscient, avec la fondation de Québec solidaire, que soufflait une brise de gauche au Québec, il profita habilement de son poste de ministre de l’environnement pour rompre à gauche avec les Libéraux sur la question de la privatisation d’une partie du parc du Mont Orford. En bon électoraliste, Thomas Mulcair continue de recentrer le NPD à la suite de Jack Layton et pour la plus grande satisfaction de The Economist et autres pundits du Canada anglais13.

En bref , le NPD ne se voit pas vraiment comme un parti des travailleurs. La rhétorique occasionnelle mise
à part, il ne pense pas, ne parle pas ou n’agit pas en termes de classe. La social-démocratie implique que les conflits de classe sont une partie intégrante du capitalisme. C’est aujourd’hui plus évident que jamais. Le NPD refuse de considérer les luttes ouvrières comme des expressions positives de résistance qui
devraient être nourries. En temps d’élection, le NPD est embêté par une classe ouvrière militante et par ses perturbations économiques. Au gouvernement, il estime que les attentes de la classe ouvrière, simulées par les succès électoraux du NPD, doivent être tenus en échec. Et ce sont souvent les gouvernements sociaux-démocrates qui imposent la modération salariale et des coupures sociales - pensons à Bob Rae.14

L’apparente toute puissance d’un capitalisme bureaucratisé et globalisé

Le drame, c’est l’emprise du NPD sur l’électorat populaire et progressiste. C’est cette emprise qu’il faut casser. Cette emprise s’explique fondamentalement par la contradiction entre, d’une part, la toute puissance apparente de l’État bourgeois dont la force n’est plus seulement celle répressive, qui en reste le cœur, mais aussi cette bureaucratie tentaculaire étatique et para-étatique, étroitement lié avec celle des grandes entreprises, détentrice d’un savoir scientifique, technique et organisationnel et, d’autre part, la grande faiblesse du prolétaire isolé, précarisé et inorganisé ou dominé par une bureaucratie syndicale organiquement liée avec celles de l’État et du patronat, particulièrement celle des institutions financières, tous au service de la grande bourgeoisie.

Le néolibéralisme a encore accentué cette contradiction tant par la globalisation de l’économie contre des ripostes qui restent étouffées dans les frontières nationales que par la pollution de l’idéologie individualiste faisant de la factice accumulation consumériste, pâle image de l’accumulation proprement capitaliste qui elle génère du profit, le paradigme du bonheur. La clef de la solution de cette contradiction reste la (re)construction de la solidarité prolétarienne et populaire dans la lutte toutes et tous ensemble contre l’austérité et contre les hydrocarbures pour une société de plein emploi écologique, ce qui suppose un plan de « sortie du pétrole » qui ne soit pas financé par les banques et consorts comme le propose Québec solidaire. C’est cette accentuation des contradictions qui alimente le feu des révolutions arabes et érables de toutes sortes. C’est l’ineptie de la gauche politique qui les empêche d’aboutir et même qui les fait virer au cauchemar sous les coups d’une répression financière, policière et militaire sans concession.

Si le réflexe de s’en remettre aux institutions étatiques pour régler la redistribution de la richesse et le fatal dérèglement des grands équilibres écologiques exige d’abord et avant tout l’antidote de la solidarité de la lutte commune, ce n’est pas le moment de renforcer l’illusion institutionnelle en appelant à voter pour le soi-disant moins pire qui ne l’est pas, pas plus qu’il n’est un parti « ouvrier ». En plus, au Québec appeler à voter NPD aliène une autre bonne partie de la militance qui votera pour le Bloc québécois et une autre, plus importante au Canada anglais, qui votera Parti vert. La nécessité incontournable d’entrer en relation avec toute cette militance qui votera NPD, Bloc ou Parti vert, tout comme aux ÉU avec cette militance embrigadée dans la campagne du « socialiste » Bernie Sanders comme candidat du Parti démocrate, doit se faire sans entretenir de confusion stratégique. Cette relation indispensable se fait au sein de campagnes contre les hydrocarbures et contre l’austérité au Québec et au Canada, pour le « living wage » de 15$ l’heure et pour « Black Lives Matter » et tutti quanti aux ÉU. La tactique du « front uni » existe pour ça.

Tourner en rond pour ne pas affronter l’électorat

Il aurait pourtant été possible d’au moins susciter quelques candidatures anticapitalistes avec un programme d’urgence. Une poignée de militants canadiens et québécois, dont des représentants de Québec solidaire et du Réseau écosocialiste, discutent de former une organisation (un parti ?) pan-canadien anticapitaliste inspiré par les expériences européennes et latino-américaines, ce qui paraît contradictoire dès le point de départ15. Hantés par la peur du sectarisme, ils évitent tout débat écrit, toute prise de position commune, toute intervention dans l’actuelle campagne fédérale et toute organisation d’une campagne commune dont ils ne font que parler. Dans une démarche qui dure déjà depuis quelques années, ils se contentent de conférences téléphoniques et de rencontres annuels pour échanger des idées.

Comme base de leur réseau, ils préconisent des organisations locales ou régionales comme le Greater Toronto General Assembly… qui vient de disparaître… et sans qu’un bilan de cet échec ne soit fait. N’y a-t-il pas une contradiction à inclure Québec solidaire qui n’a rien d’anticapitaliste ? Peut-on construire une organisation politique sans établir dès le départ un programme politique, si minimal soit-il et à bien distinguer d’une base idéologique comme l’anticapitalisme ou l’(éco)socialisme, et organiser l’une ou l’autre campagne politique commune réellement existante ou s’insérer à la gauche d’une déjà existante ?

Le comble de toute cette affaire c’est que le Réseau écosocialiste a complètement passé sous silence, y compris sur son réseau Facebook, la manifestation de Toronto de 10 000 personnes le 5 juillet organisé par l’ONG radicale 350.org Toronto dans laquelle s’est impliquée à fond Noami Klein et à laquelle a pleinement participé l’aile gauche du mouvement écologiste canadien pendant qu’à Montréal, en résonance avec cette manifestation, des écologistes occupaient le bureau du chef du NPD et tentaient d’occuper celui du chef des Libéraux pour dénoncer leur parti-pris pro-pétrole16. Avec ce Réseau, c’est le monde à l’envers17 !

Marc Bonhomme, 16 août 2015

www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

1Québec solidaire, communiqué de presse du 2 août 2015

2Bernard Rioux, Sans illusion, soutenir le NPD pour se débarasser du gouvernement Harper, Presse-toi-à-gauche, 4 /08/15

3Benoît Renaud, Résolution pour le Réseau écosocialiste sur les élections fédérales, Réseau écosocialiste, 5/08/15

4Tamara Khandaker, March for Jobs, Justice and Climate draws on allies for a clean-energy revolution, Toronto Star, 5/07/15 et page d’accueil de Toronto 350.org

5 Voir mon article sur mon blogue, Un premier mai, mi-chair mi-poisson, 8/05/15

6François Desjardins, Un pétrole albertain à moins de 30$ le baril, Le Devoir, 15/08/15

7Dans son document de 214 pages publié à la une de son site, Notre vision, qui lui sert de programme, on ne retrouve pas les mots pipeline, oléoduc, gazoduc, Énergie-Est et Trans Canada. On y apprend seulement que le Parti vert réclame un moratoire sur le développement du pétrole extrait des sables bitumineux, ce qui pose la question du transport de l’importante production actuelle. Le parti prône son raffinage en Alberta… de sorte à transporter du pétrole… propre. (Le NPD préconise plutôt un raffinage n’importe où au Canada d’où son acceptation tacite de l’oléoduc Énergie-Est qui pourrait approvisionner les raffineries de Québec et de St-Jean au Nouveau-Brunswick.)

8Le principal responsable de Presse-toi-à-gauche, dans un article prônant la résistance populaire (11/08/15) dresse une longue liste de possibilités… mais il oublie celle contre l’austérité liée à la convention collective du secteur public, celle qui a le plus de chance d’avoir lieu lors de la période électorale.

9François Vercammen, Union européenne : où va la social-démocratie ?, ESSF, 12/12/02. Cet article écrit il y a plus de 10 ans ne tient pas compte de la continuelle dégénérescence des partis sociaux-démocrates depuis lors.

10J.F Conway, Fatal Advice for the NDP, The Bullet, 27/07/14

11Radio-Canada, Le NPD oppose un ex-ministre des Finances provincial à Joe Oliver, 14/08/14

12Pierre St-Arnaud, Presse canadienne, L’économie canadienne se contracte pour un cinquième mois consécutif, Le Devoir, 1/08/15

13Murray Cooke, Mulcair’s NDP : The New Liberal Party, New Socialist, 11/12/12

14Sam Giddin et Michael Hurley, Working Class Politics After the NDP, The Bullet, 1/09/14, ma traduction

15Kyle Buott de Solidarity Halifax en entrevue sur Talking Radical Radio, Rabble.ca, 22/07/15

16Ethan Cox, Student sit-in targets ’insufficient’ climate policies from NDP, Liberals, Ricochet, 3/07/15

17On passe sur le fait que leur réseau Facebook (consulté le 16/08/15) commente en anglais seulement la situation grecque et que l’annonce de leur assemblée sur les élections aligne les photos des principaux dirigeants des partis… mais non celui du Bloc québécois. Ce Réseau est-il pour l’indépendance ?

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